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Yoann Joubert (Réalités), le meneur de jeu
Portrait Nantes # Immobilier

Yoann Joubert (Réalités), le meneur de jeu

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Son audace fascine autant qu’elle agace. Qui est Yoann Joubert, l’homme qui veut construire le futur stade du FC Nantes ? En quinze ans, le jeune entrepreneur qui ne connaissait rien à l’immobilier a fait de Réalités, le groupe qu'il a créé et qu'il dirige, un acteur incontournable du territoire. Portrait.

Yoann Joubert, PDG fondateur du Groupe Réalités — Photo : Réalités

Ils jouent en jaune et vert comme les Canaris. Ils ont terminé avant-derniers du championnat l’an dernier. Ce ne sont pas les joueurs du FC Nantes mais l’équipe de baseball de Vitré, en Ille-et-Vilaine, plus connue sous le nom des Korrigans. Un club créé en 1990 par Yoann Joubert, alors qu’il n’avait que 15 ans. C’était son premier projet d’entrepreneur « Je me souviens d’une espèce de conseil d’administration où j’avais présenté un petit business plan », se rappelle-t-il amusé. 28 ans plus tard, c’est un stade d’une tout autre ampleur que le Président directeur général de Réalités, le promoteur nantais à l’ascension fulgurante, s’apprête à construire. Le YelloPark devrait remplacer la Beaujoire en 2022. Cela faisait des années que Waldemar Kita, le président du FC Nantes réclamait un nouveau stade. Mais c’est Yoann Joubert qui, il y a deux ans, a fait le premier pas vers lui. Il prend l’initiative d’organiser une réunion, discrètement, avec la maire de Nantes. « J’ai toujours dit que je rêvais de construire un stade », assure l’entrepreneur. Seule sa femme et ses 5 enfants sont alors au courant : « J’avais la hantise qu’ils le répètent à l’école », se souvient-il.

Des Korrigans à YelloPark

Aucun financement public ne devrait être mobilisé. C’est la société privée créée pour l’occasion par Waldemar Kita et le groupe d’ingénierie immobilière nantais Réalités qui assumera les coûts, estimés à plus de 200 M€. Un montage financier audacieux qui fascine autant qu’il suscite de suspicions dans le milieu entrepreneurial nantais. « YelloPark ? 90 % des gens ne comprennent pas. Je ne les écoute pas », répond Yoann Joubert. Il a fini par s’habituer aux critiques. Depuis qu’il s’est installé à Nantes en 2003, il n’a cessé d’en entendre. « On a beaucoup été critiqué par nos confrères. Pour eux, on était des financiers venus pour faire un coup. Ils n’acceptaient pas notre manière de faire, que l’on ne soit pas du sérail, que l’on ne soit pas des héritiers », se souvient-il.


À l’époque, tout juste installé à Nantes, il rachète, avec deux associés, Beneteau Construction à Rezé sans avoir aucune expérience dans l’immobilier. Il n’a que 27 ans. Mais il sait déjà où il veut aller : « J’ai dit à mes associés que je souhaitais créer un conglomérat de sociétés, une sorte de banque d’affaires qui financerait les projets qu’elle a initiés ». Le principe du groupe Réalités est déjà là.


« C’est quoi ce métier où on ne pense qu’à la thune ! »

À l’époque, Yoann Joubert a pourtant tout à apprendre du métier, qu’il apprécie immédiatement. La période est économiquement faste. Et les critiques font place aux coups bas. « Nos confrères allaient voir nos banquiers pour dire qu’on déposait le bilan. C’est arrivé à plusieurs reprises », assure le dirigeant. « Au départ ça a été une réelle violence psychologique », se souvient-il. D’autant plus dur à supporter qu’il n’avait pas été élevé dans un milieu entrepreneurial. « Mon éducation a été centrée sur le “prendre soin des autres ” et l’empathie. C’est ce que m’ont transmis mes parents, respectivement gynécologue-obstétricien et psychanalyste », indique-t-il. « Quand j’étais jeune, le monde de l’entreprise, c’était Satan. J’aurais pu être altermondialiste ou alter-tout. J’aurais pu devenir zadiste. Cela s’est joué à pas grand-chose ! Vous m’auriez dit que j’allais faire de l’immobilier, je vous aurais répondu : c’est quoi ce métier où on ne pense qu’à la thune ! Pour moi c’était aussi moche que de devenir assureur ou banquier », plaisante-t-il. Lui, à 20 ans, voulait devenir magistrat. « Pour l’éthique, la justice », commente-t-il. Il décide finalement d’intégrer Science Po Rennes après une licence de droit, se passionne pour la sociologie politique. « J’ai fait mon mémoire sur le lobbying des Régions à Bruxelles. J’aurais pu faire une thèse si j’avais eu une bourse. J’étais au nirvana intellectuel », se rappelle-t-il. C’est là que le futur promoteur découvre les enjeux politiques d’un territoire, travaille « l’intelligence des territoires », la signature actuelle de son groupe.


