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À Nantes, les acteurs du numérique s’engagent pour le climat
Enquête Nantes # Informatique

À Nantes, les acteurs du numérique s’engagent pour le climat

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Encore naissante, une communauté d’entreprises et d’acteurs économiques et politiques appelle à des usages du numérique plus responsables. Notamment en vue de réduire les consommations d’énergie et les émissions de CO2. Nantes fait partie des villes particulièrement actives dans ce domaine.

— Photo : JDE

L’épidémie de Covid-19 aura fait exploser les usages du numérique : boom des achats en ligne, séances de cinéma en streaming, réunions par visioconférence avec Skype, Zoom ou Teams… En un mot, moins de déplacements, plus de Web. Un épisode qui invite à s’interroger sur l'impact caché du numérique. Certes, internet ne produit pas directement de déchets et permet d’éviter des déplacements polluants. Mais qu’en est-il de l’impact global en matière d’environnement ou de dépense d’énergie ? Qui a aujourd’hui conscience que le fait d’utiliser une box TV revient à consommer autant que trois téléviseurs simultanément ?

À lui seul, le secteur du numérique est responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, rapporte l’Ademe, 2 % en France en 2019 selon un rapport réalisé par des élus du Sénat. Et si rien n’est fait, ce chiffre pourrait atteindre 6,7 % en 2040, soit un équivalent en CO2 deux fois plus important que celui émis par le transport aérien aujourd’hui (3 %).

« Stockage dans le cloud, réalité virtuelle, 5G… Le numérique reste seul marché où l’on parle encore d’infini dans un monde fini », s’étonne Thierry Leboucq, fondateur de Greenspector (9 salariés). Basée à Nantes, sa société mesure la consommation en énergie et puissance de calcul des logiciels et matériels numériques. Notamment pour de grands comptes.

Des nouvelles communautés à Nantes

Car loin d’obséder les seuls militants de Greenpeace, ces questions agitent de plus en plus le monde économique aujourd’hui. Pour preuve, deux communautés du numérique responsable ont vu le jour depuis cet été à Nantes. La toute nouvelle association Nantes numérique responsable rassemble ainsi une trentaine de membres. Elle a été initiée par Stéphanie Vachon, développeuse en freelance et Romain Petiot, développeur et ancien leader de Green Code Lab, une association qui s’adressait au départ uniquement aux développeurs et réunissait 600 membres. « On a voulu élargir les cibles, parler au grand public », explique le jeune entrepreneur. Objectif : parler environnement mais aussi accessibilité et parité avec des entreprises et des acteurs économiques, mais aussi évangéliser les bonnes pratiques.

L’objectif est le même pour la nouvelle communauté créée en juillet au sein d’ADN Ouest, le réseau des décideurs du numérique, qui rassemble également une trentaine d’acteurs économiques. Un bon début, alors que dans un passé encore récent les ateliers sur les logiciels économes ou le recyclage appliqué à l’informatique remplissaient peu les salles, comparés aux conférences sur la 5G. « On était un peu frustrés jusqu’alors », lâche François Jan, ancien vice-président d’ADN Ouest. « Le mouvement grandit aujourd’hui, mais je n’aurais pas tenu ce discours il y a un an et demi », confirme Sébastien Chaslin, dirigeant de la PME angevine Spécinov, ESN spécialisée dans l’écoconception de logiciel, co-pilote de la communauté Numérique Responsable ADN Ouest. « Avant, nous étions obligés d’optimiser les logiciels car la mémoire de stockage restait très limitée sur les disques durs. Beaucoup redécouvrent l’écoconception aujourd’hui », constate-t-il. Même constat de la part de Romain Petiot. « Quand j’en parlais en 2013, j’étais vu comme un extraterrestre ». Aujourd’hui, l’ancien autoentrepreneur a dû transformer sa société, I have a green, en SARL et embaucher 2 salariés pour répondre à la demande. « L’écoconception, c’était une prestation que je faisais en off, on ne me demandait jamais de le faire. Depuis deux ans, il y a un vrai marché », constate l’entrepreneur.

Il propose des audits de site web ou de projets web. « On propose d’enlever ce qui est inutile ou peu utile. On estime qu’il y a entre 40 % et 70 % des fonctionnalités qui ne sont pas utilisées sur les sites internet », explique-t-il.

Les entreprises s’engagent

L’agence de communication nantaise B Side (20 salariés, 1,8 M€ de CA) a été une de ses premières entreprises clientes. Engagée depuis une dizaine d’années dans une politique RSE structurée, l’agence de communication a mis en place, en 2019, des groupes de travail pour dynamiser et élargir le spectre de cette démarche en balayant tous les champs de l’entreprise : achats, qualité de vie au travail… « En parallèle, nous avions le souhait de faire de l’écoconception pour nos clients. Nous avons donc décidé de commencer par nos propres supports et choisi de garder le même habillage du site en redéveloppant le moteur », explique Charlotte Bagard, en charge du projet chez B Side.

