Face aux géants de la fibre, la PME Opty-Fibre s’appuie sur la Bourse
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Face aux géants de la fibre, la PME Opty-Fibre s’appuie sur la Bourse

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Sur des marchés qui se chiffrent en millions et face à des acteurs qui jouent la consolidation, Opty-Fibre, une petite PME vosgienne qui conçoit et construit des réseaux de fibre optique, veut se différencier de la masse des sous-traitants en s’introduisant en Bourse.

Pour continuer sa trajectoire de croissance, Opty-Fibre devra embaucher entre 15 et 20 personnes d'ici à l'exercice 2020 — Photo : © Opty-Fibre

Un investissement total de 20 milliards d’euros privés et publics, dont 3,3 milliards de subventions de l’État : lancé en 2013 par le gouvernement de François Hollande, le plan « France Très Haut Débit » a pour ambition de fournir à tout le territoire un accès à internet avec un débit d’au moins 30 Mbit par seconde, en 2022. Ce plan vise notamment à tourner la page du cuivre, usé jusqu’à la corde, en bout de course technologiquement, et qui fait aujourd’hui fonctionner l’immense majorité des lignes ADSL permettant d’accéder à internet. Pour parvenir à l’objectif, toutes les technologies sont sur la table, mais la plus prometteuse s’appelle la fibre.

Loin des cabinets parisiens et des décideurs, sur le terrain, ce sont des petites PME qui construisent les réseaux du futur. À Saint-Dié-des-Vosges, Loïc Vievard, un ancien responsable d’activité chez Sogetrel, acteur majeur de la fibre en France, a décidé de lancer sa propre entreprise en 2014 : Opty-Fibre. Rejoint par Pascal Henry, spécialisé dans la conception des réseaux de fibre, Loïc Vievard s’attache à prendre des marchés qui n’intéressent personne. Et ça fonctionne : après un premier exercice bouclé sur 350 000 € de chiffre d’affaires, Opty-Fibre affiche aujourd’hui 2,6 millions d’euros de CA pour un résultat net de 226 000 €.

Le prévisionnel est à l’avenant : pour l’exercice 2021-2022, la société veut atteindre 5,1 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 600 000 € de résultat net. La société a déjà ouvert une agence à Dijon, et attend la bonne opportunité pour s’installer à Chambéry et Clermont-Ferrand, des villes depuis lesquelles Opty-Fibre entend prendre des marchés dans des zones rurales, habituellement moins concurrentielles. « Mon objectif, c’est d’arriver dès le prochain exercice à 10 % de résultat net », détaille Loïc Vievard. « La première raison, c’est parce que ça sonne bien. Quand on peut dire à son banquier ‘je fais 10 %’, c’est mieux que 9 », s’amuse le dirigeant, qui cache sous un air bonhomme une vraie détermination : « Aujourd’hui, mon objectif est de construire les murs qui permettront à l’entreprise de ne pas s’écrouler ».

Quel place pour les petits ?

Dans le secteur des télécoms et de la construction des réseaux, l’heure est à la consolidation : le 28 juin dernier, c’est la société messine Capecom qui entrait dans le giron du groupe Circet, qui affiche désormais 640 millions d’euros de chiffre d’affaires, plus de 3 000 collaborateurs, et pèse 10 % du marché des infrastructures télécoms. « En cinq ans, nous aurons multiplié par six notre chiffre d’affaires », soulignait alors Philippe Lamazou, président du groupe Circet. « Notre croissance organique et externe de ces dernières années a été portée par la consolidation de notre secteur accompagnée d’un changement de modèle industriel, par les investissements soutenus des opérateurs, ainsi que par l’arrivée de CM-CIC Investissement en tant qu’actionnaire de référence de notre groupe. »

Dans le Grand Est, tournant le dos aux déclarations du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, qui avait prévenu au printemps 2017 qu’on ne mettrait pas la fibre « partout jusqu’au dernier kilomètre, dans le dernier hameau », tout en plaidant pour une solution mixte avec la 4G, la Région a fait le choix de lancer le plus grand réseau d’initiative publique de France : 1,3 milliard d’euros d’investissement pour déployer 1,5 million de prises connectées au très haut débit.

