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Y a-t-il trop d’incubateurs à start-up à Nantes ?
Enquête Nantes # Services aux entreprises # Capital

Y a-t-il trop d’incubateurs à start-up à Nantes ?

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Avec une quinzaine d’incubateurs et accélérateurs recensés, Nantes fait partie des trois métropoles French Tech qui comptent le plus de structures d’accompagnement pour les start-up. L’offre a explosé en trois ans, contraignant les accélérateurs privés à pivoter ou à changer de business model et obligeant les autres à collaborer.

En premier plan, les dirigeants et fondateurs de Fonto di Vivo accompagnés des membres de Do it abroad, deux start-up hébergées au sein du Village by CA Atlantique-Vendée. — Photo : JDE

Nantes de nouveau sur le podium. La métropole, qui arrive presque systématiquement dans le top 3 des classements des villes préférées des cadres et des étudiants, est aussi l’une des métropoles préférées des incubateurs et des accélérateurs. À part Atlanpole, la technopole financée principalement par des fonds publics, qui accompagne depuis 1998 les projets d'entreprises, la plupart des incubateurs sont apparus ces trois dernières années.

« Il y aura une concentration des incubateurs à Nantes comme au niveau national »

Ecoles, banques, réseaux d’entreprises, investisseurs privés : tous les acteurs économiques s’y mettent. Il existe à Nantes une quinzaine d’incubateurs, selon le recensement du Journal des Entreprises. Et ce, sans compter le soutien de Réseau Entreprendre qui peut s’assimiler, grâce aux prêts d’honneur et à l'accompagnement d’entrepreneurs, à de l’incubation. Sans compter non plus les nombreuses structures internes aux entreprises telles que Axandus chez Sercel, Octopus chez Lengow ou Creative Care Factory chez Harmonie Mutuelle. Les programmes parisiens, tels que celui de Facebook qui commence à recruter les pépites dans l’Ouest, n’ont pas été comptabilisés non plus.

Net ralentissement du nombre de start-up

Mais face à l’abondance de ces structures, le nombre de start-up, dans certaines promotions, commence à diminuer. Il n’y en avait qu’une seule dans la dernière d’1Kubator en janvier 2019. L’Auran, dans une de ses synthèses sur l’écosystème des start-up, pointait déjà du doigt le problème : « L’année 2017-2018 a marqué un ralentissement avec 30 créations de start-up enregistrées contre 50 les deux années précédentes », souligne l’agence d’urbanisme de la région nantaise. En parallèle, le nombre d’accélérateurs et d’incubateurs a doublé en deux ans.

Les start-up incubées chez Novapuls en plein travail. — Photo : Novapuls

Alors, y aurait-il trop de structures d’accompagnement à Nantes ? Pas plus qu’ailleurs si l’on compare Nantes aux autres métropoles labellisées French Tech et au nombre de start-up recensées, selon l’annuaire de la French Tech. Mais leur nombre pourrait diminuer dans les prochains mois, selon les principaux acteurs de l’écosystème local. « Il y aura une concentration des incubateurs au niveau national », assure chacun de leur côté Florian Hervéou, responsable des programmes start-up au Startup Palace, et Sandrine Charpentier, directrice d’1kubator Nantes. « Le marché arrive à saturation, certaines structures vont être amenées à fusionner, à repositionner leurs offres ou à disparaître », prédit Valérie Claude-Gaudillat, responsable de l’incubateur Centrale – Audencia – Ensa. Pour Florian Hervéou, rien d'anormal : "Dans un marché émergent, le business model d’un incubateur est très compliqué. Il faut investir beaucoup d’argent, avec un espoir de gain éventuel mais pas certain », explique l’entrepreneur qui avait été l’un des premiers à Nantes à lancer un programme d’incubation de start-up. C’était en 2014. Depuis, l’Opération Éléphant a disparu et Startup Palace, qui avait initié le concept, a arrêté d’incuber elle-même des start-up. La PME (1,5 M€ de CA, 14 salariés) s’est réorientée vers la fabrication de programmes d’accompagnement pour des grands groupes et les collectivités. « Et désormais, nous sommes rentables », confie Florian Hervéou.

