Textile : comment la filière régionale se tisse un avenir en or
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Textile : comment la filière régionale se tisse un avenir en or

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L’industrie textile n’est pas morte ! Tirée par des géants positionnés dans les tissus techniques et un réseau de PME particulièrement actif dans le secteur du luxe, la filière textile en Auvergne-Rhône-Alpes sort d’une longue période de crises.

Chez Pacau Couture, à la Pacaudière, une centaine de coutière se relaie pour donner formes au modèles dessinés par LVMH, Richemont ou encore Hermès. — Photo : PACAU

Des ruines de Damas à la Plastics Vallée. En s’implantant à Oyonnax en 2015 pour y créer Ain Fibres, Becher Al Awa a non seulement fui la guerre civile qui ravageait alors son pays - laissant derrière lui son entreprise de filature – mais aussi retrouvé « un écosystème d’excellence ». « Il y a 30 ans, j’ai passé ici même un BTS matériaux plastiques, avant de valider un master au Cnam », rappelle cet homme posé et pugnace, à la tête de cette TPE de bientôt 6 salariés, spécialisée dans l’habillement et le textile technique hypo-allergène et hydrophobe. Une société labellisée Entreprise innovante des pôles (EIP) par Plastipolis. « En Europe, 70% du textile technique provient de la France, majoritairement d’Auvergne-Rhône-Alpes. C’est une filière d’excellence dans la région ».

Serge Ferrari, Thuasne, Porcher, Gibaud, Sigvaris, Hexcel… La région Auvergne-Rhône-Alpes compte effectivement de nombreux géants du textile technique, tous leaders sur leurs marchés. Des entreprises qui ont trouvé dans la région un savoir-faire, des compétences et un terreau fertile à leur croissance. Il y a un an, Thierry Merlot, président de la branche aéronautique d’Hexcel pour les régions Europe, Asie, Pacifique, Moyen-Orient et Afrique a d’ailleurs inauguré l’extension de l’usine d’Avenières (38). A la clé, la plus grande usine au monde de tissage de fibres de carbone et la création de 50 emplois afin de « répondre à la demande croissante du marché aéronautique en composites ».

L’heure est au rebond

Cette extension de l’usine d’Hexcel qui s’inscrit dans un vaste programme d’investissement et de modernisation de 220 M€, symbolise à lui seul le renouveau de la filière textile. Et pas seulement en Isère. « Dans la Loire, l’industrie textile qui a fait les plus belles heures de Saint-Etienne avec le ruban, de Roanne avec la bonneterie, de Cours-la-Ville avec la couverture serait morte. Mais c’est faux ! Non seulement, elle n’est pas morte mais en plus elle a un avenir », constate Michel Redon, économiste et auteur du livre « L’industrie textile dans la Loire : la mutation ».

« Nous sommes clairement dans une situation de rebond en France et en particulier en Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis trois ans, c’est une industrie qui est en croissance tant au niveau du chiffre d’affaires que du nombre d’emplois », assure pour sa part Eric Boël, P-dg de la société Les Tissages de Charlieu et président d’Unitex.

Première région textile de France

Des propos que les derniers chiffres livrés par le syndicat professionnel tendent à confirmer. En 2016, la filière textile régionale a enregistré une croissance de son chiffre d’affaires global de 1,54%, atteignant 3,35 milliards d’euros consolidés (13,2 milliards pour la France). Les effectifs ont, eux, progressé de 2,12% avec à la clé la création nette de 1209 emplois. Portant ainsi le nombre total à 16.970 salariés répartis dans 615 établissements.

« La Loire, le Rhône et l’Isère concentrent quasiment le quart du textile industriel français », renchérit Michel Redon pour qui Auvergne-Rhône-Alpes mérite son statut de première région textile de France.

Porté par le textile technique et ses débouchés dans la santé, l’aéronautique, l’automobile, les tissus pour l’armée ou encore le sport, la filière l’est aussi par le luxe. Un secteur qui a permis, ces dernières années, a de nombreuses entreprises de s’affranchir des affres de la mondialisation.

Une filière luxe particulièrement développée

Dans la Loire, Pacau Couture, discret atelier « haut de gamme » passé maître du « flou » (matière souple), tourne d’ailleurs à plein régime. Retirée dans le village de la Pacaudière près de Roanne, une centaine de couturières se relaie dans un espace de 2.000 m² pour donner forme aux modèles dessinés par LVMH, Richemont ou encore Hermès. « Nous travaillons pour les plus grandes maisons françaises de haute couture », s’enorgueillit Eric Ciampi, qui a repris en 2011 cet atelier créé dans les années 60 par Yves Saint-Laurent. « Nous avons depuis doublé le nombre d’employées ». Plus que jamais à la recherche d’un label « made in France, » les griffes parisiennes – soumises au rythme saisonnier des défilés – travaillent « en flux tendu ». Pour répondre à cette demande premium (série de 50 à 800 pièces maximum), Pacau Couture s’apprête à créer une « académie » interne de formation avec des promotions « maison » de 20 à 30 couturières. Pour accompagner ce projet, une extension de 1.000 m² est à l’étude. Coût des travaux entre 1 et 1,5 millions d’euros.

