Meurthe-et-Moselle
Alban Vibrac (BTP 54) : « Les marges de nos entreprises baissent »
Interview Meurthe-et-Moselle # BTP

Alban Vibrac (BTP 54) : « Les marges de nos entreprises baissent »

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À peine arrivé à la présidence de la Fédération du BTP de Meurthe-et-Moselle, Alban Vibrac va devoir faire face à une actualité chargée, avec un projet de loi de finances 2020 très agressif pour les entreprises du bâtiment et des travaux publics.

« Du côté des salariés, je pense que la réduction de DFS pourra passer, parce que les chefs d’entreprise vont compenser la différence », estime Alban Vibrac, le président de la Fédération du BTP de Meurthe-et-Moselle — Photo : © Jean-François Michel

En plus d’être président de la fédération du BTP de Meurthe-et-Moselle, vous êtes aussi président de la CPME de Meurthe-et-Moselle. Comment allez-vous concilier ces deux engagements ?

Alban Vibrac : J’ai un engagement moral auprès des adhérents de la CPME qui m’ont élu et je finirai mon mandat au 11 février 2020. J’ai entendu les petits bruits, qui disaient « tu es moins à la CPME » ou « tu es plus à la fédé »… Je suis, bien entendu, présent pour les deux. C’est un peu compliqué, mon agenda est vraiment chargé en ce moment. Je suis encore totalement investi à la CPME, notamment parce que j’ai à cœur de montrer que je ne suis pas encore parti. Mon élection à la présidence de la fédération du BTP n’a pas été évoquée lors du CA de la CPME 54 qui s’est déroulé début novembre, c’est un « non sujet ». Il s’agit maintenant de préparer ma succession et de soigner le passage de relais. C’est exactement comme dans une entreprise : quand on embauche quelqu’un, on embauche de nouvelles idées, et c’est ça qui fait progresser l’entreprise, la différence. À la fédération, je cherche à rester dans le sillon creusé par le président sortant, Daniel Cerutti : cela ne m’empêche pas d’avoir une sensibilité particulière pour les petites entreprises. Je ne veux surtout pas faire comme les politiques, qui révolutionnent tout sur leur passage.

Au niveau national, l’activité dans le BTP semble plutôt correcte et 2019 devrait se terminer à 1 voire 1,5 % de croissance dans le secteur : est-ce vrai localement ?

A. V. : Nous constatons localement qu’il y a beaucoup d’activité dans le bâtiment et les travaux publics, mais les marges de nos entreprises baissent. La croissance n’est pas rentable. C’est un fait avéré : les taux bancaires étant bas, les banques favorisent les travaux. Pour l’activité, c’est positif. Mais je constate que les prix n’évoluent plus, à la différence du conseil départemental qui estime que les prix sont à la hausse. Il suffit de quelque mois sans appel d’offres pour créer de l’inquiétude. Les dernières données disponibles montrent que les entreprises du secteur ont des carnets à six voire huit mois, ce qui est plutôt bon. Mais il y a de l’inquiétude. Et il suffit de créer de l’inquiétude pour faire baisser les prix… Aujourd’hui, le phénomène des élections en 2020 est un faux problème. Selon les uns, certaines communes lancent des travaux d’investissement en vue des élections. Pour d’autres, les communes ralentissent les travaux en vue des élections. C’est un faux sujet. La réalité, c’est que les coûts des matériaux augmentent. Et si les prix n’augmentent pas assez de l’autre côté, forcément, cela crée une discordance, qui se lit dans la rentabilité.

Le projet de loi pour 2020 prévoit la suppression des tarifs réduits de TICPE pour le gazole non routier (GNR). Les entreprises pourront-elles absorber le choc ?

