Espionnage industriel : Nos PME sont-elles menacées ?

Espionnage industriel : Nos PME sont-elles menacées ?

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Les deux stagiaires chinois pris en train de photographier un prototype chez Converteam l'ont rappelé aux chefs d'entreprises de Lorraine : l'espionnage industriel n'est pas un fantasme. Dans les secteurs sensibles, la menace est considérée avec beaucoup de sérieux.
— Photo : Le Journal des Entreprises

L'histoire se passe au début des années 90, dans un laboratoire de Montpellier. Un peu à contrecoeur, un chercheur français accueille une stagiaire chinoise et lui laisse une semaine pour trouver un thème pour une future thèse. «Trois heures après, l'étudiante revenait avec deux pages pleines: la copie conforme de notre programme de recherche», raconte Dominique Lupinski, président de Cristal Laser, à Messein. Au menu: la croissance des cristaux non-linéaires, comme le KTP (Phosphate de Potassium et de Titanyle) ou encore la synthèse d'autres matériaux non linéaires comme KTA, RTA et RTP. «Dans les années 90, lorsque nous avons créé la société, nous étions à peu près les seuls au monde à travailler sur ces sujets. Cette étudiante était donc programmée pour venir en stage chez Cristal Laser. Pas de chance, elle a atterri à Montpellier», s'amuse Dominique Lupinski. L'affaire Converteam (lire par ailleurs) a mis en lumière ce domaine flou, entre intelligence économique et espionnage industriel, où les affaires se règlent en toute discrétion. En Lorraine, les acteurs du domaine se sont regroupés depuis décembre2006 au sein du Réseau lorrain de l'intelligence économique (ReLIE). Avec un problème majeur: le réseau est animé par 3i Lorraine et son futur dépend donc de la volonté politique et des finances régionales. Pourtant, tous secteurs confondus, les entreprises lorraines restent peu concernées: une étude menée par la CRCI montre que 75% d'entre elles n'avaient engagé aucune démarche dans le domaine de l'intelligence économique. Directeur commercial chez LBI, Jean Wintzer sait cependant que l'espionnage industriel n'est pas un fantasme: «Il y a maintenant 30 ans, un de nos clients a livré certaines informations à nos concurrents. Cette histoire a laissé des traces». Sa société, spécialisée dans la centrifugation des métaux non ferreux, travaille notamment pour l'armement et l'aéronautique, et détient un savoir-faire très surveillé: «Nous avons une tradition du secret par rapport à notre technique de production. Nos clients ont des droits, mais ils pourront comprendre uniquement certaines notions techniques. Pas plus», révèle Jean Wintzer.




«Un doux équilibre»

Les stagiaires chez LBI sont peu en relation avec la technique, les salariés ont un engagement de discrétion à signer, le parcours de notoriété est très strict, le système informatique de l'entreprise est régulièrement audité: «On s'expose le moins possible, mais rien n'est sûr à 100%», précise Jean Wintzer. L'enjeu est de trouver un «doux équilibre», qui permet de «montrer aux clients le savoir-faire», sans dévoiler les aspects techniques qui font le coeur de métier de la société. Spécialisée dans les industrialisations difficiles du métier du tube, la PME Quatub venait de développer un process de cintrage inédit. «On avait déposé les brevets, mais nous n'avions pas les reins assez solides pour nous défendre», raconte Arnaud Delaite. Rapidement, «nous avons retrouvé notre process, avec quelques petites modifications, chez les poids lourds du secteur». Depuis, l'entreprise utilise le principe de l'enveloppe Soleau. Peu contraignant et peu coûteux, cet outil permet de prouver l'antériorité d'une création intellectuelle. Déposée à l'INPI, l'enveloppe Soleau ne confère pas de droit exclusif sur une invention, mais permet de continuer à l'exploiter. «Les brevets nous coûtaient chers et ce système permet de prouver que nous étions les premiers», souligne Arnaud Delaite. Ancien de l'aéronaval, Didier Spannagel, le directeur de Technopoint, sait parfaitement ce que signifie «culture du secret». Spécialisée dans la fabrication de bobinage non standard, l'entreprise a la «chance de travailler sur une niche qui n'intéresse pas trop les gros», précise Didier Spannagel. Il n'empêche: «Il nous arrive de recevoir des mails étranges, mentionnant des références fabriquées dans notre société et théoriquement impossible à connaître». Système informatique verrouillé, cloisonnement étroit dans l'atelier, accès limité aux produits, l'accès au coeur de métier de Technopoint n'est pas aisé. «Je ne prends que des stagiaires que je connais», précise Didier Spannagel. «Et avant de les accepter, je mène une enquête sur eux.» Espionnées plutôt qu'espionnes, les entreprises lorraines? Pas sûr: ainsi, ce cadre messin dans la logistique, qui explique avoir décroché un stage chez un concurrent pour déceler les failles dans le circuit de distribution. «Au final, nous avons obtenu le marché...» Où s'arrête l'intelligence économique, où commence l'espionnage...