"Les entreprises attendent toujours plus de flexibilité"
Interview # Conjoncture

Christophe Catoir président d'Adecco France "Les entreprises attendent toujours plus de flexibilité"

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Le président d'Adecco France vient de transférer le siège social hexagonal dans un nouvel écrin baptisé Adely, au Carré de Soie de Villeurbanne (Rhône). Le 5 décembre, il dévoile les nouveaux nom et logo du groupe Adecco qui devient "The Adecco Group". Président de la commission Emploi Formation au sein du Medef, Christophe Catoir fait tout pour partager son expertise avec les candidats à l'élection présidentielle. Il décrit les contours d'un secteur qui bouge vite.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Comment se porte Adecco en France ?

Christophe Catoir : Notre marché (CA : 4,7Mds€ en 2015, 5.100 salariés) reste sur une dynamique stable depuis un an, entre 4 et 6 % de croissance, avec 130.000 intérimaires " classiques ". L'activité " recrutement permanent " est très porteuse, en croissance de 23 à 24 %. De même que le marché du CDI intérimaire, puisque nous recensions 1.600 contrats de ce type il y a un an, contre 5.700 aujourd'hui, avec l'objectif d'accueillir 15.000 CDI Intérimaires sous deux ans. Nous nous positionnons sur ce type de contrat pour prendre des parts de marché. Et pour qu'il reste intéressant financièrement, nous optimisons le temps passé hors entreprise par de la formation.

Quelles sont les attentes de vos clients (PME, ETI, Grands groupes) en termes de nouvelles compétences ?

C.C. : Nous observons une nette augmentation du niveau de compétences attendues, avec de moins en moins de demande de manutentionnaires par exemple et de plus en plus de profils qualifiés (conducteur de machine automatisée, technicien). Raison pour laquelle nous lançons un projet centré sur la formation en alternance pour compenser la pénurie. On a créé en 2015 une école de l'alternance à Lyon avec pour l'heure 1.200 alternants, 10.000 devraient être formés d'ici deux ans. Si on réussit notre challenge, nous serons le deuxième employeur en France pour ces profils !

Qu'est-ce qui change dans votre métier, mois après mois ?

C.C. : Les entreprises attendent toujours plus de flexibilité. Elles ne veulent plus seulement choisir entre l'intérim, les CDD ou les CDI. Aujourd'hui arrivent les freelances, les auto-entrepreneurs, il y a aussi les groupements d'employeurs, les pôles de compétences partagés, le CDI intérimaire, l'alternance... L'écosystème est beaucoup plus complexe. L'un des sujets pour Adecco en tant que groupe est non seulement d'être le leader de l'intérim mais aussi de l'intermédiation pour les entreprises. Elles veulent savoir pour quelles raisons elles choisiraient de faire appel à un freelance. Et là on rentre dans des dimensions sectorielles : dans l'IT, le marketing, la formation, la communication ce sont des candidats qui choisissent ce statut. Dans ce contexte, je souhaite que notre réseau soit en capacité d'être un "décodeur". Notre seul sujet reste de trouver les meilleurs candidats mais en démultipliant les modalités de contrats, puisque sectoriellement nos réponses sont plus riches.

À quelles fins ces développements ?

C.C. : Nous sommes n° 2 en France du recrutement de cadres. Il est probable si l'on continue nos investissements, l'on devienne n° 1 sous 18 mois puisque nous n'avons " que " 3 ou 4 millions d'écarts désormais avec le numéro 1. Nous venons également de monter une division outsourcing qui est une modalité de flexibilité un peu différente où l'on s'engage sur des objectifs de résultats, alors que l'intérim repose par essence sur des objectifs de moyens.

Vous venez de déménager dans votre nouveau siège, « Adely », au Carré de Soie, à Villeurbanne. Ce déménagement est-il aussi l'opportunité d'un changement managérial ?

C.C. : En effet, notre organisation était jusque-là découpée en business units, parfois perçues, à juste titre, comme des silos. Or, si l'on travaille pour simplifier la vie de nos clients et candidats, il faut déjà que l'on héberge l'ensemble de nos activités dans un seul endroit où l'on va se côtoyer et travailler de manière collaborative. Première brique de cette nouvelle organisation : nous venons de créer un pôle « solution emploi » pour apporter des solutions prépackagées ou modulaires pour les grands groupes et ETI. Elle est dotée de 30 collaborateurs et 20 ingénieurs formation.

Votre nouveau siège est-il un outil de travail ?

