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Projet d'avion Skylander : Geci International doit rembourser 11 millions d'euros à la Région Grand Est
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Projet d'avion Skylander : Geci International doit rembourser 11 millions d'euros à la Région Grand Est

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Huit ans après la fin avortée du projet de construction d’avion Skylander à Chambley (Meurthe-et-Moselle), l’entreprise Geci International se voit contrainte par la justice de rembourser 11,1 millions d’euros de créances à la région Grand Est.

Le projet Skylander a été vendu à une entreprise chinoise en juin 2018 pour 1,5 million d'euros, dix ans après son arrivée en Lorraine — Photo : Geci International

La chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz a rendu sa décision le 27 avril dernier : le groupe Geci International va devoir rembourser un peu plus de 11,1 millions d’euros à la Région Grand Est. La société spécialisée dans le conseil en technologies et la transformation digitale (CA 2019-2020 : 25,7 M€ ; salariés : 418) est reconnue caution des dettes contractées dans les années 2000 par l’une de ses filiales Sky Aircraft. Cette dernière avait l’ambition d’industrialiser en Meurthe-et-Moselle la construction d’un nouvel avion intitulé Skylander et avait sollicité, entre autres, le soutien financier de la collectivité locale. "La justice vient ainsi de constater que la Région Grand Est disposait d’une créance de 21 millions d’euros à l’égard de Sky Aircraft et que sur ces 21 millions, 11 millions étaient effectivement garantis par Geci International", se réjouit l’avocat de la Région Me Arnaud Vauthier.

"Une très bonne nouvelle"

Sauf procédure d’appel de la part du groupe basé à Paris et présidé par son fondateur Serge Bitboul, la décision de justice est immédiatement applicable. Même si, selon l’avocat, un premier remboursement de 4 millions d’euros avait été acté en 2014 suivant un protocole d’accord portant sur un délai de paiement "en fonction des résultats de la société". Ce premier règlement, remis en cause par Geci International, est par ailleurs confirmé par cette nouvelle décision de justice. Or, dans un communiqué publié le 5 mai 2021, la société parisienne annonce qu’elle est en train d’examiner "toutes les voies de recours utiles en lien avec ce protocole d’accord." Geci International rappelle que ce dernier "encadre l’exercice de toute garantie au remboursement ou à l’imputation des 4 millions d’euros et que les conditions de règlement de toute dette de garantie ne sont pas réunies à ce jour. Il est également précisé qu’en vertu de ce protocole, le remboursement de toute dette éventuelle est subordonné et limité à 10 % du résultat net annuel de la société sur l’exercice de la date du jugement définitif." Toujours dans son communiqué, le groupe de Serge Bitboul tient à préciser que cette décision de justice "n’engage en rien la pérennité de la société et ne compromet pas la poursuite de ses activités."

En revanche, "c’est une très bonne nouvelle pour le territoire", réagit l’actuelle vice-présidente de la Région Grand Est en charge de l’emploi Valérie Debord. "Nous n’avons pas lâché prise, poursuit l’élue. Il était important que la justice reconnaisse que ces sommes n’étaient pas des subventions mais bien des avances remboursables. Nous restons très prudents car Geci International peut toujours faire appel, mais cette décision va nous permettre de reprendre les opérations de recouvrement qui avaient été interrompues par ce recours en contentieux. Cet argent, c’était celui des contribuables et la Région ira jusqu’au bout pour en récupérer le maximum. Nous sommes dans notre bon droit."

L’État et la Région mettent au pot

C’est en novembre 2008 que l’entreprise Sky Aircraft atterrit sur l’ancienne base de l’OTAN de Chambley, en Meurthe-et-Moselle. Dans ses valises, un ambitieux projet de construction d’avion bimoteur présenté comme tout-terrain, 300 créations d’emplois à la clé. Ce dernier est rapidement présenté au président de la région Lorraine Jean-Pierre Masseret qui va, par la suite, signer plusieurs chèques pour accueillir et soutenir la filiale dans ses ambitions. Un objectif à l’horizon : transformer le territoire en un pôle aéronautique d’envergure.

Le PDG de Geci International Serge Bitboul était à Chambley lors de l’inauguration du hall d’assemblage des prototypes du Skylander le 13 décembre 2011 — Photo : Archives JDE

Ainsi, plusieurs dizaines de salariés sont embauchés et la maquette de l’avion est établie. Une phase d’industrialisation est même annoncée. Pour financer le tout, l’entreprise mobilise des investisseurs privés et sollicite également le soutien de l’État et donc de la Région Lorraine. Au total, près de 21 millions d’euros sont débloqués par le conseil régional. Mais en octobre 2012, faute de trésorerie, l’entreprise Sky Aircraft se retrouve placée en redressement judiciaire. La liquidation est prononcée six mois plus tard laissant "entre 140 et 160" salariés sur le tarmac, selon les chiffres du mandataire judiciaire Patrick Maroccou.

Plusieurs procédures de justice

Suite au crash du projet, la Région Lorraine porte plainte pour récupérer sa mise de départ. "Les conventions passées à l’époque par la Région prévoyaient un remboursement pour chaque contrat, précise Me Arnaud Vauthier. Ce que contestait la société Geci International qui n’y voyait que des subventions." Entre-temps, une vingtaine d’actionnaires assignent Serge Bitboul dans le cadre de deux procédures civiles avant d’obtenir une condamnation en première instance le 2 mars 2020 "pour diffusion d’information inexacte, imprécise et trompeuse", comme le rappelle leur avocat Me Johann Lissowski. "De fausses informations qui ont eu, de fait, des incidences sur les cours de la Bourse", précise-t-il. Le groupe de Serge Bitboul, sommé de rembourser 550 000 euros aux actionnaires, décide de faire appel quatre jours plus tard. La plaidoirie est attendue d’ici la fin de cette année 2021.

Le projet Skylander n’a pas été enterré pour autant puisqu’en juin 2018, le tribunal de commerce de Briey (Meurthe-et-Moselle) a confirmé le rachat de la maquette numérique pour 1,5 million d’euros par une société chinoise nommée Tianjiao General Aviation et ses 25,5 millions d’euros de capital. L’avionneur asiatique s’était alors engagé à investir plusieurs millions d’euros, créer des dizaines d’emplois et installer des chaînes de montage, notamment près de Toulouse. "Le repreneur était une très grosse structure et son dossier était solide", se rappelle le mandataire judiciaire Patrick Maroccou. Depuis ? Rien. Aucune nouvelle. "Six mois après avoir racheté l’affaire, les Chinois ont totalement disparu et la maquette s’est envolée." Ainsi, les chances de voir le bimoteur tout-terrain décoller pour de bon restent aujourd’hui très minces. "Même si dans cette histoire, tout est possible", glisse Patrick Maroccou. À défaut de s’envoler dans le Skylander, il est aujourd’hui possible de dormir à l’intérieur. En effet, son unique prototype trône désormais au milieu d’un camping de Loire-Atlantique. La carlingue grandeur nature, ayant été vendue aux enchères, s’est transformée en gîte insolite pour les touristes.

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