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Boris Ravignon : "La Région Grand Est va muscler ses outils de financement des entreprises"
Interview Grand Est # Collectivités territoriales

Boris Ravignon vice-président de la Région Grand Est en charge de l’économie "La Région Grand Est va muscler ses outils de financement des entreprises"

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Communauté européenne d’Alsace, écotaxe, transition écologique et projets industriels : le nouveau vice-président en charge de l’économie à la Région Grand Est Boris Ravignon fait le point sur ses premiers dossiers d’actualité, quinze mois après le début de la crise. L’occasion de dresser un bilan de santé des entreprises régionales et d’annoncer le déblocage de 375 millions d’euros de soutien en fonds propres ou quasi-fonds propres pour les accompagner dans la reprise.

Boris Ravignon, vice président de la Région Grand Est, pilote le lancement de prêts participatifs que pourront solliciter les entreprises du Grand Est d'ici à la fin de l'année — Photo : Carl Hocquart - Villes de Charleville-Mézières

Deux mois après l’élection régionale et votre nomination en tant que vice-président à l’économie du conseil régional du Grand Est, quels sont vos chantiers les plus urgents ?

La priorité, c’est de réussir la sortie de crise. La Région a été extraordinairement présente aux côtés des entreprises tout au long de la crise en mobilisant des solutions originales qui ont fait école dans le reste du pays. Je pense au Fonds Résistance qui a permis de soutenir celles qui ne l’auraient pas été autrement, celles qui ne rentraient pas forcément dans les critères du Fonds de solidarité national. Bref, nous avons comblé les trous dans la raquette. Nous avons mobilisé 20 millions d’euros pour aider 1 400 entreprises. Nombre d’entre elles faisaient partie du tissu associatif régional qui a, habituellement, bien du mal à être soutenu. Ce fonds a également permis à l’ensemble des acteurs du Grand Est d’agir ensemble : Région, Banque des Territoires, Départements et intercommunalités. Une méthode de travail collectif qui nous sera utile par la suite. Mais aujourd’hui, nous arrivons à un moment où ce Fonds Résistance est de moins en moins sollicité. Nous n’avons reçu qu’une dizaine de demandes en juillet contre plus d’une centaine en avril. Nous avons donc décidé d’y mettre un terme le 13 août pour passer à un autre dispositif de financement qui nous semble plus adapté à la réalité du moment.

"Dès la séance du 23 juillet 2021, nous avons validé une première enveloppe de 375 millions d'euros de soutien en fonds propres et quasi-fonds propres pour les entreprises du Grand Est"

La reprise n’est pas uniforme mais pour certaines entreprises, elle est forte. Elles ont donc besoin d’investir. Ainsi, pour que la Région soit le quartier général de la reprise et du retour à la vie normale, comme le dit Jean Rottner, nous allons muscler nos outils de financements.

La Région va donc intervenir en fonds propres dans les entreprises du Grand Est ?

En effet, dans le Business Act (plan de relance régional voté le 9 juillet 2020, NDLR), nous avions déjà identifié ces problèmes de financement et avions fixé l’objectif de dégager 500 millions d’euros de soutien en fonds propres et quasi-fonds propres pour les entreprises du Grand Est. Et nous n’avons pas perdu de temps car, dès la séance du 23 juillet 2021, nous avons validé une première enveloppe de 375 millions d’euros. Nous avons passé un accord avec le Fonds européen d’investissement qui s’apprête à lancer un appel à manifestation d’intérêt pour des réseaux bancaires du Grand Est. Ce sont eux qui vont distribuer des prêts participatifs de 50 à 500 000 euros garantis par la Région à 80 %. L’enjeu est crucial. Les entreprises qui ont besoin d’investir pour faire face à la demande doivent pouvoir le faire.

Quels seront les secteurs d’activité concernés ?

Tous les secteurs, hormis l’agriculture qui peut solliciter d’autres dispositifs. L’idée est d’accompagner la reprise de manière très large.

Quel est le calendrier ?

L’appel à manifestation d’intérêt sera lancé dès la rentrée de septembre pour que les premiers prêts participatifs soient discutés dès la fin de cette année 2021.

L’ancienne vice-présidente en charge de la compétitivité, de l’innovation et du numérique Lilla Merabet ne siège plus au conseil régional du Grand Est toujours présidé par Jean Rottner — Photo : Jean-Luc Stadler

Les Prêts rebonds, destinés aux PME en difficulté, vont-ils bientôt disparaître ?

Non, ces Prêts rebonds restent disponibles pour accompagner certains secteurs encore en difficulté.

