Pharmagest : "Avant d'ériger notre passerelle numérique de santé, nous devions construire l'écosystème"
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Thierry Chapusot président du conseil d’administration de Pharmagest "Avant d'ériger notre passerelle numérique de santé, nous devions construire l'écosystème"

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Le leader français des logiciels de santé Pharmagest, basé à Villers-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), a vu son chiffre d’affaires grimper de 13 % sur neuf mois. Les résultats 2021 de cette société cotée de 1 200 salariés, attendus début février, devraient être du même acabit. Son président, Thierry Chapusot détaille la stratégie de cette filiale de la coopérative de pharmaciens Welcoop.

Pour le président du conseil d’administration de Pharmagest, Thierry Chapusot, "en matière d’innovation, la prime au premier entrant est considérable" — Photo : Philippe Bohlinger

Où en êtes-vous dans la stratégie de développement de Pharmagest (CA 2020 : 172 millions d’euros, 1 200 salariés) ?

Pharmagest s’est donné pour mission d’innover dans l’organisation du parcours de soins. Pour y parvenir, nous avons décidé d’être "patient centré", autrement dit de viser prioritairement l’intérêt des patients en contribuant à améliorer leur qualité de prise en charge. Cette stratégie nous a permis de devenir le premier éditeur français de logiciels de santé et le deuxième en Europe. Aujourd’hui, nos solutions informatiques sont implantées dans les officines pharmaceutiques (plus de 40 % de parts de marché), les maisons de retraite, les hôpitaux, chez les professionnels de santé, etc. En revanche, si ces métiers continuent de fonctionner en silos, Pharmagest n’a aucun avenir. Aussi, est-il indispensable de générer de la transversalité, de susciter le partage de données dématérialisées et sécurisées. C’est ce que nous appelons la "passerelle numérique de santé".

Je m’explique : en cas d’hospitalisation en urgence, il devra demain être possible de transmettre le traitement médical du patient via notre réseau de pharmaciens ou encore de transmettre le dossier de liaison d’urgence dans le cas d’un résident d’Ehpad. À la fin de l’hospitalisation, l’équipe médicale pourra envoyer numériquement la lettre de sortie au praticien de ville. Le rachat du nancéien Prokov Editions à l’automne 2021 nous a permis d’intégrer les médecins de ville dans notre projet. Reste encore à nous positionner sur le marché des infirmières libérales, sachant que nous sommes déjà implantés dans les services de soins infirmiers à domicile.

Avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et notre partenaire Cegedim, nous avons déjà conduit une expérimentation destinée à fluidifier les échanges ville-hôpital et mieux protéger les données de santé. Mais avant de commencer à ériger cette passerelle numérique de santé, nous devions construire tout l’écosystème.

Votre principal marché reste la France mais votre horizon est européen. Comment planifiez-vous votre croissance à l’international ?

Pharmagest souhaite dupliquer ses solutions en Europe. Nous savons nous déployer assez facilement dans les logiciels pour les Ehpad et les officines pharmaceutiques. Nous sommes présents sur ces deux segments en Belgique. En Italie, Pharmagest est bien implanté chez les pharmaciens et les grossistes-répartiteurs en médicaments. Nous aimerions y adapter notre logiciel pour les maisons de retraite. Au Royaume-Uni, nous sommes établis dans la distribution de médicaments pour les maisons de retraite. À l’heure actuelle, nos équipes commerciales regardent vers d’autres pays où nous ne sommes pas présents comme l’Allemagne, les pays scandinaves, etc.

"Nous sommes très respectueux des entreprises et des équipes que nous rachetons, car nous savons ce que c’est d’être une start-up."

Le marché allemand demeure le plus important marché du continent en logiciels de santé, devant la France. Racheter une entreprise constitue la seule solution véritablement efficace pour pénétrer ce pays. Mais c’est un processus long et difficile, d’autant plus qu’il s’agit souvent de sociétés familiales. Pharmagest a pour habitude de cibler l’acquisition d’acteurs un peu plus petits et de les faire grandir. Nous achetons en moyenne deux à trois entreprises par an. Nous en avons les capacités financières avec 115 millions d’euros en cash, 150 millions d’euros de fonds propres et seulement 40 millions d’euros d’endettement. Pharmagest est en mesure de financer cette croissance externe sans accroître sa capitalisation boursière. Engager une augmentation de capital en Bourse serait certes une autre solution de financement. Pharmagest étant valorisé environ 1,3 milliard d’euros, nous avons une capacité à réaliser 20 % d’augmentation de capital sans que la coopérative Welcoop, qui détient 67 % des actions de Pharmagest, ne perde la majorité. Encore faut-il trouver les bonnes cibles et prendre le temps de les absorber. Nous sommes très respectueux des entreprises et des équipes que nous rachetons, car nous savons ce que c’est d’être une start-up !

Comment résumeriez-vous la stratégie d’innovation de Pharmagest ?

