Meurthe-et-Moselle
Noremat : "Avec la loi sur l'industrie verte, la France cherche à construire un bunker sur une plage"
Interview Meurthe-et-Moselle # Industrie

Christophe Bachmann dirigeant du groupe Noremat "Avec la loi sur l'industrie verte, la France cherche à construire un bunker sur une plage"

S'abonner

Dirigeant du groupe Noremat (CA : 78 M€ ; 320 salariés), Christophe Bachmann voit arriver la loi sur l’industrie verte avec inquiétude. Ce chantier législatif français sera supplanté par les normes européennes, estime le constructeur de machines destinées à l’entretien des accotements routiers installés à Ludres, près de Nancy.

Christophe Bachmann a lancé en 2020 sa filiale Maneko pour reconstruire et rénover du matériel de voirie — Photo : Archives - Le Journal des Entreprises

Les contours du futur projet de loi sur l’industrie verte vont être dévoilés par le gouvernement. Qu’est-ce qui vous paraît problématique dans ce texte ?

Avec ce texte, la France est en train de construire un bunker sur une plage. Nous allons dépenser de l’énergie à construire des labels français, des normes françaises et des référentiels français. Sauf que pendant qu’on construit ça, il y a un tsunami normatif, législatif, ainsi qu’en termes de taxonomie, qui est en cours au niveau de l’Europe. Bruxelles, dans le cadre de son Green Deal, a mis en place une transformation systémique de la finance et de l’industrie européenne. C’est très bien d’avoir un vrai plan d’ensemble, à l’échelle de l’Europe, avec des objectifs ambitieux sur la réduction des émissions de carbone pour aller vers la neutralité ou encore pour réduire l’artificialisation des sols. Mais ce que nous construisons en France ne répond que partiellement aux exigences de Bruxelles. Au final, on va dépenser de l’énergie à faire un petit label français pour le marché franco-français, sans se soucier du chantier mené au niveau européen.

Faut-il, alors, attendre que la norme européenne s’impose pour ensuite la transposer en droit français ? Est-il urgent d’attendre ?

Non ! Voulons-nous subir les normes allemandes ? J’appelle l’État à faire travailler les filières ensemble, c’est-à-dire les bureaux d’études, constructeurs, réseaux de distribution, loueurs, prestataires, donneurs d’ordre, ceux qui recycleront, ainsi que les éditeurs informatiques qui suivent aussi tout ça. Qu’est-ce que la performance environnementale dans mon métier, dans ma filière ? Comment je pourrais justifier dans trois ans que mon produit répondra aux futurs indicateurs européens ? Attendre, construire un bunker, c’est une solution. Cela dit, je choisirais plutôt d’impliquer les industriels français et les syndicats français dans les structures européennes, de type EFRAG -les groupes consultatifs européens sur l’information financière- qui travaillent là-dessus. Il faut surfer sur la vague parce que c’est un véritable tsunami qui se prépare. Et c’est une opportunité au niveau du durable.

Certains pays européens travaillent-ils déjà dans ce sens ?

Nous avons appris, la semaine dernière que l’Allemagne veut créer son Amazon de l’industrie, avec des groupes comme Siemens, Bosch… Actuellement, il y a une norme, qui englobe les balayeuses, le matériel de déneigement et nos machines, construites chez Noremat. Nous sommes le seul constructeur français à être allé en Allemagne lors des premières réunions qui se sont tenues sur la révision de cette norme. En face, il y avait des Allemands, très organisés, qui ont bien compris que c’était l’opportunité de revoir les normes et d’imposer leurs indicateurs à eux. Dans ces réunions de normalisation, il y avait des structures d’État allemandes. À mes côtés, je n’avais aucun représentant de l’État.

Le risque est-il donc que les pays qui vont se saisir du chantier européen, et notamment les Allemands, vont imposer leurs normes ?

Imaginons, un acheteur allemand. Demain, je viendrai avec machine reconstruite en France, avec un label vert français. À quelle norme fera-t-il référence ? Le risque de protectionnisme est évident ! On nous demandera donc d’aller vers une norme pour ensuite revenir à une autre. La date butoir est connue : c’est dans trois ans. Sur la taxonomie, l’EFRAG se donne trois ans pour aligner les 40 filières européennes. Sur les normes techniques, les normes métiers, on se donne trois ans pour les réviser. Donc on connaît la deadline, on connaît les grands objectifs, est-ce qu’on n’a pas plutôt intérêt à travailler ensemble pour accélérer et être prêts ? Aucune entreprise n’a de l’énergie à dépenser pour rien, dans un développement de nouveaux labels qui ne seront pas reconnus dans trois ans.

Avec votre filiale Maneko (CA : 2,3 M€ ; 30 salariés), vous avez pris résolument le virage de l’économie verte. Les résultats sont-ils à la hauteur de vos espérances ?

Sur toutes les thématiques liées à l’économie verte, au sein du groupe, nous sommes en avance. Mais, concrètement, comment puis-je les valoriser ? Aujourd’hui, notre filiale Maneko n’est pas encore rentable, du fait notamment des difficultés à recruter, de la lourdeur des investissements, et du temps nécessaire pour poser les référentiels nécessaires pour mettre sur le marché des machines reconditionnées. Prenons par exemple un grand donneur d’ordres, qui opère dans une grande métropole. Il souscrit à des obligations vertes, donc il sera assujetti aux déclarations extra-financières. Quels indicateurs va-t-il retenir pour ses achats ? Est-ce que ceux que j’ai préparés chez Maneko sont les bons ? D’où l’intérêt d’aligner les filières, autour d’un objectif fédérateur, l’environnement.

Meurthe-et-Moselle # Industrie # Banque # Services
Fiche entreprise
Retrouvez toutes les informations sur l’entreprise NOREMAT