La nouvelle tendance du start-up studio

Rob Spiro, fondateur et directeur de l'accélérateur de start-up Imagination Machine à Nantes — Photo : Amandine Dubiez-JDE

Une situation financière qui ne ressemble pas à celle d’Imagination Machine. Créé par l’entrepreneur américain Rob Spiro, il l’un des derniers incubateurs arrivés à Nantes mais réalise zéro euro de chiffre d’affaires. C’est l’un des seuls, avec Novapuls, financé par Sodero Gestion, et 1Kubator, à entrer au capital des start-up. Mais, faute d’avoir trouvé assez de projets à haut potentiel, Rob Spiro a dû pivoter et arrêter son programme d’accélération quelques mois après son arrivée, en 2017. « Il y avait beaucoup d’offres, beaucoup de concurrence. Peut-être aussi que les meilleures start-up n’ont pas besoin d’un accélérateur », s’interroge-t-il. Aujourd'hui, il créé de toute pièce des entreprises en proposant des projets à des entrepreneurs sans idée. Parmi les neuf entreprises de son "start-up studio", deux d’entre elles, Vite mon Marché et Jho, viennent de concrétiser leur première levée de fonds. « L’idée m’est venue quand je suis arrivé à Nantes. On a vu une centaine d’entrepreneurs de candidats de haute qualité mais ils n’avaient pas de projets ficelés, ni de cadre ou d’équipe ». Son terrain de jeu est international, la moitié des candidats ne viennent pas de Nantes. Un positionnement qui lui permet d’élargir son marché. « Mais nous devons atteindre la 5e à la 7e année de la start-up pour récupérer nos parts », explique Rob Spiro. En attendant, pour survivre, il se prépare à une deuxième levée de fonds, après une première d’un million d’euros réalisée auprès de vingt entrepreneurs locaux. Un modèle semblable à celui des start-up qu’il accompagne. Et tout autant fragile.

1Kubator redéfinit également son offre et se lance dans la création de start-up. L’accélérateur qui vient de lever 3,8 millions d’euros vient de lancer son nouveau programme 1K Match qui consiste à recruter des entrepreneurs sans idées. Pendant un mois, ces potentiels dirigeants peuvent tester gratuitement leur motivation, leurs compétences et leurs appétences pour "matcher" avec une idée à développer. Pour maximiser ses chances de rentabilité, cet accélérateur fondé par l’entrepreneur parisien Alexandre Fourtoy, double ses implantations. Déjà présent dans quatre villes, il prévoit de s’implanter dans quatre nouvelles métropoles.

Rendez-vous dans cinq ans

Pour ces accélérateurs, le bilan se fera véritablement dans cinq ans. C’est à l’occasion d'une levée de fonds d’une des start-up incubées, que le réseau espère sortir du capital et dégager du bénéfice. L’échéance est la même pour Novapuls, l’incubateur de Sodero Gestion, fonds d’investissement de la Caisse d’Epargne Bretagne Pays de Loire. Il délivre un prêt de 24 000 euros à chaque start-up incubée, en espérant se rembourser en actions au moment de la levée de fonds. « Pour l’instant, l’objectif est d’être à l’équilibre et nous devrions y être fin 2019. Mais nous faisons un pari sur l’avenir en investissant dans les start-up. On mise sur le fait que 3 ou 4 entreprises financent tout le dispositif », claire sa directrice Amélie André.

« On s’est pas mal fait draguer »

Pour tous ces trois incubateurs à financement privé, la tache est d’autant plus difficile à relever qu’ils se trouvent en concurrence avec une dizaine d’offres publiques, qui proposent le même type d’accompagnement.

