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Norske Skog Golbey : "Si nous voulions gagner de l’argent, on arrêterait une machine dès aujourd’hui"
Interview Vosges # Industrie

Yves Bailly PDG de Norske Skog Golbey "Si nous voulions gagner de l’argent, on arrêterait une machine dès aujourd’hui"

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Avalant un térawattheure d’électricité par an sur son site de Golbey, dans les Vosges, le papetier Norske Skog traverse une situation plus que délicate en raison de la hausse historique des coûts de l’énergie. Pour tenir, l’électro-intensif norvégien répercute tant bien que mal.

Yves Bailly, PDG de Norske Skog Golbey, revient sur les difficultés économiques liées à la flambée des prix de l'électricité en Europe — Photo : Lucas Valdenaire

Quelle est la conséquence de l’explosion actuelle du prix de l’électricité sur les finances du site Norske Skog de Golbey (CA 2021 : 220 M€ ; 355 salariés), engagé par ailleurs dans un vaste programme d'investissements ?

Une entreprise comme la nôtre consomme un térawattheure d’électricité chaque année. Donc chaque euro de variation du prix, c’est un million d’euros en plus ou en moins sur notre compte de résultat. Sur le marché, le prix du mégawattheure d’électricité a franchi les 500 euros (68 euros au 14 juin 2021 à titre de comparaison, NDLR). Nous consommons 1,8 mégawattheure d’électricité par tonne de papier produit, je ne sais pas comment nous allons produire notre journal si les prix ne baissent pas. Nous avons beau avoir un certain volume protégé par du "edging" (achats à long terme, NDLR), c’est-à-dire que nous achetons à chaque fois qu’il y a des prix intéressants sur le marché, mais ce sont toujours des paris. Nous avons parfois "edgé" à 300 euros, mais si le marché redescend à 100, je perds 200 euros et tous les clients me tombent dessus.

Vous participez également au consortium Exeltium permettant aux industriels électro-intensifs de bénéficier d’un prix fixe de l’électricité sur plus de vingt ans. Cela ne suffit-il pas ?

Si nous réussissons à récupérer quelques dizaines de mégawattheures au prix de ce contrat, cela ne représente jamais la totalité de nos besoins. Même si nous en récupérons un tiers payé à seulement 50 euros, il nous en reste toujours les deux tiers à acheter sur le marché.

Face à cette situation, envisagez-vous d’arrêter la production de papier journal ?

Nous suivons le marché du prix de l’électricité au jour le jour. Des variations de 20 euros sur le mégawattheure peuvent représenter 20 millions d’euros en plus ou en moins à la fin de l’année. Alors oui, si demain nous n’arrivons plus à répercuter nos prix pour gagner de l’argent, nous arrêterons. Dans nos conditions générales de vente, il existe un cas de force majeure selon lequel nous ne sommes pas censés vendre à perte, mais nous n’avons pas le choix. Si je couvre certains volumes d’électricité à des prix insensés comme 300 euros, nous nous retrouvons, avec les matières premières, aux alentours de 800 euros. À ce prix-là, je peux encore planifier mes productions, je ne vais pas perdre d’argent. En revanche, avec un mégawattheure à 500 euros et un coût par tonne produite à 900 euros, aucun client ne serait d’accord pour acheter ma tonne de papier à 1 300 euros.

Que dites-vous à vos clients ?

Lors des négociations, je dis à certains que si nous avions vraiment voulu gagner beaucoup d’argent, nous aurions arrêté nos deux machines pendant un trimestre. Nous aurions récupéré deux ou trois fois plus d’argent que l’année dernière complète, rien qu’en revendant nos volumes d’électricité. Mais le problème, évidemment, c’est que si nous le faisions vraiment, nous n’aurions plus de clients. Si nous voulions vraiment optimiser nos résultats, j’arrêterais une demi-machine dès aujourd’hui car elle produit à perte. Nous ne sommes pas des philanthropes. Un site à un milliard d’euros d’investissements comme celui de Golbey, s’il n’est pas performant, vous le fermez. Nous avons une autre usine en Autriche qui produit son électricité avec des turbines à gaz. Ils arrêtent régulièrement la production, et ce malgré des surcharges et un prix de vente du papier journal à 1 000 euros la tonne contre 500 euros encore récemment. Pour l’instant, à Golbey, nous avons des prix de vente qui permettent de couvrir les coûts.

Pour limiter votre facture d’électricité, discutez-vous avec votre fournisseur ?

Nous avons mis en place un dispositif d’interruptibilité l’an dernier. C’est donc RTE (gestionnaire du réseau de transport d'électricité haute tension français, NDLR) qui décide, en cas de tension sur le réseau, d’appuyer sur le bouton. En cinq secondes, il peut déconnecter les 225 000 volts qui arrivent à l’usine et arrêter toute la production pendant une heure ou deux. Grâce à ce genre de soumissions, nous avons quelques millions d’euros de compensation. L’an dernier, nous n'avons eu aucun bénéfice sur la fabrication de papier journal vu le niveau des couts de production, et ce sont ces mécanismes contraignants qui nous permettent de tenir.

À quelles autres hausses de prix devez-vous faire face aujourd'hui ?

Nos fournisseurs de produits chimiques ne s’embarrassent pas. Ils nous disent c’est comme ça ou c’est rien. Et certains baissent les volumes qu'ils nous vendent. Sans compter que nous allons devoir arrêter nos machines à plusieurs reprises car nous ne trouvons plus de papier ni de bois récupéré. Nous devons maintenant importer notre bois d’Irlande. Nous ne pouvons pas vendre à perte dans des proportions astronomiques. Des machines complètes perdent de l’argent et il va falloir en mettre sur pause. Nous disposons d’une capacité théorique de production de 580 000 tonnes de papier journal par an, nous allons peut-être n'en fabriquer que 530 000 tonnes cette année. Ce qui ne nous empêchera pas de dépasser en 2022 les 300 millions d'euros de chiffre d'affaires (contre 220 millions d'euros en 2021 et 188 millions d'euros en 2020, NDLR).

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