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Saint-Gobain PAM : faut-il craindre les investisseurs chinois en Lorraine ? 
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Saint-Gobain PAM : faut-il craindre les investisseurs chinois en Lorraine ? 

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La probable entrée d’un industriel chinois dans le capital de Saint-Gobain PAM a réveillé les craintes liées à la désindustrialisation de la Lorraine. Sources de désillusions ou succès, les investisseurs chinois s'intéressent aux entreprises du territoire depuis quelques années. Morceaux choisis de la relation sino-lorraine dans le monde des affaires.

L'usine d'Hambach va perdre la production de la Smart au profit d'un site chinois — Photo : © Daimler

Quand on évoque le dernier haut-fourneau lorrain encore en activité, le sujet est forcément brûlant. En lâchant une bombe médiatique en avril dernier, en évoquant l’entrée à hauteur de 60 % du chinois XinXing dans le capital de Saint-Gobain PAM, le syndicat CFE-CGC savait que le dossier allait attirer la lumière, jusqu’au plus haut niveau de l’État. Crainte irrationnelle « d’actionnaires exotiques », « prédation industrielle » ou « trahison » du groupe, les commentaires des élus et des syndicats ont réussi à rendre menaçante une réalité pourtant déjà existante : les Chinois entretiennent des relations d’affaires avec la Lorraine.

1 – Baccarat préfère la Chine aux États-Unis

Le fonds américain Starwood, actionnaire principal de la manufacture de cristal de Baccarat de 2005 à 2017, ne laissera pas un souvenir impérissable dans l’histoire de la société créée en 1764. Un sentiment largement relayé par les salariés qui, à l’époque de la prise de contrôle par le fonds d’investissement chinois Fortune Fountain Capital (FFC), avaient résumé l’action de Starwood : « On n’a eu que des plans sociaux avec eux. Ils n’ont rien fait du tout pour nous ». Si certaines voix se sont élevées pour regretter que ce « trésor lorrain » passe sous contrôle chinois, force est de constater que, depuis l’arrivée de FFC aux commandes, Baccarat retrouve des couleurs sur ses marchés. En 2018, « le résultat net est à nouveau positif et en progression de plus de 40 % par rapport à l’année précédente », indique Daniela Riccardi, directeur général de Baccarat, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros l’an passé. La stratégie de « redéploiement » a été lancée et vise notamment à ouvrir « deux boutiques stratégiques dans deux des plus grandes villes du luxe, Milan et Miami. D’autres emplacements sont en cours de négociation principalement aux États-Unis et en Chine-Asie », précise la société. La reprise trouve ses racines à Paris, lors d’un défilé de mode chez Chanel : Coco Chu, à la tête de Fortune Fountain Capital, découvre alors que Starwood veut se débarrasser de Baccarat et y voit « un signe du destin ». Celle qui possède toute la collection de verres de la cristallerie façonnée à l’époque de Louis XV se décide à mettre 164 millions d’euros sur la table pour permettre à la cristallerie de « dépasser sa légende ». C’est donc une passionnée qui a promis un plan d’investissement de 20 à 30 millions d’euros sur trois ans, dont 3 à 5 millions d’euros dans l’usine historique. Pour couper court à toutes les rumeurs de délocalisation, la femme d’affaires chinoise l’a dit et répété : « Baccarat, c’est à Baccarat ».

2 – Geely récupère la production de la future Smart

Jusqu’ici fabriquées à Hambach, en Moselle, les futures Smart électriques seront produites en Chine dès 2022. Un revers pour le site lorrain, qui s’est retrouvé au centre d’une négociation entre le constructeur allemand Daimler et le Chinois Geely. Petit à petit, le constructeur chinois prend position sur les marchés automobiles en Europe : après avoir pris le contrôle de Volvo, puis une participation à hauteur de 9,6 % dans le capital de Mercedes, Geely a créé en mars 2019 une coentreprise avec l’allemand Daimler, à 50-50, pour exploiter la marque Smart. L’enjeu est de saisir une opportunité de marché : le véhicule électrique pèse déjà 6 % des ventes en Chine en 2018, pour un million de véhicules vendus, et devrait atteindre 2 millions de véhicules en 2020 et jusqu’à 16 millions en 2030. Et ce n’est pas la disparition programmée des subventions publiques qui devrait enrayer le mouvement, le pays étouffant sous les particules fines produites par les moteurs à combustion. Pour le constructeur Daimler, l’occasion était trop belle pour se désengager en douceur de Smart, une marque avec laquelle le constructeur allemand a perdu jusqu’à 500 millions d’euros par an. Opérant historiquement sur le haut de gamme, Daimler n’a jamais réussi à trouver la recette sur le segment des « micro-urbaines » et des « urbaines » ou des « petites citadines ». Pour autant, le constructeur allemand n’abandonne son site mosellan, dans lequel il va investir 500 millions d’euros pour produire « un véhicule électrique compact sous la nouvelle marque de produit et de technologie EQ », a détaillé le groupe.

