Les ports lorrains se cherchent un avenir en commun
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Les ports lorrains se cherchent un avenir en commun

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Le 1er janvier 2021, les quatre ports publics lorrains, le long de la Moselle, seront gérés par une structure unique. Finie la concurrence stérile, les Voies navigables de France ont lancé la procédure pour faire rentrer un ou des acteurs privés dans la gestion de ces sites, touchés par une érosion spectaculaire du trafic. Le tour du dossier en quatre questions.

En 2018, la direction territoriale Nord-Est des VNF a investi 17 millions d'euros dans son réseau, soit 65% de son budget total — Photo : © VNF

1 - Pourquoi unir les quatre ports publics le long de la Moselle ?

Les données chiffrées rassemblées par les services de la direction territoriale Nord-Est des Voies navigables de France (VNF) sont implacables : le trafic sur la Moselle connaît une érosion impressionnante. Au début des années 2000 et jusqu’en 2005, le cumul des entrées et des sorties de marchandises à l’écluse frontière d’Apach, à la sortie de la Moselle vers le Nord, atteignait presque 10 millions de tonnes. En 2018, ce chiffre était de 4,5 millions de tonnes, pour un total de 5,6 millions de tonnes de marchandises transportées sur le réseau VNF de la direction territoriale Nord-Est. La majeure partie de ce trafic est constituée de produits agroalimentaires, des céréales pour 56 %. Les produits sidérurgiques (10 %) et les déchets de la métallurgie (10 %) sont toujours en régression. Une érosion spectaculaire que les services de la VNF sont sûrs de pouvoir enrayer : « Nous pouvons retrouver les 10 millions de tonnes sur la Moselle », assure Xavier Lugherini, responsable du pôle transport de l’action commerciale pour la direction territoriale Nord-Est des VNF. Et pour y arriver, la solution passe par l’unification : terminée la concurrence stérile entre les quatre ports publics lorrains que sont Thionville-Illange, Metz-Mazerolle, le Nouveau port de Metz et Nancy-Frouard. Désormais, le projet est de trouver un seul gestionnaire pour redynamiser l’ensemble des sites, répartis sur 150 kilomètres du nord au sud. « Pour le futur délégataire, c’est un quasi-monopole », souligne Jean-Laurent Herman, dirigeant chez Rhenus Logistic et membre de la commission fluviale de Transport et Logistique de France. « Les CCI pouvaient revendiquer une impartialité à 100 % face aux clients, gros ou petits. » Exploités pendant près de 50 ans par des filiales de chambres de commerces, les ports ont été « bien gérés », insistent les services des VNF. Bien gérés, mais rien n’a permis d’enrayer l’érosion du trafic et de trouver d’autres sources de marchandises. « Nous sommes tout simplement face à l’effondrement d’un marché. Nous avons besoin de redynamisation et d’un effort commercial », résume Xavier Lugherini. Concrètement, aujourd’hui, les ports sur la Moselle ressemblent à un patchwork de neuf sites, quatre publics et cinq privés, affichant des situations hétérogènes : au point mort pour certains d’entre eux, jusqu’au premier port fluvial de France pour les céréales, à Metz.

2 - Comment va se dérouler la procédure pour trouver un gestionnaire unique ?

Depuis le 1er janvier 2019, deux structures sont chargées de la gestion des ports publics de la Moselle canalisée : pour ce qui concerne le port public de Nancy-Frouard, une prorogation a été accordée à la CCI Grand Nancy Métropole Meurthe-et-Moselle ; pour les ports de Metz et Thionville, c’est la société CFNR Transport, filiale du groupe allemand Rhenus Logistics, qui a été désignée. Une situation temporaire : à l’automne 2018, les VNF et la Région Grand Est ont constitué un syndicat mixte ouvert (SMO), puis ont lancé au mois d’avril un avis d’appel public à la concurrence pour créer la Semop, pour Société d’économie mixte à opération unique, structure à laquelle le syndicat déléguera la gestion et le développement des ports le 1er janvier 2021. « Pour comparer cette procédure avec les habitudes des milieux économiques, on pourrait faire l’analogie avec une joint-venture », détaille Xavier Lugherini. « Le syndicat mixte apporte les ports, le ou les acteurs privés amènent leurs savoir-faire en matière de gestion et leur capacité d’investissement. » Pour laisser les mains libres aux opérateurs privés, le SMO détiendra 34 % du capital de la Semop, quand la CDC, à travers sa filiale Banque des Territoires, en détiendra 15 %. Les candidats ont eu jusqu’au 28 juin pour se manifester : ensuite, les admissibles, connus le 28 juillet, auront jusqu’en novembre pour déposer une offre ferme. « L’attributaire sera désigné en mai, puis nous entamerons les négociations pour arriver à une convention autour du plan d’affaires en septembre », détaille Xavier Lugherini. Les grandes manœuvres autour de ce processus ont commencé en 2018, avec un appel à manifestation d’intérêt (AMI), imaginé pour tester le marché et l’appétence des différents acteurs du transport fluvial et de la logistique pour le projet. « L’AMI nous a permis de confirmer l’intérêt des acteurs privé », assure Xavier Lugherini.