Les enfants de la crise


Réalités est devenu un promoteur immobilier en 2005, juste avant que le marché immobilier ne commence à se durcir. « On a grandi dans la difficulté, on a été des enfants de la crise et cela a été une chance. On n’a pas eu le droit de se planter », se souvient-il. Il vise tout de suite très haut : 10 projets par an. « On s’est dit que l’on ne pouvait pas faire seulement 2 ou 3 projets au risque qu’un seul échec plante l’entreprise, il fallait en faire 10, on devait tout de suite être un acteur régional », explique Yoann Joubert. « C’est quelqu’un qui n’a pas peur d’entreprendre, de prendre des risques », commente son associé depuis toujours Christophe de Brébisson. « C’est un passionné de l’action, depuis qu’il est enfant », remarque son frère Cédric Joubert, qui travaille avec lui depuis le début de Réalités. « Il a toujours été moteur. Déjà quand on était enfant, c’était toujours lui qui embarquait les copains », ajoute son petit frère. « C’est un entrepreneur visionnaire. Sur la base d’une idée, d’un concept, d’une intuition, il est capable de créer quelque chose, d’aller au bout des projets », observe Vincent Poiraud, son notaire. « Faut pas croire, j’ai passé des nuits blanches plusieurs fois. Je suis très anxieux », tempère Yoann Joubert.

Attachement familial

Un sentiment qu’il ne laisse en tout cas pas paraître, même à ses proches. « Je ne le sens pas particulièrement angoissé. Il est exigeant envers lui-même et envers les autres mais il échange beaucoup et il est capable de revenir sur ces décisions », observe Christophe de Brébisson. « C’est un leader collectif. C’est lui qui a la vision, l’intuition mais il sait faire appel aux autres et ne s’obstine pas dans une direction. Il voit toujours le changement comme une opportunité », souligne son frère. « Il est beaucoup dans l’écoute. C’est quelqu’un d’honnête et droit qui ne supporte pas la médiocrité. C’est un combattant », remarque son épouse Stéphanie Chouin.

C’est auprès d’elle et de leur famille recomposée qu’il se ressource, reprend des forces. « J’essaye de m’arranger pour voir mes enfants le plus possible, aller les chercher à leurs activités », explique Yoann Joubert. Lui qui ne s’attarde jamais dans les réseaux d’entrepreneurs, préfère prendre le temps d’expliquer à la plus petite de 4 ans, comme au plus grand de 13 ans, comment fonctionne un organigramme. « Je leur raconte tout de ma vie, je veux les embarquer là-dedans, leur montrer aussi qu’un patron n’est pas méchant avec ses salariés, ils ont déjà cette image-là ». C’est cet attachement à la famille mais aussi à l’éthique qui l’a poussé à changer de nom et à adopter celui de sa femme, récemment épousée. Il faudra donc l’appeler désormais Yoann Chouin-Joubert. « C’est lui qui a insisté, pour notre famille, pour que les enfants et lui aient le même nom », raconte Stéphanie Chouin.

Côté professionnel, l’ancien compétiteur en athlétisme, a longtemps fait la course seul en tête. « Il va vite, très vite et cela peut être usant de le suivre », indique son associé, Christophe de Brébisson.

« La finance, c’est une boîte à outils »

Ainsi, en 2010, tout seul, il démarche plus de 70 fonds d’investissement français. Il leur présente son plan : réaliser d’ici à 6 ans, 1 000 logements. Il en réalisait alors à peine 200. « Personne n’a voulu », se souvient-il. « On nous a dit que ce n’était pas possible de faire en 5 ans ce que Lamotte avait fait en 60 ans. Les succès story régionales étaient l’horizon indépassable de l’entreprise », poursuit-il. Mais Yoann Joubert y croit. « J’ai toujours eu cette démarche de considérer que ce que je voulais était crédible et faisable. Mes parents m’ont donné cette confiance en moi », dit-il.


C’est finalement auprès du fonds américain Lexin qu’il trouve une oreille attentive en 2010. « Les Américains ont un grand mérite : un pragmatisme à toute épreuve », commente l’entrepreneur. Ils sont convaincus par le solide plan de financement. Un savoir-faire qu’il a appris lors de son passage chez PricewaterhouseCoopers, juste après ses études. Finance, comptabilité, aspects juridiques, études de marché, il apprend toutes les bases, en un an et demi. « Pour moi, la finance, c’est une boîte à outils, c’est tout. J’ai beaucoup appris sur le tas. Ce n’est pas si complexe que cela », assure-t-il. Et c’est donc sans complexe que le groupe Réalités lance en 2013 une obligation cotée par appel public à l’épargne. C’est la première société française non cotée à le faire. Un an plus tard, le promoteur réussit son introduction en Bourse sur le marché Alternext à Paris. Il s’était donné comme objectif de réaliser 1 000 logements par an en 2015. L’objectif sera atteint en 2016.

Développer les territoires

Désormais Yoann Joubert a de nouvelles ambitions : « Le métier de Réalités n’est plus la promotion immobilière mais de développer tous les territoires, y compris à l’international où le groupe Réalités a fait ses premiers pas en signant une joint-venture au Maroc en septembre 2017. »

À côté du pôle maîtrise d’ouvrage, Yoann Joubert souhaite désormais développer un pôle maîtrise d’usages qui interviendrait dans les domaines du sport et de la santé. Le premier projet commencera par une clinique du sport et du bien-être, adossée au futur stade. Il compte aussi accélérer la construction de résidences services pour les seniors via sa filiale Heurus. Objectif : devenir une ETI en 2020. « On est l’acteur immobilier de demain », assure-t-il. Ambitieux ? Irréaliste ? Force est de constater que, pour l’instant, tout ce que l’entrepreneur avait annoncé, est devenu réalité.

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