La Collectivité Européenne d’Alsace (CEA), née le 1er janvier 2021 de la fusion des deux départements, n’a pas de compétence économique mais se veut en charge de la cohésion sociale et donc de l'emploi. N’y a-t-il pas un risque de confusion avec les prérogatives de la Région ?

Je ne crois pas. Nos compétences sont clairement définies. Nos concitoyens ne veulent pas des polémiques mais des actions. Chacun connaît son rôle et nous devons trouver, partout où cela est nécessaire, les moyens de coopérer.

Comment abordez-vous cette nouvelle relation avec la CEA ?

Je la vois très apaisée. Nous travaillons déjà dans différents cadres avec la CEA. Je pense notamment à l’Adira, l’agence de développement d’Alsace, présidée par Monsieur Bierry, également à la tête de la CEA. Voilà un exemple de travail en commun mais chacun dans ses compétences au service des territoires. Et je compte bien poursuivre ce travail.

"Nous devons accompagner et organiser la transition du secteur automobile qui est un secteur fondamental pour notre région"

La CEA a décidé d’appliquer une écotaxe sur son autoroute A35 d’ici 2024. Pour éviter un report du trafic européen sur l’A31, les élus lorrains ont récemment obtenu l’autorisation de faire de même. La Région Grand Est a-t-elle son mot à dire ?

Oui, et c’est un sujet sur lequel nous nous sommes positionnés. Nous devons absolument limiter les impacts sur les acteurs locaux et donc éviter des surcharges qui ne sont pas acceptables sur nos axes. Sans parler de l’usure de nos routes. Il y a donc une vraie question de tarification de l’usage de ces infrastructures pour le trafic de transit. La Région reste mobilisée pour faire aboutir ce sujet. Mais il reste beaucoup de travail à effectuer.

Les entreprises régionales de transport seront-elles taxées de la même façon que les sociétés internationales ?

C’est pour répondre à cette question qu’il y a encore matière à travailler sur le fait générateur de la taxe.

La Commission européenne a présenté mi-juillet son pacte vert et annoncé l’interdiction à la vente des voitures à moteurs thermiques dès 2035. Le Grand Est, poids lourd du secteur en France, se retrouve dos au mur. La Région va-t-elle accélérer ses investissements pour favoriser l’électrique et l’hydrogène ?

Nous savons que nous devons accompagner et organiser la transition de ce secteur fondamental pour notre région. Nous avons la chance d’avoir un très grand nombre de sites compétitifs qui appartiennent à de grands groupes. Il faut aujourd’hui un traitement sur-mesure avec les constructeurs et leurs sous-traitants.

Suite à des retards dans les phases de test, Ineos a décidé de repousser la production de son 4x4 Grenadier à Hambach (Moselle) au mois de juillet 2022, et non fin 2021 — Photo : Lucas Valdenaire

Par exemple, soutenez-vous Renault dans sa volonté de produire des véhicules à hydrogène sur le site de Batilly (Meurthe-et-Moselle) ou encore le développement d’un démonstrateur européen pour la conception de batteries durables et le recyclage de batteries usagées suite au démantèlement de Fessenheim (Haut-Rhin) ?

Bien sûr, ces projets sont soutenus par la Région. Nous nous devons de mettre en place des transitions vers des systèmes moins émetteurs de CO² et plus économes en énergies. Et cela concerne l’ensemble des secteurs d’activité. D’ailleurs, l’ensemble des dispositifs d’aides à l’investissement, à l’innovation ou au diagnostic, comme celui dédié à l’industrie du futur, sont toujours disponibles.

"L’importance accordée à la bioéconomie régionale ne va pas se démentir"

Ineos a racheté le site Mercedes de Smartville à Hambach (Moselle) en décembre 2020. Le groupe britannique va produire des 4x4 thermiques à la place des citadines électriques. N’est-ce pas là un choix à contre-courant de votre ambition économique ?

Cette reprise reste une bonne nouvelle pour le site et l’ensemble des salariés. Nous étions quand même dans une situation extrêmement préoccupante pour les centaines d’emplois concernés et tout le secteur. Effectivement, c’est un produit qui n’est pas positionné sous l’angle le plus évident de la transition écologique. Mais il reste sur ce marché une large place pour le véhicule thermique. Et la production pourra évoluer. D’ailleurs, le groupe le dit : des modifications pourront être apportées en fonction des futures réglementations. Mais aujourd’hui, l’important est que l’outil industriel soit repris.

Toujours à Hambach, le groupe norvégien REC n’a toujours pas confirmé l’installation de son usine géante de panneaux photovoltaïques. Où en est-on ?

Je n’ai, hélas, pas d’information suffisamment précise pour vous renseigner. Mais sur ces projets d’implantations d’usines dans le domaine des énergies renouvelables, nous restons évidemment très mobilisés.