Chanel et Hermès solidement ancrés

A quelques kilomètres de là, dans le petit village de Montchal, la société Denis & Fils, spécialisée dans le tissage de la soie, surfe aussi sur la vague du luxe. Depuis 1989, la PME a pris une orientation haut de gamme en travaillant en étroite collaboration avec la maison Chanel. Une stratégie qui lui a permis de passer sans encombre la crise de 2008/2009 et d’enregistrer en 2015 un résultat net de 811.000 euros en hausse de près de… 400% par rapport à 2014 ! La santé financière de cette entreprise, qui emploie 58 salariés et réalise 11 millions d’euros de chiffre d’affaires (dont 20% avec Chanel), n’a d’ailleurs pas manqué de retenir l’attention de la marque de luxe. « En juillet 2016, Chanel est entrée de manière minoritaire au capital de Denis & Fils. Ils avaient besoin de comprendre un peu mieux ce qu’était la soie. Ils ont aussi pris des participations dans les sociétés Textiles Lacroix, Moulinages de Riotord et on poursuivit dans l’ennoblissement et la teinture chez Hugo Tag, de manière à maîtriser l’ensemble de la filière soie », explique Bruno Denis. « Avoir Chanel au capital est une belle carte de visite qui nous a clairement ouvert les portes du luxe. Nous travaillons aujourd’hui avec d’autres très grandes marques comme Dior », poursuit le dirigeant de Denis & Fils.

En 2001, Hermès avait eu une stratégie similaire en créant le pôle textile « Holding Textile Hermès » dont le siège, installé à Pierre-Bénite, pilote les filiales industrielles de tissage, teinture, ennoblissement, impression, localisées pour la plupart en Auvergne Rhône-Alpes. « Il y a par exemple les sociétés Bucol (69) et ATBC Bussières (42) qui est une vraie pépite. On pourrait aussi citer le sous-traitant Maya Soie Industrie (100 salariés à Saint-Symphorien-de-Lay) qui réalise depuis 2012 la finition des fameux carrés de soie Hermès. Cette opération de roulotage qui était réalisée à Madagascar pendant de nombreuses années a été rapatriée dans notre région. Ce n’est pas anodin », développe Michel Redon.

Une filière taillée pour l’avenir

Portée par les deux locomotives que sont le textile technique et le luxe, la filière dispose aussi d’un atout majeur. « Nous avons une filière complète, du tissu au produit fini. On y trouve de l’intelligence créative, technologique, fonctionnelle, de l’intelligence de durabilité, de la customisation… AURA est la seule région capable de proposer une fertilisation de toutes ces intelligences et de les faire raisonner ensemble », assure Eric Boël.

Un exemple de cette fertilisation croisée avec les sociétés Denis & Fils, encore elle, et Brochier Technologies (Villeurbanne) qui depuis plusieurs années conduisent en commun des travaux de R&D pour développer du textile à base de fibre optique. Un investissement sur le point de porter ses fruits puisque les deux entités vont s’associer dans la création de Lightex Industrie Innovation. « Cette société verra le jour en 2019. Elle sera dédiée aux tissus lumineux avec des débouchés dans la santé, l’automobile et le traitement de la dépollution des eaux notamment », confie Bruno Denis.

À l’image de Denis & Fils, la filière textile d’Auvergne-Rhône-Alpes semble donc promise à un brillant avenir. « Le textile de demain sera technologique, créatif, personnalisé et durable et notre industrie régionale est particulièrement bien placée pour relever ce défi du textile du futur », conclut Eric Boël.

« La pénurie de main-d’œuvre est un vrai sujet d’inquiétude »

Mouliniers-texturateurs, tisseurs, converteurs, tricoteurs, ennoblisseurs… L’industrie textile régionale recrute ! « Nous cherchons chaque année environ 1.000 personnes pour remplir nos besoins de main-d’œuvre », lance Pierric Chalvin, délégué général d’Unitex. Problème, les jeunes ne se bousculent pas au portillon et la profession qui voit tous ces indicateurs passés au vert est confrontée à une pénurie de main-d’œuvre. « C’est un vrai sujet d’inquiétude pour la filière », confie Pierric Chalvin. « Nous avons un mal fou à recruter des opérateurs industriels », confirme Jean-Charles Potelle, P-dg du groupe Boldoluc (350 salariés ; 13 M€ de CA). « L’image de la filière textile s’est fortement dégradée en région. C’est la croix et la bannière pour trouver les bons profils », constate l’ancien directeur d’Unitex. Pour faire face à cette problématique, un consortium réunissant Unitex, le pôle de compétitivité Techtera, Opcalia, le Rectorat et le Lycée de la Martinière a été créé. L’objectif ? Redorer l’image de la filière et attirer de nouveaux talents. Un programme de cinq ans a été lancé mais le risque est de voir, d’ici là, des entreprises perdre des marchés. « Certaines refusent des commandes faute de main-d’œuvre », s’inquiète Pierric Chalvin.

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