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Station de La Bresse-Hohneck : "Nous avons été sacrifiés pour que le reste de l'économie fonctionne"
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Jean-Yves Remy PDG du groupe Labellemontagne "Nous avons été sacrifiés pour que le reste de l'économie fonctionne"

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La saison du domaine skiable de la Bresse-Hohneck est terminée, faute de clients. Une saison "dramatique" pour le PDG du groupe Labellemontagne, qui gère cette station des Vosges ainsi que sept autres domaines en France. Selon Jean-Yves Remy, la fermeture des remontées mécaniques aura de lourdes répercussions économiques à l’avenir.

Le groupe Labellemontagne, dirigé par le Vosgien Jean-Yves Remy et basé en Savoie, regroupe sept domaines skiables en France dont celui de La Bresse-Hohneck dans les Vosges — Photo : Philippe Stirnweiss

Le 12 mars, la station de la Bresse-Hohneck a décidé d’écourter sa saison en mettant un terme aux seules activités de ski encore autorisées. Pourquoi ?

Jean-Yves Remy : Les remontées mécaniques ont été arrêtées sur décision politique fin novembre. Il se trouve qu’à La Bresse, nous avions installé cette année deux tapis convoyeurs pour remplacer les petits téléskis de basse station. Comme ils ne nécessitaient pas de traction par câbles, ces tapis n’étaient pas soumis au décret du gouvernement. Nous avons donc maintenu depuis Noël une petite activité de loisirs et d’initiation avec, d’un côté, une piste école et, de l’autre, une piste de luge sur bouée. Malheureusement, elle n’a pas été suffisamment attractive. Faut de clients et de météo favorable, nous avons décidé d’y mettre fin. En revanche, si nous avions pu ouvrir l’ensemble du domaine, nous n’aurions pas fermé si tôt.

Le domaine va-t-il rester ouvert au printemps ?

Jean-Yves Remy : Oui, nous allons poursuivre la luge sur rails et les bouées tous les week-ends, comme chaque année.

"Nous n'avons quasiment rien encaissé et nos trésoreries sont à zéro."

Votre saison n’a donc duré que trois mois : de Noël à la mi-mars. Quel bilan dressez-vous ?

Jean-Yves Remy : Clairement, c’est une saison en berne. Sur nos activités liées à la neige, nous n’avons réalisé que 5 % de notre chiffre d’affaires habituel : à peine 500 000 euros sur les 9 millions d’une bonne année. Certes, il y a du monde les week-ends et nous comptions parfois entre 1 000 et 2 000 touristes. Mais ils étaient tous concentrés sur le front de neige pour les activités ludiques autorisées. Mais il n’y avait personne dans le domaine. D’habitude, une grosse journée de ski, c’est dix fois plus de fréquentation ! Le manque à gagner est dramatique. À La Bresse, nous n’avions qu’une quinzaine de salariés sur site contre 100 habituellement. Plus de 200 personnes se sont retrouvées en activité partielle dans les Vosges et plus de 1 000 sur l’ensemble du groupe Labellemontagne (qui compte 1 300 employés au total, NDLR). Les agents, les moniteurs, les loueurs de ski : personne n’a travaillé. Les Vosges, comme toute la montagne française, subit une crise économique qui aura de lourdes répercussions, et ce sur plusieurs années.

Quelles seront-elles ?

Jean-Yves Remy : A La Bresse, nous devions entrer dans un processus d’appel d’offres de délégation de service public puisque notre contrat arrivait à son terme en octobre 2021. Compte tenu des fortes turbulences et de l’absence de visibilité, la collectivité a reporté cet appel d’offres d’un an. Forcément, dans ce cadre-là, nous avions prévu des programmes d’investissement. Nous avons été contraints de les reporter, eux aussi. toute notre dynamique a été stoppée. Quand nous arriverons au bout de cette épreuve, il faudra faire les comptes.

Y a-t-il des risques sur l’emploi ?

Jean-Yves Remy : Si nous passons cette épreuve, normalement non.

Le gouvernement a promis de vous soutenir financièrement dans les prochains mois. Est-ce que cela vous rassure ?

Jean-Yves Remy : Pour l’instant, nous n’en voyons pas la couleur et rien n’est officiel. Mis à part l’activité partielle qui a correctement fonctionné et qui fonctionne toujours. Mais pour le reste, rien. Le problème, c’est que nous n’avons jamais eu de visibilité sur la suite de la saison. Si oui ou non, nous avions un espoir de réouverture. Nous avons donc engagé la totalité de nos charges pour maintenir un produit qui aurait pu ouvrir à tout moment. Nous avons fabriqué de la neige, sécurisé la montagne et entretenu nos appareils, au cas où. Mais à chaque fois, l’État a reporté l’échéance sans jamais donner de visibilité. Au 1er décembre, s’il nous avait dit que les remontées ne rouvriraient pas de l’hiver, nous aurions fait d’énormes économies.

Avez-vous bénéficié d’un prêt garanti par l’État ?

Jean-Yves Remy : Le groupe a effectivement bénéficié du PGE dès le mois d’avril 2020 et, aujourd’hui, nous en sollicitons un deuxième dans l’attente des aides de l’État. Mais c’est devenu très compliqué car les banquiers sont devenus beaucoup plus frileux. Cela fait deux mois que nous négocions !

Êtes-vous en discussion avec l’État pour débloquer ces aides promises ?

Jean-Yves Remy : La chambre patronale Domaines skiables de France (DSF) y travaille tous les jours. La proposition de l’État est de prendre en charge une partie de nos charges fixes engagées. Ils les ont évaluées à 49 % de notre chiffre d’affaires d’une année normale. C’est bien moins que d’habitude mais c’est toujours bon à prendre car cela représente beaucoup d’argent. Mais le problème est que l’Europe doit valider ce système dérogatoire et cela fait deux mois que c’est en instruction. Tant que l’État n’aura pas cette confirmation, il ne pourra pas mettre en place les aides promises. Nous n’avons aucune visibilité, ni sur le quantum, ni sur l’échéance. La situation est très difficile. Nous n’avons quasiment rien encaissé et nos trésoreries sont à zéro. Comme d’autres secteurs, nous avons été sacrifiés pour que le reste de l’économie fonctionne. On nous a demandés, par solidarité, d’arrêter notre activité. Par solidarité, il faut maintenant nous sauver.

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