Résistant à la pression exercée par SFR, qui avait menacé à l’époque de construire son propre réseau si son offre n’était pas retenue, la Région a désigné NGE, allié à Altitude Infrastructure, pour concevoir, construire et commercialiser ce réseau baptisé « Losange ». Et le financer : le groupe de BTP basé à Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, qui revendique 9 500 collaborateurs et a réalisé 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires, a rassemblé 900 millions d’euros pour construire « Losange ».

Des marchés gigantesques, des sociétés qui grossissent à toute vitesse : y a-t-il encore de la place pour les petits ? « Ces mouvements de consolidation ne nous font pas peur », assure avec flegme Pascal Henry, le directeur associé d’Opty-Fibre. « Même les plus gros donneurs d’ordres ne pourront pas embaucher 10 000 personnes pour couvrir les besoins. Au contraire, plus les acteurs deviennent gros, plus ils auront recours à la sous-traitance. » Pour se distinguer dans ce paysage en pleine recomposition, les dirigeants d’Opty-Fibre viennent de prendre une décision étonnante : s’introduire en Bourse.

« J’ai rencontré le banquier d’affaires Louis Thannberger lors d’une conférence sur la Bourse. Et je me suis toujours dit que cela pourrait être une étape dans le développement de la société », détaille Pascal Henry. « Mais comme tout le monde, je pensais que nous n’avions pas la taille nécessaire. » Les arguments de Louis Thannberger auront raison des dernières réticences des deux associés : « Aujourd’hui, je ne vois même pas comment faire autrement », avance Loïc Vievard. « Je veux rester maître à bord, je ne veux pas me lier les mains avec un financier, un LBO me paraît trop hasardeux et je ne peux faire appel sans cesse au crédit bancaire. Ce qui me plaît beaucoup avec la Bourse, c’est qu’on y parle de l’avenir ».

Le recrutement, le premier défi du secteur

Pour Opty-Fibre, l’avenir passe d’abord par la finalisation de l’introduction sur le marché, a priori sur Euronext Growth, qui devrait intervenir en mai, pour une valorisation qui devrait tourner autour de 6 millions d’euros, « soit 12 fois le bénéfice net », précise Louis Thannberger. « Pour l’instant, nous n’avons pas besoin d’argent pour financer notre croissance », assure Pascal Henry. « Mais une fois qu’on sera en Bourse, la possibilité sera ouverte. »

Comme toutes les autres entreprises du secteur, l’enjeu du développement d’Opty-Fibre repose aujourd’hui sur la ressource humaine. « Le défi n°1 est le recrutement et la formation de 16 000 collaborateurs d’ici 2022 », rappelait Étienne Dugas, le président d’InfraNum, structure rassemblant les partenaires des « infrastructures du numérique », de passage à Nancy en décembre dernier pour une assemblée générale délocalisée. Les derniers chiffres publiés par InfraNum estiment que 28 000 personnes seront employées directement en 2022 pour le déploiement des réseaux de fibre optique, dont 35 % dans le raccordement.

Pourtant, le métier n’attire pas : « J’ai posté récemment un message sur les réseaux sociaux en promettant un entretien d’embauche à toutes les personnes intéressées », révèle Loïc Vievard. « Résultat : pas une seule réponse… ». Sur les 48 collaborateurs d’Opty-Fibre, pas un seul ne vient du métier. « Le meilleur vecteur pour recruter, c’est le bouche-à-oreille », assure Pascal Henry. « Nous recrutons tout simplement des gens qui ont envie de travailler. » Après la fibre, c’est la 5G qui devrait assurer la croissance de l’activité des constructeurs de réseaux. « La Bourse ne se trompera pas », assure Louis Thannberger : « Cela ne peut que monter ».

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