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AFPA Grand Est : "Notre objectif est de répondre au manque de main-d'œuvre dans l'industrie 4.0"
Interview Grand Est # Industrie

Clément Maury responsable de formation transfrontalière et franco-allemande à l’AFPA Grand Est (Agence pour la formation professionnelle des adultes). "Notre objectif est de répondre au manque de main-d'œuvre dans l'industrie 4.0"

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Centres de formation, services pour l’emploi et entreprises de la grande région lancent "Digimob Industrie 4.0". Porté par l’AFPA Grand Est et son responsable Clément Maury, ce projet transfrontalier de formation et d’ingénierie doit répondre aux besoins de compétences et de main-d’œuvre des entreprises industrielles dans leur virage 4.0. Les premières sessions lorraines commencent le 31 mai à Metz et Saint-Avold.

En tant que responsable de formation transfrontalière et franco-allemande à l’AFPA Grand Est, Clément Maury pilote le projet Digimob Industrie 4.0 — Photo : AFPA Grand Est

Qu’est-ce que "Digimob Industrie 4.0" ?

Clément Maury : L’expression fonctionne aussi bien en allemand qu’en français : "digitale Mobilität" ou "mobilité digitale". L’intérêt de ce projet est qu’il s’inscrit dans une perspective transfrontalière : Wallonie, Sarre, Rhénanie-Palatinat, Luxembourg et Lorraine. Il s’agit de travailler ensemble sur l’évolution des métiers dans la numérisation des pratiques industrielles. Nous voulons mettre en place des formations adaptées aux besoins des entreprises de la région, et ce afin de répondre au manque de main-d’œuvre surtout chez les opérateurs et les techniciens. Du côté des ingénieurs, il y a déjà cette sensibilisation à l’industrie 4.0.

Qui sont les porteurs de ce projet ?

En plus de l’AFPA Grand Est qui est le chef de file du projet, nous comptons plusieurs partenaires financiers et opérationnels comme la Chambre de commerce du Luxembourg et son bras armé dédié à la formation "House of training" et le centre de compétences belge "Technifutur". Nous travaillons aussi avec des partenaires méthodologiques qui nous aident sur le sourcing pour chercher les candidats comme les services Pôle Emploi (FR), Leforem (BE) et l’Alem (LU). Enfin, sur les pratiques industrielles, nous avons Idelux (BE), Saar.is (AL), Zema (AL) et l’UIMM (FR).

À combien s’élève le coût de ce projet ?

Clément Maury : L’investissement est de 2,5 millions d’euros. Il est financé à 60 % par l’Europe dans le cadre d’un projet Interreg.

"Notre ambition, en plus de former des demandeurs d’emploi, est d’accompagner le mouvement des entreprises vers le 4.0"

Concrètement, qu’allez-vous faire ?

Clément Maury : D’abord, nous avons réalisé un état des lieux de l’industrie 4.0 au sein de la grande région pour constater l’état de numérisation des pratiques industrielles sur les quatre versants. Ensuite, nous avons travaillé sur le format de l’ingénierie de formation. Autrement dit : quelles sont les compétences que doivent avoir les opérateurs de production et de maintenance dans des entreprises qui ont déjà franchi le pas de l’industrie 4.0. Cela comprend des connaissances fondamentales et des pratiques numériques. Par exemple, comment appliquer nos connaissances en pneumatique, en robotique ou en électricité à la maintenance dans le cadre d’une réalité virtuelle. Enfin, la grosse demande des entreprises, c’est aussi le savoir être. Et comme nous sommes dans une région transfrontalière il y a une part d’interculturalité qui intervient dans ce savoir être, nous souhaitons l’intégrer dans nos formations. Sans oublier l’apprentissage de la langue. Tout ce travail d’état des lieux a duré six mois. Mais il peut encore évoluer en fonction des retours des entreprises.

Comptez-vous des entreprises partenaires qui s’engagent à participer aux formations ?