Le fabricant norvégien de panneaux photovoltaïques REC, déjà présent à Singapour, n’a toujours pas confirmé son intention de s’installer à Hambach (Moselle). Près de 2 500 emplois sont en jeu — Photo : REC

L’ancienne vice-présidente à la Région Grand Est en charge de la compétitivité, de l’innovation et du numérique Lilla Merabet avait à cœur de développer la bioéconomie régionale. Est-ce aussi votre cas ?

Oui, elle le faisait par conviction personnelle mais aussi parce que cela faisait partie de la stratégie économique définie par le Grand Est. Cette stratégie, nous sommes en train de la mettre à jour. D’ici la fin de cette année, des précisions seront apportées mais l’importance accorée à la bioéconomie ne va pas se démentir. Je vais d’ailleurs y travailler avec le vice-président en charge de la bioéconomie et de l’agriculture Philippe Mangin.

Allez-vous travailler avec lui sur la stratégie dite des "fermes du futur" ?

Comme pour le dispositif "Industrie du futur", l’idée est d’accompagner les exploitants dans leurs diagnostics et de les aider à se diversifier notamment dans le domaine de l’énergie. Cette politique est maintenue. Elle doit être poussée. Nous avons la même démarche vis-à-vis de l’artisanat. Car ces transitions, nous en parlons beaucoup, mais elles butent souvent sur un facteur temps limité. Les gérants de petites entreprises sont au four et au moulin et le fait de les aider dans leurs diagnostics est une bonne démarche. Je l’ai encore vu dans les Ardennes, un gros consommateur du dispositif "Industrie du futur". Sans cette aide régionale, les chefs d’entreprise n’auraient pas pu investir.

"Nous devons mettre les moyens qu’il faut où il faut mais pas plus que nécessaire"

Vous l’avez dit, la Région conserve ses différents dispositifs d’aides à l’investissement. En y ajoutant l'ensemble des mesures de soutien nationales et locales, il est parfois difficile de s’y retrouver. En avez-vous conscience ?

Effectivement, c’est une complainte assez justifiée de nos chefs d’entreprise. À qui je dois m’adresser ? Qui va répondre à mes préoccupations ? C’est pourquoi je veux voir comment nous sommes organisés pour accompagner les entreprises qui n’ont pas toutes les mêmes besoins et les mêmes enjeux. C’est d’ailleurs une demande de Jean Rottner : examiner l’efficacité globale de nos systèmes d’accompagnement et de nos coopérations. Car nous travaillons avec les EPCI, les consulaires, les agences de développement et parfois des agences spécialisées. Je pense aussi aux réseaux d’experts-comptables qui sont extrêmement utiles et peuvent mobiliser les entreprises sur certains sujets. Sur les grands projets structurants, nous nous devons de travailler en direct avec les entreprises pour faire du sur-mesure. Mais en règle générale, nous devons répartir les rôles. L’important, c’est que catégorie d’entreprises par catégorie d’entreprises, nous ayons la réponse la plus efficace et la plus efficiente possible. Car nous devons, aussi, mettre les moyens qu’il faut où il faut mais pas plus que nécessaire. L’argent que nous avons réussi à économiser sur ce volet, nous pourrons le redéployer sur d’autres actions.

Contrairement à ce qu’a pu laisser croire le "quoi qu’il en coûte" du président de la République, l’argent n’est donc pas magique ?

Non, d’autant qu’à la Région, nous n’avons plus de leviers fiscaux. Pour une grosse partie de nos recettes, nous restons tributaires de la TVA. Cela signifie qu’il nous faut, comme une entreprise, revoir en permanence nos modes de fonctionnement et ainsi faire tout ce qui est important au moindre coût.

De fait, êtes-vous attentifs aux montants adressés et à la taille des lauréats des différents dispositifs régionaux ? Certaines grandes entreprises installées dans le Grand Est comme ArcelorMittal ont été largement soutenues par le plan de relance national. Un tel soutien peut interroger. Est-ce le cas pour vous ?