Chaque projet innovant chez Pharmagest doit répondre à deux questions : ce projet est-il bénéfique pour le patient ? Est-il efficient pour le système de santé ? Si la réponse à ces deux questions est "oui", Pharmagest lance le projet et, ce, même si le modèle économique n’est pas encore clairement établi. Les investisseurs s’en étonnent parfois de la part d’une entreprise dont le tiers du capital est en Bourse. Mais, en matière d’innovation, la prime au premier entrant est considérable… Construire une technologie robuste prend en moyenne trois ans, cela laisse largement le temps de réfléchir au modèle économique. C’est ainsi que nous avons développé plusieurs innovations pour le patient comme la box Noviacare destinée au maintien à domicile des personnes âgées ou encore le pilulier hebdomadaire Multimeds, préparé dans les pharmacies. Notre credo ? Si c’est bénéfique pour le patient, c’est bénéfique pour la Sécurité sociale ! En ce qui concerne le pilulier Multimeds, je rappelle que la mauvaise observance des traitements cause 1,5 million de journées d’hospitalisation. C’est 3 milliards d’euros d’économie potentielle.

"Pharmagest s’est donné pour mission d’innover dans l’organisation du parcours de soins. Pour y parvenir, nous avons décidé d’être "patient centré"." — Photo : Philippe Bohlinger

Dans quelle optique avez-vous pris une participation dans Embleema ?

Nous avons pris 15 % de participation dans Embleema il y a deux ans. Cette start-up franco-américaine a mis au point une plateforme de santé permettant aux patients de partager leurs données de santé avec des organismes comme des laboratoires pharmaceutiques ou des opérateurs de recherche clinique. Les données sont sécurisées et traçables grâce à la blockchain, une technologie éprouvée notamment dans les monnaies virtuelles qui permet d’enregistrer de manière infalsifiable des données sans recourir à une autorité centrale de contrôle. Il s’agit d’un véritable pari !

Alors que les organismes de recherche clinique passent un temps fou à collecter les données de patients atteints de telle ou telle pathologie auprès des hôpitaux, cette solution permet d’observer en instantané comment un médicament se comporte dans la vie réelle. Embleema vient tout juste de signer un contrat de 6 millions de dollars avec le gouvernement américain portant sur le suivi des données des patients atteints de Covid-19. Cela va permettra aux malades de renseigner directement leurs symptômes. Pour Pharmagest, il est extrêmement enrichissant de voir évoluer ce modèle s’appuyant sur la blockchain. Un tel projet était plus facile à démarrer aux États-Unis. Mais nous comptons nous appuyer sur ce retour d’expérience pour lancer cette innovation en Europe. Nous nous donnons encore deux ans, le temps qu’Embleema établisse son business model.

Vous avez pris vos quartiers dans un campus ultramoderne à Villers-lès-Nancy. Est-ce un atout pour recruter ?

Avec la crise sanitaire, nous n’avons pas encore pu inaugurer notre nouveau campus de Villers-lès-Nancy représentant 9,9 millions d’euros d’investissement. Ses 7 000 m² rassemblent depuis un an et demi les équipes de toutes les filiales du groupe Welcoop implantées dans l’agglomération nancéienne, soit 330 personnes. Il y a les équipes de Pharmagest, mais aussi du groupement d’officines Objectif Pharma, du laboratoire de parapharmacie Marque Verte, etc.

"Pharmagest a la chance de travailler dans un domaine noble, utile à la société, pour autant nous visons clairement la rentabilité."

Le groupe a souhaité se doter d’un siège attractif susceptible de séduire les talents. Le campus est équipé d’une salle de sport, d’un restaurant avec un petit jardin attenant, d’un amphithéâtre de 300 personnes, d’un autre de 40 personnes. La coopérative Welcoop compte actuellement 74 postes ouverts en France dont 25 sur son siège de Villers-lès-Nancy, principalement des postes d’ingénieurs informatiques, de commerciaux ou encore de formateurs.

Nancy est une ville à taille humaine intéressante pour attirer des compétences. C’est une ville de mathématiques marquée par des figures comme Henri Poincaré et plusieurs membres du groupe Bourbaki. La ville forme des nombreux ingénieurs (Télécom Nancy, Epitech, Polytech Nancy) et compte beaucoup de centres de recherche. Nous avons d’ailleurs investi dans le savoir-faire de deux start-up issues de laboratoires de l’Université de Lorraine. Il s’agit de Dialectic, acteur des systèmes prédictifs de l’évolution de l’état de santé des patients et de Sailendra qui travaille sur le comportement des acheteurs sur internet.

Vous positionnez l’humain au cœur de votre stratégie. Que pensez-vous du statut d’entreprise à mission, proposant de concilier recherche de la performance économique et contribution à l’intérêt général ?

Le statut d’entreprise à mission issu de la loi Pacte de 2019 engendre un système artificiel dans lequel les sociétés peuvent se satisfaire de cocher des cases. Selon moi, ce statut est trop ambigu. Il laisse supposer que l’entreprise exerce une activité à but non lucratif. Pharmagest a la chance de travailler dans un domaine noble, utile à la société, pour autant nous visons clairement la rentabilité. C’est un moteur. On ne peut pas investir sans résultats. Pharmagest n’a fait qu’investir depuis sa création : nous étions trois personnes au départ de l’aventure et nous comptons aujourd’hui 1 200 collaborateurs.

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