Clément Maury : 25 entreprises de la région ont répondu à un questionnaire extrêmement détaillé sur les référentiels de compétences. Ces entreprises recevront aussi des stagiaires et leurs retours pourront faire évoluer nos cadres de formations. Ce sont souvent des grands groupes qui ont déjà pris le virage du 4.0 et qui couvrent des domaines différents comme l’automobile, la métallurgie, l’agroalimentaire ou le bois. Mais notre ambition, en plus de former des demandeurs d’emploi, est aussi d’accompagner le mouvement des entreprises vers le 4.0. Celles qui se posent la question de l’œuf ou de la poule : dois-je investir dans une machine alors que je n’ai pas l’opérateur qualifié pour l’utiliser, ou dois-je recruter avant d’investir dans la machine ? Ce qui nous semble intéressant, c’est de promouvoir cette ouverture au numérique dans les entreprises de plus petites tailles, celles qui travaillent notamment avec les mêmes opérateurs depuis plusieurs années et qui ont du mal à faire évoluer leurs pratiques vers le 4.0.

Les sessions de formations commencent le 31 mai 2021. Comment vont-elles s’organiser ?

Clément Maury : Il y aura deux types de formation de six mois chacune : celle qui concernera l’opérateur de production 4.0 et celle destinée à l’opérateur de maintenance 4.0. L’objectif n’est pas que notre opérateur lorrain aille travailler au Luxembourg ou en Allemagne, mais qu’il en ait au moins fait l’expérience, et que cela lui permette de construire son projet professionnel. Dans un premier temps, nous formerons 60 demandeurs d’emploi sur le versant français : 30 pour l’opérateur de maintenance et 30 pour l’opérateur de production. Il va également y avoir un vrai partenariat entre la House of training luxembourgeoise et l’AFPA pour se répartir les différents modules de formation.

"L’idée n’est pas de mentir sur la réalité du métier à l’usine mais de montrer ce qui existe dans un nombre croissant d’entreprises 4.0"

Ces formations se tiendront dans les centres AFPA de Metz et de Saint-Avold. Ce dernier disposera bientôt d’une "usine école 4.0". De quoi s’agit-il ?

Clément Maury : Nous investissons dans un lieu qui sera déployé cet été et qui réunira toutes les briques technologiques habituellement utilisées : réalité virtuelle, réalité augmentée, cobotique, robotique, ou encore big data. L’idée est de plonger les stagiaires dans un environnement 4.0. À la sortie, chacun aura au minimum un Certificat de qualification professionnelle CQPI 21 pour les opérateurs de maintenance et un CQPM 45 pour les opérateurs de production. Nous souhaitons aussi travailler sur le modèle innovant des open badges. Ce sont des badges disponibles en ligne et qui sont certifiés par les organismes de formations. Cela ressemble aux portfolios de compétences. L’idée est de certifier les compétences (en français et en allemand) qui ne sont pas traditionnellement certifiées au sein d’un CQP, comme la robotique avec la réalité virtuelle.

Après avoir décroché leur certificat, les opérateurs auront-ils la possibilité d’être recrutés dans les entreprises partenaires du projet ?

Clément Maury : Absolument. À l’AFPA, nous avons de beaux taux de placements sur les formations industrielles car les besoins sont réels. Le vrai problème est en amont car nous avons plus de mal à convaincre les personnes d’intégrer ces formations en raison de la mauvaise image qui colle encore aux métiers industriels. C’est pour cela que notre objectif est de promouvoir ce type de carrière mais aussi de les sécuriser sur l’ensemble du territoire. Les stagiaires doivent avoir le choix de leur mobilité professionnelle sur les quatre versants.

Est-ce que l'"usine école 4.0" de Saint-Avold et les outils ultra-technologiques mis à leur disposition peuvent attirer davantage les jeunes vers ces métiers industriels ?

Clément Maury : C’est vrai que cela peut aider à convaincre ceux qui peuvent avoir cette vision de l’industrie un peu "Germinal" avec des charges lourdes à porter et un environnement de travail bruyant et agressif. Ici, l’idée n’est pas de mentir sur la réalité du métier à l’usine mais de montrer ce qui existe dans un nombre croissant d’entreprises 4.0 souvent méconnues des jeunes et des demandeurs d’emploi. Nous voulons mettre en avant ces entreprises qui ont fait ce pas technologique et qui révolutionnent leurs méthodes de travail. Et nous l’avons encore vu avec la crise sanitaire : les compétences numériques sont en train de prendre un essor particulièrement important.

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