Fédération des Travaux Publics Lorraine : "Nous avons besoin de 3 000 personnes dans les trois prochaines années"
Interview # BTP

Thierry Ledrich président de la Fédération des travaux publics en Lorraine "Nous avons besoin de 3 000 personnes dans les trois prochaines années"

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Entre l’explosion des prix de l’énergie et l’érosion avancée des marges, le président de la Fédération des travaux publics en Lorraine, Thierry Ledrich, veut garder le cap sur les chantiers ouverts par la transition énergétique. Et mise sur un changement d’image des métiers des TP pour affronter le problème numéro un de la profession : le recrutement.

Thierry Ledrich est le président de la Fédération des travaux publics en Lorraine — Photo : Jean-François Michel

La crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine a fait augmenter les coûts des enrobés de 30 % en quelques mois. Comment les entreprises des TP vont pouvoir tenir ?

Les enrobés, ce sont des cailloux, du bitume et de la chaleur pour chauffer tout ça. C’est un chauffage au gaz, si bien que le métier dépend, dans son process de fabrication, du coût de l’énergie. L’explosion des prix est énorme, phénoménale, mais une partie de cette hausse est compensée, dans la commande publique, par les clauses de révision, chose qui n’existe pas dans les marchés privés. Donc le chiffre résiduel d’augmentation pour ce secteur d’activité, c’est 15 %. Pour tous métiers des travaux publics confondus, le coût de la production a augmenté de 10 % l’année dernière, et on attend 10 % de plus cette année.

Et vos marges sont-elles toujours à 3 % ?

Et les marges théoriques, celles qui ressortent de la DGFIP, sont de l’ordre de 3 %. Sur cette hausse moyenne de 10 % des coûts de production, il y a une partie non négligeable qui est couverte par la révision. Ensuite, dans certains cas, on a mis en place des demandes pour imprévision, prévue dans le Code civil : cela permet de poser des réclamations, d’augmenter des prix… On sauve les entreprises mais il y a bien quelqu’un qui paye à la fin. Et c’est la personne publique.

"Je suis persuadé que d’ici mi-2023, voire à la fin de l’année prochaine, des solutions de substitution au gaz auront été mises en place."

Faut-il s’attendre à des dégâts dans la filière ?

On ne pourra pas tenir longtemps comme cela, effectivement. Mais en parallèle de l’augmentation de la dépense, les recettes augmentent. Pas dans les mêmes proportions, mais le dégât global n’est pas de 10 %. Le dégât, c’est la suppression de la marge. Certaines entreprises ont un trésor de guerre et peuvent tenir. D’autres ne l’ont pas. Aujourd’hui, les entreprises utilisent la trésorerie qu’elles ont eue à travers les PGE. Le porte-monnaie est plein, il se vide, mais le problème arrivera quand il s’agira de rembourser le PGE. Jusqu’à présent, alors qu' a été mis en place le PGE, suite à la crise liée au Covid, les soldes de trésorerie restaient relativement stables. Les entreprises concernées avaient récupéré l’argent, mais elles ne piochaient pas dedans, et on pouvait imaginer qu’elles rembourseraient assez facilement. Là, maintenant, les dirigeants sont en train de piocher dans ce porte-monnaie, sur leur compte courant en banque. Le risque est que cette avance de trésorerie se transforme en perte parce qu’elles n’ont pas réussi à récupérer de marges. On le saura au moment des bilans, au mois de mars 2023.

Vous venez d’annoncer devant vos adhérents que vous voyez la vague de surcoût de l’énergie prendre fin à l’été 2023. C’est une annonce ?

C’est mon interprétation. Les dirigeants européens estiment aujourd’hui que le gaz ne doit pas être vendu aux prix actuels. Certains producteurs d’énergie sont en train de s’enrichir de manière non justifiée. En prélevant ces acteurs, il sera possible de réinjecter cet argent dans le système, et notamment d’aider les bas salaires. Je suis persuadé que d’ici mi-2023, voire à la fin de l’année prochaine, des solutions de substitution au gaz auront été mises en place. On a déjà commencé à diminuer notre dépendance au gaz. On ne reviendra pas au prix d’avant. Mais on va arrêter de continuer à augmenter à raison de 10 % par an. Aujourd’hui, nous sommes dans une passe difficile et il faut réussir à la franchir, mais les jours devraient être un peu meilleurs.

"Le but du jeu, c’est bien d’arriver finalement à une forme d’équilibre, tout en allant vers ce que tout le monde appelle de ses vœux, la sobriété carbone."

Vous expliquez qu’il faudrait 20 milliards d’euros par an jusqu’en 2050 et 40 % d’augmentation du chiffre d’affaires consacré aux TP pour arriver à la neutralité carbone. Où va-t-on trouver cet argent ?

Ces montants ont été donnés par l’OFCE et le cabinet Carbone 4 (Cabinet de conseil spécialisé sur la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatique), sur notre sollicitation. Nous leur avons fourni un scénario "sobriété" voire décroissance, et un scénario plutôt "pro techno", croissance, etc. Au final, quel que soit le scénario, on arrivait à 20 milliards d’euros par an. Bien sûr, il faut être conscient qu’il va falloir trouver de l’argent. Mais commençons par arrêter de raisonner en simples dépenses. Prenons un exemple : les réseaux d’eau. Aujourd’hui, un milliard de mètres cubes d’eau partent dans le sol chaque année. Un mètre cube d’eau coûte soit 3 €. chaque année, nous gaspillons donc trois milliards d’euros, en France. Ces trois milliards d’euros pourraient être utilisés pour rembourser un emprunt qui permettrait de faire des travaux tout de suite sur 20 ou 30 ans, et de boucher les fuites. Le problème serait réglé. Le but du jeu, c’est bien d’arriver finalement à une forme d’équilibre, tout en allant vers ce que tout le monde appelle de ses vœux : la sobriété carbone.

Comment allez-vous résoudre les problèmes de recrutement du secteur pour faire face à ce défi ?

Les entreprises se font concurrence pour recruter. Mais ce n’est pas en faisant des transhumances entre les différentes entreprises, qu’on arrivera globalement à augmenter les effectifs de 40 %. Donc il faut accroître le vivier. L’enjeu, ce n’est pas de rendre nos métiers intéressants, mais de les faire connaître. Il faut agir au niveau des lycées, des collèges, pour expliquer, avec des visites de chantier ou des journées de visite virtuelle, en accord avec le rectorat. En plus de la cible finale, les jeunes et les demandeurs d’emploi, il est aussi très important de s’attaquer aux cibles intermédiaires que sont les parents, les directeurs d’école, les conseils d’orientation, les conseillers de Pôle Emploi, qui, ne pensent pas toujours à conseiller nos métiers.

La filière TP en Lorraine, c’est 12 500 salariés et 25 000 dans le Grand Est. Quels sont vos besoins ?

En 3 ans, au niveau national, nous allons renouveler environ 25 % de nos effectifs, du fait de la pyramide des âges. Cela, sans compter les besoins liés à la transition écologique. En France, 300 000 personnes travaillent dans les TP, donc nous devons trouver 75 000 personnes dans les trois ans. Et l’effet induit de la transition écologique, c’est 200 000 emplois supplémentaires. En Lorraine, c’est 3 000 emplois dans les trois prochaines années.

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