3 – Une PME chinoise implantée durablement

« Hys Mould l’avait dit et ils n’ont pas fait machine arrière », pouvait lancer François Lavergne, président du District urbain de Faulquemont une fois le contrat bail de 15 ans signé. Hys Mould, qui s’appelle aujourd’hui Huayisheng Mould France Technical Center, première entreprise chinoise à venir en Lorraine, était déjà implanté dans les locaux du DUF depuis 2015. « Nous avons investi entre quatre et six millions d’euros en machines pour réaliser notre production. La fabrication se fait à notre site chinois de Shenzen, la finalisation de l’outillage, c’est en France », exposait alors Robert Wang, responsable du projet et directeur de Huayisheng Mould France Technical Center. Le président du groupe, Qiang Zou vient en personne inaugurer les locaux de 2 250 mètres carrés, pris en charge par le DUF pour un investissement de deux millions d’euros. L’industriel, qui fournit des moules pour l’injection plastique pour l’industrie automobile utilise son site de Faulquemont afin de réaliser des essais pour le marché européen et décide de s’implanter pour resserrer les liens économiques entre la France et la Chine. La Moselle se mue alors en véritable plateforme de recherche et développement pour le groupe qui emploie 1 500 salariés et réalise 125 millions de dollars de CA. Les équipementiers et constructeurs, qui constituent la clientèle de l’entreprise chinoise n’ont plus besoin de se déplacer en Chine pour valider la qualité de la production, mais peuvent le faire directement à Faulquemont.

4 – Quand les différences culturelles font avorter des projets

Un centre de R & D et de production à 100 M€, 60 000 m² de plancher, une tour de 18 étages, 200 emplois créés, un fonds doté de 3 Md€ pour aider les collectivités à s’équiper… Les chiffres du projet d’implantation d’une usine de LED au pied de la gare Meuse TGV, au beau milieu des champs, porté par Inesa, filiale du groupe chinois Shenan, avaient de quoi laisser perplexe… Dévoilé en grande pompe fin 2015 à Paris lors de la COP 21, concrétisé par une première pierre posée par le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, ce projet pharaonique n’a pourtant jamais vu le jour. La relation d’amitié entretenue entre le sénateur Christian Namy, président du Conseil départemental de la Meuse, et Zhao Qi Meng, aujourd’hui président d’Inesa Europe, à l’époque président de l’association France Euro Chine, avait porté le projet : concrètement, l’un était à la tête d’un département durement touché par la crise et l’autre cherchait une opportunité pour imposer les LED du groupe Shenan en Europe. Mais ce projet avait tout de suite irrité le grand patron du groupe Inesa, Qiang Wang : lors de sa première visite sur le site, retenu, ce dernier avait piqué une colère en découvrant ce site « au cœur de l’Europe », à une heure de TGV de Paris, mais où la plus proche commune Trois-Domaines, rassemble 100 habitants. Son groupe, qui pèse 9 milliards de dollars de chiffre d’affaires et emploie 40 000 personnes, n’est pas habitué à opérer à la campagne. Quatre jours après la première pierre, un communiqué laconique du groupe chinois évoque une « intention », réfute le montant de l’investissement et l’existence d’un contrat. Aujourd’hui, aucun permis n’a été déposé, le projet est enterré. Cet échec cuisant fait écho au fiasco du projet « Terra Lorraine », annoncé en 2012, qui visait à implanter un centre d’affaires sino-lorrain sur la mégazone d’Illange : 150 millions d’euros d’investissement, un bâtiment de 237 000 m2 dans la première phase, la création de 3 000 emplois. Porté par la Comex, le projet s’est soldé par un ballet de pelleteuse sur la mégazone en 2015 : le département de la Moselle a dépensé 4 millions d’euros pour lancer l’aménagement des 130 hectares avant d’annoncer l’abandon du projet.

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