Plan de relance : quelles entreprises en profitent en Lorraine ?
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Plan de relance : quelles entreprises en profitent en Lorraine ?

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Sur les 100 milliards d’euros alloués au plan de relance national, le gouvernement a décidé de consacrer 2 milliards en soutien à l’industrie française. Mais quelle est la somme véritablement allouée aux entreprises lorraines ? Qui en profite réellement ? Dans la région, il apparaît que seules les sociétés déjà solides et porteuses de projets d’avenir réussissent à se partager le "gâteau" France Relance.

Lauréate de l'appel à projets « modernisation automobile », la PME industrielle Gris Group, basée à Lesménils (Meurthe-et-Moselle), va automatiser quatre procédés pour gagner en productivité — Photo : © Gris Group

Une fois embarqué dans les méandres de France Relance, il n’est pas rare de s’y perdre. Sur le site du ministère de l’Économie, l’onglet réservé aux mesures de soutien aux entreprises fait le grand écart. De la transformation numérique au sport, de la protection des forêts en passant par la restauration des cathédrales, ou encore la prise en charge des animaux abandonnés et la stratégie nationale sur les protéines végétales. À chacune des 110 mesures correspond un chèque, une prime, une allocation, une subvention ou un fonds de soutien spécifique. Les montants des enveloppes, eux aussi, varient de quelques centaines d’euros à plusieurs millions d’euros. Bref, ces dispositifs n’ont rien en commun, mis à part qu’ils sont tous estampillés "France Relance", du nom du vaste plan de sauvetage de l’économie lancé par le gouvernement pour pallier les conséquences de la crise sanitaire du Covid-19.

Difficile de s’y retrouver pour le président du Medef dans les Vosges, Michel Borens : « Il y a tellement d’items que vous ne savez pas à quel endroit vous pouvez passer. Il faut réussir à faire le tri et surtout ne pas partir dans le mauvais sens. » Estimant qu’il n’y a pas assez de prescripteurs au service des chefs d’entreprise, Michel Borens plaide pour la mise en place d’un guichet unique : « C’est l’éternel problème. Les dispositifs existent mais vous passez à côté car vous n’avez pas l’information. »

Constat partagé par le président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) Lorraine, Hervé Bauduin, qui a mobilisé les ressources de sa fédération dès l’annonce du plan de relance pour aider ses 420 adhérents à « choisir le bon dispositif selon la nature du projet ». « Dès le début, nous avons fait remarquer aux services de l’État qu’il ne fallait pas oublier les PME et les entreprises moins structurées pour monter des dossiers », souligne Hervé Bauduin. En début d’année, l’UIMM Lorraine a encore renforcé le dispositif en embauchant une spécialiste de l’ingénierie financière « totalement dédiée » à France Relance.

Un plan tourné vers l’industrie

Parmi la kyrielle de dispositifs présentés, seule une poignée fait l’objet d’une véritable opération de communication, à grands coups de dossiers de presse et de cartes de France mettant en lumière les heureux élus. Ainsi, depuis le lancement officiel du plan de relance le 3 septembre 2020, les ministères et préfectures préfèrent publier, au compte-goutte, les noms des entreprises retenues dans le cadre d’appels à projets bien précis, essentiellement tournés vers l’industrie.

Thyssenkrupp Presta France à Florange et Fameck — Photo : Thyssenkrupp

D’une part, les fonds de modernisation automobile et aéronautique (désormais regroupés dans un nouvel appel à projets avec d’autres secteurs dits stratégiques : l’agroalimentaire, la santé, l’électronique, les intrants essentiels de l’industrie et les télécommunications 5G). D’autre part, le fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires. Sur ces deux volets, 35 projets ont été retenus en Lorraine (à date du 11 février). « Il faut saluer les entreprises qui ont su se saisir du plan de relance », appuie Hervé Bauduin, qui estime notamment que la stratégie mise en place par le gouvernement est la bonne : « En pleine crise, il faut savoir jouer la relance pour se donner un cap et ne pas tomber dans le marasme. Et commencer par l’industrie est définitivement la bonne manière de procéder. »

Une sélectivité problématique pour les PME

Bien que le nombre de candidatures ne soit toujours pas communiqué au niveau régional, il est possible de se faire une idée en regardant du côté des Vosges. Sur la trentaine de projets « Territoires d’Industrie » présentés, seulement sept ont été retenus. À l’UIMM Lorraine, 63 entreprises adhérentes ont fait part de leur intérêt, 29 dossiers ont été déposés et neuf ont reçu un accord de soutien. Il est « probable que des entreprises aient candidaté sans que nous en ayons eu connaissance », prévient la communication préfectorale. Mais le taux de sélectivité est encore loin d’atteindre les 40 % revendiqués par la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher. « Sept projets ont été retenus dans les Vosges mais cela ne veut pas dire que les autres ne le seront pas, tient à ajouter la préfecture. Les dossiers sont, soit en cours de complétude, soit d’analyse. »

Sans compter tous ceux qui n’ont pas encore été déposés. Comme l’explique Bpifrance, il est possible de candidater « jusqu’au 1er juin 2021 et jusqu’à épuisement des moyens financiers affectés en 2021 ». Pour Bernard Nucci, directeur général de l’entreprise d’assainissement Malézieux à Woippy (Moselle), également président du Club des entreprises Rives de Moselle pour lequel il est en contact régulier avec les services de l’État, cette sélectivité pose un problème. « On ne peut pas demander à un dirigeant de PME, qui joue sa peau dans le contexte actuel, de passer plusieurs journées sur un dossier sans savoir s’il sera retenu. Il faut un dispositif pour dégrossir rapidement les projets afin de savoir s’il a une chance d’aboutir », plaide-t-il.