3 - Quel potentiel pour le fluvial en Lorraine ?

À titre de comparaison, de l’autre côté des Vosges, les trois principales plateformes du Rhin supérieur que sont les ports de Strasbourg, de Colmar et de Mulhouse-Rhin enregistrent un trafic de près de 13 millions de tonnes. « Sans aucune optimisation, la capacité sur la Moselle est de 20 millions de tonnes », affirme Xavier Lugherini. Mais avant d’envisager un tel résultat, le premier enjeu est de redevenir visible pour les grands opérateurs de transport et les logisticiens. Les services des VNF sont partis d’un constat simple : « Les ports maritimes du Grand Est, ce sont Rotterdam et Anvers ». Donc pour relancer l’activité sur la Moselle, il faudra compter sur les besoins croissants de ces interfaces maritimes de dimension mondiale : 235 millions de tonnes de trafic en 2018 à Anvers et plus de 440 millions à Rotterdam. L’enjeu pour ces plateformes est de pouvoir acheminer des quantités énormes de marchandises par des terminaux intermodaux, connectés soit à la route, soit au fer, afin de pouvoir toucher des chargeurs le plus loin possible dans les terres. C’est le concept de « l’hinterland » ou zone d’influence et d’attraction économique d’un port. Dans ce schéma, les ports de la Moselle ont des complémentarités à faire jouer : les produits agroalimentaires à Metz, les matériaux à Thionville, la connexion avec le fer à Frouard et la pente « roll-on roll-off » à Cattenom, qui permet de faire passer sur la voie d’eau des colis très lourds. « Faire jouer la complémentarité et spécialiser les ports, c’est possible », estime Jean-Laurent Herman. « Mais il faut être clair : un privé sera là pour faire de l’argent. Donc les restructurations impliqueront des licenciements ». Pour jouer à fond la carte de la complémentarité des ports, le futur délégataire devra prévoir d’investir : l’avis de concession précise que « les investissements à la charge de la Semop au cours de la durée totale de la concession (30 ans, NDLR) seraient d’un montant estimatif de l’ordre de 75 millions d’euros ».

4 - La période est-elle favorable pour relancer la voie d’eau ?

Un simple coup d’œil de l’autre côté des frontières permet de mesurer le retard français en matière de transport fluvial : huit fois moins de marchandises transportées par rapport à l’Allemagne, six fois moins que les Pays-Bas, la France vient de se faire doubler par la Belgique et la Roumanie. La part modale du fluvial sur le territoire national n’est que de 3 %. Un chiffre qu’il faut tout de même relativiser : « Si l’on considère les régions « mouillées », c’est-à-dire desservies par un cours d’eau, cette part grimpe à 6 voire 7 % », souligne Xavier Lugherini. Début 2018, le rapport Duron, qui concentrait le travail du Conseil d’orientation des infrastructures, estimait qu’il manquait 100 millions d’euros d’investissement chaque année sur les 8 500 kilomètres du réseau de canaux et de rivières aménagées pour redresser la situation. Émettant quatre fois moins de CO2 par tonne transportée, le fluvial aurait pourtant une bonne carte à jouer face à un réseau routier saturé. Au niveau européen, les objectifs sont là : la feuille de route « Transports 2050 » fixe un report modal de 30 % de la route vers le ferroviaire et le fluvial à horizon 2030, et de 50 % à horizon 2050 pour les distances supérieures à 300 kilomètres. Mais le budget 2019 alloué aux VNF a été raboté de 33 millions d’euros, somme qui devait venir s’ajouter aux 80 millions d’euros déjà alloués par l’Agence de financement des infrastructures de transport. C’est une des clés du problème : l’État n’a plus les moyens d’investir et l’appel au privé est un recours nécessaire

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