Il faut apporter une aide à toutes les entreprises qui investissent. Il existe une démagogie un peu facile qui consiste à opposer les petites aux grandes entreprises. Aujourd’hui, nous devons répondre présents. Mais cela ne veut pas dire que nous avons les mêmes niveaux d’interventions pour les unes et pour les autres. D’ailleurs les règles européennes ne nous permettent pas de faire les mêmes efforts envers les grands groupes et les plus petites entreprises. Le plus souvent, la forme d’injustice que nous voulons combattre, se situe au niveau de l’ingénierie qu’il faut mobiliser pour être soutenu. Les petites sociétés ne doivent pas être désavantagées. C’est pourquoi nos services doivent les accompagner dans le montage de leurs dossiers, notamment via les treize maisons de Région. C’est la même chose dans un domaine qui m’est cher, celui de la commande publique. Nous avons un gros travail à faire pour aider nos entreprises à repérer les opportunités. Il faut réussir à lever tous les freins psychologiques et techniques pour qu’elles puissent répondre facilement et régulièrement aux appels d’offres. C’est comme au Loto, 100 % des bénéficiaires de marchés ont tenté leur chance. Il faut donc franchir ce pas et aider les entreprises à le faire de manière différenciée. Sur ce sujet des appels d’offres, il n’y a pas besoin d’aider ArcelorMittal ou d’autres grandes entreprises. Pour les plus petites, c’est crucial.

Batteries vertes et recyclées, réseaux électriques intelligents, hydrogène : les projets se multiplient sur le territoire de Fessenheim suite à l’arrêt des deux réacteurs de la centrale haut-rhinoise en 2020 — Photo : Rémi Stosskopf / Wikimedia Commons

"Dans certains bassins d’emploi, un travail de réhabilitation des activités industrielles est nécessaire pour faire comprendre que l’industrie a de beaux jours devant elle"

Autre préoccupation actuelle chez de nombreux chefs d’entreprise : le manque de main-d’œuvre qui freine la reprise. La Région, compétente en matière d’emploi et de formation, se mobilise-t-elle ?

C’est une question à laquelle nous devons apporter une réponse plus satisfaisante. Lorsque vous visitez une entreprise, elle vous parle parfois d’innovation ou de transition écologique mais un sujet revient toujours sur la table, surtout en ce moment : l’accès aux ressources humaines et aux compétences. Si nous ne regardons que le financement des investissements ou la digitalisation de l’économie sans voir qu’aujourd’hui le problème incontournable de la quasi-totalité de nos entreprises c’est comment je trouve mes collaborateurs, nous risquons de manquer l’essentiel. Nous avons donc décidé de travailler de manière transversale avec les acteurs de l’emploi. Là encore, un diagnostic complet doit être fait. Nous avons des secteurs très attractifs sur le papier, notamment dans l’industrie, avec des niveaux de rémunération extrêmement bons et cela ne se sait pas assez. Dans certains bassins d’emploi, un travail de réhabilitation des activités industrielles est nécessaire pour faire comprendre que l’industrie a de beaux jours devant elle et qu’elle peut assurer un niveau de vie intéressant. Je pense à la chaudronnerie, à la soudure ou encore à la maintenance électronique. Il faut aussi mieux exploiter les gisements de main-d’œuvre dans chaque département. Je pense à l’insertion des personnes bénéficiaires du RSA. Il faut leur redonner une employabilité et leur permettre de répondre aux offres d’emploi. Enfin, je veux rappeler que la Région Grand Est réclame à l’État la régionalisation de Pôle Emploi. Nous sommes convaincus que nous pourrions faire bien mieux en proximité si nous avions accès aux fichiers des demandeurs d’emploi. Nous pourrions ainsi accompagner de manière plus fine les transitions de compétences en fonction des besoins identifiés entreprises par entreprises.

Allez-vous poursuivre vos efforts dans l’accompagnement des start-up du Grand Est ?

Nous restons présents à tous les niveaux. Dès le départ avec l’incubateur Semia et dans leur développement avec l’accélérateur Scal’E-Nov soutenu par l’agence régionale Grand E-Nov. Nous cherchons à soutenir chacune des étapes de l’émergence des idées et sa traduction en entreprises. L’idée est de protéger ces jeunes pousses pour espérer, un jour, faire émerger une licorne issue du Grand Est. Mais nous devons être présents sur la création d’entreprises dans son ensemble. Dans certains territoires, on s’imagine que faire venir des entreprises de l’extérieur pourrait régler tous les problèmes. Mais je pense qu’il faut jouer sur toute la gamme. Par exemple, dans le domaine des batteries hydrogène, il faut arriver à attirer les grands projets internationaux mais il faut aussi travailler avec les acteurs du territoire. Il ne faut pas oublier tous ces points de PIB qui sont chez nous.

Ces créations d’entreprises n’ont jamais été aussi nombreuses en France et dans le Grand Est. Les défaillances, elles, ont connu des niveaux historiquement bas et ne semblent pas repartir à la hausse en 2021. Êtes-vous optimiste pour la suite ?

Je ne sais pas si nous pouvons encore estimer que nous sommes sortis d’affaire. Il faut rester très vigilant mais effectivement, nous n’avons pas vu de ressaut de défaillances. Le retour à la normale est en train de se faire mais, je le répète, il faut rester prudent.

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