C.C. : Adely, c'est pour moi une « fabrique à compétences ». Nous essayons d'écouter les problématiques emplois de nos clients et leur apporter les bonnes solutions mais pour cela il faut que l'ensemble de nos collaborateurs comprenne bien les mises en oeuvre et les modalités du travail collaboratif. Mais être dans le même bâtiment ne suffit pas, nous allons aussi créer des moments de rencontres, des conférences à l'heure du déjeuner etc. Pour être en phase avec le marché de l'emploi, ses évolutions je suis obligé d'en avoir une compréhension très pointue pour fournir des réponses qui ne soient pas juste des marques commerciales.

Quid de votre connaissance des marchés ?

C.C. : Grâce à Adecco Analytics, nous sommes enfin équipés de données de marchés locaux (320 marchés différents) pour bien comprendre l'offre et la demande et pouvoir conseiller une entreprise pour faire, par exemple, correspondre le niveau de salaire avec le profil recherché. Nous sélectionnons aussi plus finement certains candidats : les entreprises recherchent des profils dotés d'une vraie capacité d'apprentissage, ou veulent éviter ceux qui sont averses au changement et au risque. Un autre outil travaille sur la correspondance entre la culture d'entreprise et la personnalité du candidat. Nous proposons aussi des entretiens vidéo enregistrés et remis au client.

Ces développements digitaux ne sont-ils pas des gadgets ?

C.C. : Non, car la dimension digitale adossée au marketing permet de répondre à des attentes très variées et segmentées. Par exemple, grâce à la start-up parisienne Golden Bees, on parvient à cibler en temps réel et sur le web le bon candidat en fonction de son profil social, son poste actuel, ses centres d'intérêts, sa localisation, sa catégorie professionnelle. Cela change tout pour nous !

Pourquoi avoir pris la présidence de la commission "formation, apprentissage, alternance et métiers de demain" au sein du Medef ?

C.C. : C'est un sujet pour lequel il faut faire plus de bruit. On entend partout qu'il "faut" développer l'alternance. Mais concrètement ce sujet n'avance pas. Même les candidats à l'élection présidentielle restent à peu près muets sur le sujet. Or je ne voudrais pas que ce thème soit oublié. L'on pourrait créer de la croissance en France mais sans régler cette problématique de la formation initiale et continue, on va plutôt créer des tensions et pénuries que de l'emploi.

Quelles sont vos solutions ?

C.C. : L'orientation professionnelle est faite par des gens qui ne connaissent pas le marché. La preuve : la norme est encore d'atteindre 80 % de bacheliers, alors qu'en Suisse par exemple il y a 30 % de bacheliers et 3 % de chômage. Que fait-on pour ceux qui ont des habiletés manuelles extraordinaires et qui pourraient gagner en début de carrière 3.000 euros en étant soudeur ou technicien ? Je prône une meilleure collaboration entreprises/Education nationale pour développer l'apprentissage et l'alternance. En plus, c'est l'entreprise qui paye la formation, l'Etat ferait quelques économies... Si les écoles de commerce s'y sont mises c'est parce qu'elles n'avaient plus d'argent. Alors pourquoi ne pas le faire sur toutes les filières ?

Que dites-vous aux candidats à l'élection présidentielle que vous croisez dans différents cercles ?

C.C. : Je souhaiterais que le prochain chef d'Etat ait autre chose à proposer qu'une série de mesures techniques. Il faudrait qu'il explique vers quoi il veut amener le pays. Les années où la France a le mieux réussi sont lorsqu'elle a compris que la mobilité était en train de gagner le monde : elle a voulu devenir le champion de la mobilité. De là sont nés le TGV, Airbus, Arianespace... Il y a quelques années avec le lancement des pôles de compétitivité j'ai cru qu'on allait vers cela. Mais personne ne reprend le projet, sauf les acteurs politiques locaux.

Où se trouvent les emplois de demain ?

C.C. : Dans les services à la personne, mais est-ce un sujet que les candidats veulent porter ? J'en doute. Car le yo-yo entre la fiscalité qui baisse ou qui augmente ne peut que troubler les entreprises comme les particuliers. Or il y a un vivier d'emplois considérable dans ce secteur, 96.000 emplois sur 140.000 nouveaux emplois créés le sont dans les services...

On parle aussi d'un revenu universel...

C.C. : Je suis contre et serait même favorable à ce qu'une seule autorité délivre des aides. Aujourd'hui le monde salarié est hyperprotégé, alors qu'un freelance ou un auto-entrepreneur ne bénéficie d'aucune protection. Il faut selon moi aider les gens à avoir un travail et non les aider à avoir un revenu qui induit parfois l'idée qu'ils peuvent vivre toute leur vie sans rien faire. Nous avons travaillé, via une de nos filiales, sur l'insertion de personnes réfugiées en mettant l'accent sur l'apprentissage de la langue puis un contrat de professionnalisation. Ce n'était pas gagné, mais ça a marché !

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