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Nicolas Poirier : "Notre produit phare diminue la mortalité de 41 % par rapport à une chimiothérapie"
Interview Nantes # Santé # Biotech

Nicolas Poirier directeur général d’Ose Immunotherapeutics "Notre produit phare diminue la mortalité de 41 % par rapport à une chimiothérapie"

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Il s’agit ni plus ni moins du vaccin thérapeutique contre le cancer le plus avancé au monde. La biotech nantaise Ose Immunotherapeutics vient de publier des résultats cliniques très prometteurs avec son produit phare, Tedopi, qui pousse le système immunitaire du patient à attaquer ses cellules cancéreuses. Malgré ces résultats encourageants, l’étude est incomplète car elle a dû être stoppée lors de la pandémie Covid-19. La société doit aujourd’hui financer une nouvelle phase 3, qui s’annonce bien plus rapide. Entretien avec son directeur général, Nicolas Poirier.

Nicolas Poirier, directeur général d’Ose Immunotherapeutics — Photo : Romain Boulanger

Ose Immunotherapeutics est né d’une fusion en 2016 entre une biotech nantaise et une société parisienne. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Nous sommes toujours partagés entre les deux villes, avec environ une trentaine de salariés sur chaque site. Le siège social et les activités de recherche à un stade précoce sont historiquement à Nantes, et nos activités de développement industriel et d’affaires réglementaires à Paris. À Nantes, il y a un grand centre européen spécialisé dans la transplantation, avec qui nous travaillons. Notre ancrage parisien nous permet de recruter des talents très spécifiques au milieu pharmaceutique, qui se trouvent globalement à Paris. Nous tirons ainsi des avantages des deux territoires.

Quels sont vos axes de recherche ?

Nous mettons au point des molécules et traitements capables de booster notre système immunitaire, ou au contraire de le freiner quand son activité est néfaste, par exemple lorsqu’il s’attaque à nos propres cellules, comme dans le diabète de type I.

Nous avons actuellement cinq produits testés en phase clinique. Le plus avancé est Tedopi, un médicament qui agit contre plusieurs cancers, et notamment celui du poumon. Il s’agit d’un vaccin thérapeutique, c’est-à-dire qu’il va "réveiller" notre système immunitaire, afin que ce dernier s’attaque à la tumeur et la détruise. Il faut savoir que notre corps développe tous les jours des tumeurs, mais qu’en temps normal les cellules du système immunitaire les éliminent.

À quelle date peut-on espérer une commercialisation ?

Nous avions débuté avec Tedopi une phase clinique 3, soit la dernière étape avant sa mise sur le marché. Mais elle a été interrompue par les centres de santé en 2021, pour cause de Covid-19. Nous avions obtenu de très bons résultats, mais partiels, qui montrent que Tedopi diminue la mortalité de 41 % par rapport à une chimiothérapie. Comme les données sont incomplètes, nous devons recommencer cette phase 3. Nous avons des discussions avec les agences réglementaires qui sont plus rapides que pour la première étude. Nous allons également cibler une catégorie de patients plus précise, et qui semblent mieux réagir à Tedopi, afin de maximiser les résultats. Cette nouvelle étude inclura 350 patients, sur deux ans minimum et devrait débuter fin 2023 le temps d’établir les protocoles. Le critère d’évaluation sera le taux de mortalité un an après traitement. Nous devrions avoir des résultats, et une possible commercialisation en 2027.

Combien coûtera cette nouvelle phase 3 ?

Elle reviendra à 30 millions d’euros. Nous avons aujourd’hui une visibilité financière jusqu’au 2e trimestre 2024 (trésorerie à fin 2022 de 25,6 millions d’euros, NDLR). Une biotech classique lève régulièrement des fonds pour financer ses recherches, mais ce n’est pas notre cas. Nous nous finançons via un modèle de partenariat. Nous avons un produit contre la rectocolite hémorragique, autour duquel nous avons passé des accords de licence avec Servier. Ils financent les essais cliniques, et nous touchons des paiements à chaque étape franchie. Nous avons également un partenariat avec la compagnie allemande Boehringer Ingelheim pour une molécule testée contre le cancer de la sphère ORL, et un troisième avec l’Américaine Veloxis. Ces trois partenariats nous ont déjà rapporté 121 millions d’euros depuis 2016. Au total, nous avons signé pour 1,6 milliard d’euros sur l’ensemble des étapes possibles de ces programmes. Dans tous les cas, nous ne pourrions pas développer tous ces produits en interne. Ce modèle nous rend également moins dépendants de la bulle boursière autour des biotechs qu’il y a eue en 2020 et 2021, et qui a tendance à se dégonfler depuis quelques mois, entraînant un assèchement des investisseurs. Nous réinvestissons ensuite ces sommes, soit dans de la R & D à un stade plus précoce, soit dans le financement de la phase 3 de Tedopi. Nous avons actuellement trois produits prêts à débuter les phases cliniques, et espérons réaliser de nouveaux partenariats autour de deux d’entre eux.

Outre le financement, quels sont les défis à venir pour OSE ?

Aller vite. Tedopi est aujourd’hui le vaccin thérapeutique le plus avancé au monde, mais nous avons des concurrents en embuscade. Par exemple, Moderna, aux États-Unis, a un vaccin thérapeutique contre le mélanome (cancer de la peau) en phase 2. Ils prévoient une mise sur le marché en 2030. L’Allemand BioNtech développe aussi le sien en phase 1 contre le pancréas. L’objectif est donc d’aller vite pour garder notre avance sur ces concurrents. Pour ne pas perdre de temps, nous espérons un soutien fort de l’État français et de l’Europe, via des aides ou des avances remboursables. Après la période Covid-19, nous avons vu les manques en termes de souveraineté française. Nous aimerions au maximum avancer en gardant la valeur de l’entreprise sur place. Si la seule solution est de faire appel à un fonds américain, ou un industriel étranger, notre souveraineté sanitaire sera à nouveau mise à mal.

Nantes # Santé # Services # Biotech # Levée de fonds # Innovation