Sur le milliard d’euros initialement fléché vers l’industrie française, plus de 880 millions ont déjà été promis à 935 porteurs de projets, selon les chiffres du gouvernement publiés début février. Il a donc été décidé de doubler la mise avec un milliard supplémentaire. Mais au-delà de la communication générale et des nombres à rallonge, quel est le montant effectivement perçu par les entreprises lorraines ? Impossible de le savoir.

« Goutte d’eau »

Alors que la Direccte Grand Est reste muette, la préfecture régionale renvoie vers ses homologues départementales. « Nous ne pouvons pas vous fournir les investissements projetés et les sommes allouées par entreprise, qui sont confidentiels à titre individuel », justifie-t-on à Bar-le-Duc, dans la Meuse. Même position en Meurthe-et-Moselle. Dans les Vosges, les montants individuels restent confidentiels mais pas la somme globale : 4,4 millions d’euros pour neuf projets industriels.

Seule la préfecture mosellane a accepté de lever le voile, dans le détail, sur les aides financières accordées à chaque lauréat. Preuve que la confidentialité est une règle à géométrie variable. Ainsi, sur les onze dossiers sélectionnés, neuf sont soutenus par l’État et deux par la Région Grand Est pour des montants allant de 200 000 à 1 million d’euros. Le total mosellan avoisine les 5,5 millions d’euros.

« À l’échelle d’un département, on est dans la goutte d’eau, s’offusque Gilles Caumont, le président du Medef 54. Avec les huit projets retenus en Meurthe-et-Moselle, on n’est pas du tout dans l’ordre de grandeur qui permettra à la relance de devenir effective, ni en nombre de projets ni sur les montants financiers. »

Retenu par le fonds de modernisation de la filière automobile, VT2i, à Ramonchamps, va se doter d'une nouvelle ligne d’usinage et une nouvelle ligne d’assemblage, soit 2,2 millions d’euros — Photo : © Jean-François Michel

« Plus de 90 % des lauréats » du plan d’aide à l’industrie « sont des PME et ETI », se plaît à rappeler le ministère de l’Économie, malgré la largeur de la fourchette. Or dans la liste des 41 premiers sélectionnés lorrains, rares sont les petites entreprises. On y retrouve surtout des sociétés aux reins solides, voire des géants de l’économie régionale. À l’image des fournisseurs automobiles Continental à Sarreguemines (CA non communiqué ; 1 400 salariés) et Thyssenkrupp Presta France à Florange (CA : 490 M€ ; 1 000 collaborateurs), qui ont chacun reçu un chèque de 800 000 euros.

« Pour que l’État les aide, les entreprises doivent avoir des idées et des projets »

Dans ces deux cas, comme chez le fabricant de papier Norske Skog à Golbey, dans les Vosges (CA : 280 M€ ; effectif : 350), ou encore Exxelia (CA 2019 : 21 M€ ; effectif : 83) à Illange, en Moselle, les investissements étaient déjà prévus : France Relance n’a fait qu’accélérer le calendrier. À Sarrebourg (Moselle), le directeur du Comptoir général du ressort (CA : 7 M€ ; effectif : 30) Philippe Robin souhaitait moderniser l’une de ses lignes de production depuis près de dix ans : « Nous ne pouvions pas nous permettre d’investir 450 000 euros, surtout maintenant. Le plan de relance est arrivé au bon moment et l’aide de l’État (350 000 euros, NDLR) a permis de débloquer notre situation ».

« Usine à gaz »

Quoi qu’il en soit, pour espérer bénéficier du soutien de l’État, l’entrepreneur doit présenter un plan d’investissement bien ficelé. « Notre administration est ainsi faite : il ne suffit pas de demander pour avoir, il faut entrer dans l’épure de ce qui est demandé, prévient Odile Bureau, sous-préfète et chargée de mission auprès du préfet de la Moselle pour la coordination locale de France Relance. L’État-providence est prêt à aider nos concitoyens qui en font la demande, encore faut-il qu’ils aient des idées et des projets. »

En plus d’être solide, le projet d’investissement industriel doit être conséquent. « Au moins 200 000 euros pour l’aéronautique, l’automobile et le nucléaire » et « un million d’euros pour l’agroalimentaire, la santé, l’électronique et les intrants essentiels de l’industrie », rappelle le ministère. France Relance serait-il taillé pour les plus costauds ? D’un point de vue administratif, le président du Medef dans les Vosges acquiesce volontiers. « Celles qui décrochent les dossiers en premier, ce sont les grosses entreprises déjà bien initiées, affirme Michel Borens. Pour elles, il suffit d’appuyer sur un bouton pour mobiliser deux personnes sur le sujet et, en huit jours, le dossier est monté. Mais quand vous êtes une PME, ce n’est plus la même histoire. »

Même s’il reconnaît le « dynamisme » des services de la préfecture et de Bpifrance dans le traitement des dossiers, Michel Borens déplore « une véritable usine à gaz » et dénonce « des contraintes totalement aberrantes ». De quoi décourager certains chefs d’entreprise ? « Évidemment ! Pour candidater, vous devez remplir une bible complète. Le temps que vous passez à faire ça, vous ne le passez pas à faire tourner votre société. »

Avec le cadre rigide des appels à projets à respecter, des sommes d’investissements minimales et les contraintes administratives, le gouvernement semble miser avant tout sur les champions industriels de demain. D’ailleurs, sur le site officiel de France Relance, l’objectif est affiché en gras : « Bâtir la France de 2030 ». Mais, d’ici là, que seront devenues les entreprises qui n’auront bénéficié d’aucun plan de relance en 2020 ?

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