A. V. : La suppression devrait être lissée sur plusieurs années. Mais au final, l’objectif du gouvernement, c’est la disparition de ces tarifs réduits. Aujourd’hui, on se bat pour récupérer quelque chose. Pour les gens des TP, c’est une très grosse inquiétude. Sur le marché des véhicules pour les particuliers, on trouve de l’électrique pour se déplacer. Mais dans les TP, il n’y a pas de matériel qui pourrait se permettre de se passer du gazole. On supprime une exonération, sans permettre aux entreprises de s’adapter. Il vaut mieux commencer par proposer des solutions plutôt que de supprimer des exonérations. Il y a plein de niches, on le sait. Certaines créent de l’activité et de la rentabilité. Créer une taxe, en supprimer une autre, au final, très souvent, cela coûte de l’argent pour les entreprises. Et quand ça coûte de l’argent, ça coûte de l’emploi. Nos parlementaires portent nos réclamations, et il n’y a pas beaucoup d’autres moyens pour se faire entendre. L’autre solution, c’est de manifester, mais ce n’est pas ma volonté. Le blocage ne sert à rien. Pour l’instant, au niveau des instances nationales de la fédération, ce n’est pas à l’ordre du jour. Les gens du bâtiment et des travaux publics sont des gens bien éduqués, donc on ne casse pas. Ici, dans le département de Meurthe-et-Moselle, nos parlementaires sont à l’écoute : très régulièrement, nous faisons remonter des informations. Il faut poursuivre dans la voie du dialogue.

Le PLF 2020 prévoit de transformer le CITE, le crédit d’impôt pour la transition énergétique : y a-t-il un danger pour l’activité ?

A. V. : Ceux qui font des travaux sont ceux qui ont des revenus. L’incitation fiscale a toujours été quelque chose qui fonctionne. Ce n’est peut-être pas toujours la bonne équation mais, quoi qu’il en soit, ça marche. Les gens sont avides d’économie d’impôts : si on leur enlève ça, on ne va pas leur donner l’envie de faire des travaux. J’imagine que l’activité va chuter nettement. Et ce ne sont pas les locataires qui vont se lancer dans des travaux : ce sont les propriétaires, car c’est à eux qu’appartient le bien et c’est parfaitement logique. Depuis très longtemps, c’est un sujet qui m’interpelle : on ne peut pas, chaque fois qu’on change de ministre ou de gouvernement, casser ce qui a été fait avant. Il va falloir apprendre à ne pas changer tout le temps : des charges différentes, des adaptations, des exonérations nouvelles… Aujourd’hui, pour faire une fiche de paie, par exemple, il n’y a plus que des cabinets spécialisés. Chez Vibrac, j’ai commencé à faire mes fiches de paie sur un simple tableur. Après on est passé à un logiciel de comptabilité, mais peu à peu, les mises à jour ont été incessantes pour suivre les textes de loi. Et aujourd’hui, on est obligé de faire appel à un cabinet comptable, qui lui-même peut encore commettre des erreurs.

Comprenez-vous le rabotage de la déduction forfaitaire spécifique (DFS), qui permet aux salariés du BTP de compenser leurs frais professionnels ?

A. V. : C’est quelque chose qui fait partie du métier du bâtiment, de nos us et coutumes. Pourquoi le modifier ? Là, nous sommes face à une nouvelle hausse de charges programmée. Du côté des salariés, je pense que la mesure pourra passer parce que les chefs d’entreprise vont compenser la différence. On a besoin de nos compagnons. C’est pour cela qu’il faut aussi pouvoir rencontrer des organismes comme l’Urssaf ou la Direccte, pour mieux nous comprendre. Les choses ont changé, ces gens sont aujourd’hui plus accessibles : je ne dis pas que les contrôles sont différents, que les redressements sont différents, rien n’a changé de ce côté-là. Je parle avec ma casquette de président de fédération : je crois qu’il est important d’apprendre à connaître les autres. On peut ne pas être d’accord, mais il faut dire, c’est la seule manière de faire changer les choses un jour.

Toutes ces mesures s’expliquent par la nécessité de remplir les caisses de l’État…

A. V. : On a un gouvernement qui essaye, qui tâte le terrain et si ça ne va pas, qui fait marche arrière. Macron avait un programme et il essaye de l’appliquer, cela dit, j’ai tout de même l’impression que la revendication est davantage prise en compte aujourd’hui. Il faut écouter les gens, notamment ceux qui souffrent et qui pleurent. À la fédération du BTP, Daniel Cerutti a fait un très grand travail et je suis dans le prolongement de son engagement, car c’était un président qui représentait les entreprises et qui les défendait. C’est fait pour ça une fédération : représenter et défendre.

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