De leurs côtés, les start-up sont nombreuses à profiter de la multiplication des offres. A Nantes, les start-up Fiitli, Switch Up, Velco, Arichibien, Box’n Services ou Makidoo ont toutes intégré plusieurs structures. « On s’est pas mal fait draguer, raconte Sophie Comte, dirigeante de Makidoo, une start-up qui facilite le montage vidéo basée à La Roche-sur-Yon. La société de 8 salariés en est à son troisième accompagnement. « Nous avons commencé par 1Kubator, en avril 2017 dans la première promo. Puis nous avons intégré le programme d’accélération d’ADN Booster et aujourd’hui nous sommes au Village by CA, précise la dirigeante. Ces structures correspondent à différentes phases de notre développement. Même si ces accompagnements ont des similitudes. » En plus de ces trois structures, Makidoo a été sollicité par d’autres incubateurs ou accélérateurs. « Le marché est assez concurrentiel, mais c’est plutôt sain », estime la dirigeante.

Des incubateurs solidaires

En haut à droite Julien Kostrèche, responsable de l’incubateur NM Cube, face à Gaëlle Lescombat, porteuse d’un des projets incubés et de deux intervenants extérieurs, venus notamment d’Audencia, pour aider les porteurs de projets. — Photo : JDE

Une situation qui ne semble pas déranger les incubateurs eux-mêmes. « Et alors ? Tant mieux ! Si la start-up réussit, cela sera une victoire collective », commente Nathalie Massé, la directrice du Village by CA qui vit grâce à la location de bureaux des start-up et le soutien de partenaires tels que Fleury Michon ou Herige. « Cela m’est déjà arrivée de conseiller à des start-up d’aller voir ADN Booster car elles avaient besoin d’aide numérique ou même d’aller voir Novapuls », poursuit-elle. De la même manière, elle n’hésite pas à faire sa promotion dans les autres incubateurs tels que l’IMT Atlantique ou Atlanpole.

Les autres incubateurs acquiescent même si, « il y a forcément quelques zones de frottement, on se retrouve parfois sur les mêmes segments de marché", explique Amélie André. " Mais dans l’ensemble, toutes les offres sont complémentaires », poursuit la directrice de Novapuls. « La logique est plutôt collective, on est plus fort ensemble », estime Volodia Lepron, chef de projet start-up à La Cantine. « Au Web2Day, par exemple, deux ou trois structures d’accompagnement se partagent le même stand », raconte le chef de projets. « On est une des rares régions où cela se passe comme cela, où l’on est solidaire », commente Nathalie Massé, la directrice qui travaille avec les autres réseaux de Village by CA en France.

« Ma seule contrainte, c’est d’être à l’équilibre », explique la chef du village by CA de Loire-Atlantique Vendée. Son l’objectif est déjà rempli : l’incubateur permet avant tout de moderniser l’image de la banque. « Désormais le Crédit Agricole est référencé comme une banque innovante. Quand on a commencé, 2 start-up sur 10 étaient clientes ; aujourd’hui, c’est 6 sur 10, sans que cela soit une obligation pour les start-up. » Alors que le nombre de création de start-up diminue, le Village by CA double presque sa surface en passant de 85 à 150 places.

Chouchouter les scale-up

Pour elle, le tarissement du nombre de start-up, ne semble donc pas un problème. Nathalie Massé estime également que « l’euphorie de création se tarit au profit de vrais beaux projets ». Un avis partagé par le responsable start-up de La Cantine. « Qu’il y ait moins de start-up n’est pas forcément problématique si à côté de cela il y a de gros projets, créateurs d’emplois. »

Tout l’enjeu est donc de créer des scale-up, ces start-up qui décollent, ou alors d’aller les chercher partout en France. C’est d’ailleurs l’une des missions d’ADN Booster, le programme de l’association ADN Ouest, pilotée par Franz Jarry qui propose un accompagnement de 6 mois aux start-up pour 2 000 euros. « La France est parmi les premiers pays créateurs de start-up mais ce n’est pas du tout le cas pour les scale-up et cela se voit au CES de Las Vegas», confie-t-il.

Pour attirer ces entreprises innovantes, la concurrence devient donc nationale. ADN Booster tout comme le Village by CA n’hésitent pas à aller draguer sur tout le territoire. « Nantes Saint-Nazaire Développement intervient au Village by CA de Paris pour cette raison », explique Nathalie Massé. Et l’un de ses principaux arguments peut justement être l’abondance des structures d’accompagnement nantaises.

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