« J'ai redressé mon entreprise en la libérant »

« J'ai redressé mon entreprise en la libérant »

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L'enjeu Jean-Claude Fringand a repris la Poterie Lorraine à la barre du tribunal. Pour redresser l'entreprise qui était enfoncée dans les difficultés, sa méthode a consisté à supprimer tous les échelons hiérarchiques. Aujourd'hui, il revient pour aider le repreneur.
— Photo : Le Journal des Entreprises

« Ma première entreprise était une blanchisserie industrielle que j'ai rachetée sans connaître le métier. Je ne me suis pas posé de question sur la méthode de management : je ne voulais pas de hiérarchie, pas de petits chefs. » Pour Jean-Claude Fringand, l'entreprise libérée, c'est-à-dire sans hiérarchie, n'est pas un concept ou une théorie : c'est une évidence. Sa blanchisserie multiplie son chiffre d'affaires par trois en 9 ans, embauche plus d'une centaine de personnes. « Nous avons été rachetés par un grand groupe : la direction était très embêtée de voir que nos résultats étaient supérieurs à ceux de tous les autres sites de France », s'amuse Jean-Claude Fringand.




Une poterie à reprendre

Début 2003, l'entrepreneur apprend que la Poterie Lorraine cherche un repreneur. L'entreprise est engluée dans un conflit social dur. « J'ai visité puis je suis parti aux sports d'hiver. Un jour avant la date limite de dépôt des offres de reprise, j'ai décidé de me lancer. » Jean-Claude Fringand met 1,2 M€ sur la table et demande à auditer les 104 salariés.




Plus de chef

« Pendant trois jours, de 7h à 22h, j'ai entendu des gens m'expliquer ce qui s'était passé : tous se sentaient responsables, tous dénonçaient la présence des chefs qui brouillent la transmission d'informations. C'était dans la droite ligne de ce que je voulais. Quelques jours plus tard, j'ai rassemblé les 52 salariés que je reprenais et je leur ai expliqué que désormais, il n'y aurait plus de chefs. Par contre, j'ai insisté sur le fait que je licencierai sans ménagement le premier qui oserait aller contre la bonne marche de l'entreprise. J'ai vu des visages graves, parce que d'un seul coup, tous ont compris qu'ils allaient porter l'entreprise sur leurs épaules. » Au final, seuls quatre salariés n'adhéreront pas aux principes édictés par Jean-Claude Fringand. En deux ans, ce dernier investit 5 M€ dans l'ergonomie des postes de travail et dans des chaînes de peinture. « Un jour j'ai demandé à un salarié à quoi servait une presse que personne n'utilisait au fond de l'usine. Il m'a répondu que c'était une presse à balconnière, mais que la terre utilisée pour nos pots n'allait pas. Je lui ai donné 15 jours pour trouver une recette. Trois jours plus tard, il revenait avec la solution et j'investissais dans une presse automatique. Idem avec la préparation de la terre. Auparavant, des ingénieurs et des chefs avaient décidé que la meilleure recette comprenait des produits chimiques. J'ai demandé à un salarié de faire des tests sans aucun produit chimique. Résultats, au bout de deux jours, moins de casse et plus d'intrants chimiques à payer. »




Des échanges et des sourires

Symbole d'un temps aujourd'hui révolu, le « mirador », trône encore au centre de l'usine. De là, les anciens chefs d'ateliers pouvaient surveiller tout ce qui se passait. Aujourd'hui, il est vide et poussiéreux : plus personne ne l'utilise. Visiter l'usine avec Jean-Claude Fringand est une expérience étonnante : des sourires, des échanges sur le ton de la plaisanterie ou très sérieux mais dont il ressort toujours quelque chose sur la marche de l'entreprise. « Je passe dans l'usine tous les jours. Je vois bien ce qui se passe. C'est d'homme à homme que je demande des explications. Et un salarié qui va m'expliquer un problème est sûr de ne pas se prendre une avoinée puisqu'il faut d'abord résoudre les problèmes pour la bonne marche de l'entreprise. » L'option de la peinture et des couleurs s'avère payante : de 300.000 pots par an, la Poterie Lorraine atteint 1 million dès la première année de la reprise puis jusqu'à 2,5 millions pour une production totale de plus de 10 millions de pots. « Les banquiers se sont souvent arrachés les cheveux avec moi et mes méthodes. Mais au final, ils y voyaient un intérêt économique, puisqu'une hiérarchie, ça coûte cher. » Jean-Claude Fringand a aussi immédiatement décidé d'intéresser les salariés, en leur cédant un tiers des résultats : « Et la femme de ménage touche la même chose que le directeur ». Vendue il y a deux ans, la Poterie Lorraine est à nouveau confrontée à des difficultés. Pourtant favorable à l'entreprise libérée, le repreneur n'a pas su trouver l'alchimie nécessaire avec les salariés. « Je suis revenu pour donner un coup de main », dévoile Jean-Claude Fringand. « La production a redécollé de 30 %, nous refaisons du stock ».

Poterie Lorraine



(Jeanménil - 88) Effectif : 54 CA : 5M€ Contact : poterie-lorraine.com