« Cette quête écoresponsable nous a amenés à réduire drastiquement le poids des contenus de type visuels, à supprimer les vidéos hébergées directement sur notre site, à réfléchir également à nos usages pour ne pas trop télécharger, etc. », énumère Charlotte Bagard. L’agence de communication a, par ailleurs, changé d’hébergeur et opté pour Infomaniak, un prestataire suisse fonctionnant à 100 % avec des énergies renouvelables. L’impact du site en termes de gaz à effet de serre a quasiment été divisé par trois selon EcoIndex, un outil de mesure de la performance environnementale des sites web.

Ingrid Berthé (à gauche) et Marion Andro, dirigeantes de l'agence de communication Alphacoms, devenue B Side — Photo : Nicolas Patault

Face à la demande grandissante de ce type de prestations, de plus en plus d’entreprises du numérique se positionnent sur le sujet de l’écoconception. Il y a, bien sûr, la pionnière Green Spector, mais aussi Easyvirt, l’éditeur spécialisé dans l’efficience informatique des serveurs physiques et virtuels, le collectif de développeurs indépendants Translucide, la PME nantaise Evea (35 salariés), spécialisée dans le conseil en écoconception, mais aussi la toute nouvelle start-up Digital4Better.

Dans le nouveau groupe créé par ADN ouest, on retrouve aussi des grands groupes tels que i-BP (Informatique Banque Populaire), Sigma (800 salariés, 62 M€ de CA), OnePoint (transformation numérique des entreprises), l’agence de design nantaise Make It Brain.

Certaines de ces entreprises ont également paraphé la charte de l’Institut du Numérique Responsable (IRN). Association loi 1901 créée en 2018, l’INR a pour objet d’être un lieu de réflexion sur les trois enjeux clés du numérique responsable. Elle rassemble au niveau national des associations et ONG (WWF, Agence Lucie, FING) mais aussi des entreprises (SNCF, Pôle Emploi, La Poste, Société Générale, Engie, Decathlon, MAIF, BNP Paribas Cardif). La charte les engage à une vingtaine d’actions telle qu’allonger la durée de vie des équipements même au-delà de leur amortissement comptable, favoriser des usages et des pratiques limitant les consommations de matériels, de ressources, d’énergies et de consommables, développer des usages raisonnés des données et services dans une démarche éthique vis-à-vis des impacts sur l’environnement et les populations.

Les politiques s’engagent aussi

Digitale4Better a été fondée pas des experts du numérique qui ont décidé de « donner du sens dans ce que l’on fait dans notre engagement pour la société et l’environnement », expose son directeur Jérôme Lucas — Photo : Digital4Better

Nantes pourrait-elle devenir la capitale du numérique responsable ? C’est l’ambition pas si folle affichée par la nouvelle association Nantes numérique responsable. « Au départ, on a dit cela un peu pour rigoler. Mais sérieusement, il y a un terreau fertile à Nantes », précise Romain Petiot. Côté politique, Nantes Métropole prend en tout cas le sujet en main. C’était un thème de campagne de la dernière élection municipale. C’est devenu l’une des fonctions de la nouvelle conseillère municipale Louise Vialard : chargée du Numérique Responsable, de l’e-citoyenneté et de l’Open Data. « Tous les territoires s’intéressent à ce sujet-là », constate Francky Trichet qui parle en tant que responsable de la commission numérique et innovation au sein de France Urbaine, l’association qui représente 22 métropoles françaises.

Première étape de ce vaste chantier : intégrer l’écoconception ou le green IT dans les critères de sélections des appels d’offres. C’est déjà effectif pour tout ce qui concerne les appels d’offres du numérique. « L’objectif est aussi d’en faire un critère pour tous les autres marchés », précise Francky Trichet. Depuis le 1er janvier 2021, cette exigence sur les appels d’offres fait partie de la loi. L’État et les collectivités territoriales, entre autres, doivent promouvoir « le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation »

Avant de se fixer des objectifs chiffrés, des échéances, ou de faire un bilan carbone, l’enjeu est de réunir tous les acteurs, associations et entreprises, autour de la collectivité pour se mettre d’accord sur un référentiel du numérique responsable, que ce soit sur la question environnementale et sociale. « Il faut que l’on inclue les associations, les entreprises du numérique et les industriels mais aussi le grand public, identifier un groupe de gouvernance », explique Louise Vialard. Avec Romain Petiot, elle a d’ailleurs participé, avec l’Institut du Numérique Responsable, à la création d’un référentiel. "Le but est de créer l’équivalent du Référentiel général d’accessibilité des administrations édité depuis 2009 et créé pour mettre en œuvre la loi handicap de 2005." Il devrait être présenté dans les prochaines semaines.

Parallèlement, Nantes Métropole réfléchit à créer une filière de réemploi pour transformer les déchets numériques en ressource au niveau de la métropole. "Mais la première étape est de sortir du déni et de prendre conscience que nous sommes tous, par nos usages, les premiers pollueurs", souligne Francky Trichet.

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