Ludovic Le Moan (Sigfox) : « L'internet des objets doit être une priorité nationale »

Ludovic Le Moan (Sigfox) : « L'internet des objets doit être une priorité nationale »

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Sigfox, l'entreprise qu'il a lancée en 2010 sur le marché de l'internet des objets, vient de lever 100 M€. Financements, French tech, incubateurs : son dirigeant Ludovic Le Moan revient sur ce qui fait bouger l'innovation.
— Photo : Le Journal des Entreprises



En avril 2014, vous faites entrer Anne Lauvergeon dans votre conseil d'administration. Quelques mois plus tard, vous bouclez une levée de fonds record de 100 millions d'euros. Mélanger ancienne et nouvelle économie, qu'on oppose pourtant souvent, ce serait cela l'approche gagnante ?

Je pense que mélanger les univers des start-up et du CAC 40 peut être un modèle efficace de développement. Les approches sont différentes mais cohabitent bien au final. D'ailleurs, pourquoi oppose-t-on nouvelle et ancienne économie ? Cette frontière n'existe pas ! Le but, c'est de faire du business, de prendre des parts de marchés. Par contre, ce modèle de collaboration se retrouve en France face à un gros problème de connexion... Je n'aurais pas eu la chance de prendre un avion avec François Hollande pour aller à Washington, je n'aurais jamais rencontré Anne, nous ne sommes pas du même monde...


Comment faire alors le lien ?

Il y a trop peu d'occasions qui permettent qu'un patron du CAC 40 puisse passer quelques jours avec des start-up. Il ne faut pas rêver : ce n'est pas sur un salon, suite à une poignée de mains et à une discussion parfois condescendante que ça va se passer. Ce n'est pas non plus dans les pôles de compétitivité que cela va arriver : aucun patron du CAC n'est impliqué dans les comités de pilotage. En fait, on voit souvent le développement du numérique par le seul investissement, mais ce qu'il nous faudrait aussi, c'est une structure de connexion, un tiers de confiance sélectif qui permettrait de faire la relation entre grands patrons et start-up ayant des intérêts communs, afin de leur permettre de discuter et collaborer concrètement. Cela contribuera peut-être à lever un autre frein culturel.


Lequel ?

C'est triste, mais les technos françaises ne font pas rêver. Il y a un côté glamour à signer un partenariat avec Google ou Amazon. Ça l'est beaucoup moins de le faire avec Sigfox. Et du coup, des marchés échappent à nos entreprises. En France, il y a pourtant eu des succès comme Criteo, Business Objects, qui n'ont pas été valorisés à leur juste valeur dans notre pays. Mais moi qui ai déjà monté des entreprises, je sens une évolution, une solidarité nouvelle qui se crée. Quand l'un de nous réussit, tout le monde applaudit, des entrepreneurs mais aussi des politiques Emmanuel Macron, Fleur Pellerin ou Axelle Lemaire, sans hypocrisie. C'est nécessaire pour redonner confiance aux jeunes entrepreneurs : il est possible de réussir en étant Français.


Lever des fonds, c'est difficile en France ?

Ça l'est quand on cherche à lever des sommes importantes en capital-développement. Mais cela s'améliore. Bpifrance commence à jouer un rôle important et à bien faire son job en aidant des boîtes comme nous à se développer. Il y a plus de prise de risques et plus une approche de fonctionnaires de l'investissement. Ils essaient de se passionner pour les projets qu'ils financent. Cela débouche sur une approche plus engagée.


Comment la France se positionne-t'elle sur le marché des objets connectés ?

Il faut d'abord prendre conscience que ce marché est le prochain relais de croissance mondial, avec un potentiel de milliers de milliards d'euros, qui va impacter nos vies de façon intime. En France, nous avons un avantage : alors que nous avions complètement raté le virage du cloud, nous sommes là dans les temps. Il faut donc mettre toutes nos énergies sur ce marché. Si on le fait, on peut même finir en tête, devant les Asiatiques et les Américains. L'État doit en prendre conscience, il faut en faire une priorité, mettre le paquet, pas des pièces jaunes.


Du coup, cela vous fait rager de voir des moyens alloués à des secteurs industriels en difficulté

? Quand Florange ferme, qu'il y a du chômage, c'est dur. Mais il ne faut pas se mentir : si on maintient sous perfusion, si on mise sur des secteurs mécaniquement condamnés, on va rater des virages. Regardez l'automobile, dans cinq ans, le marché va totalement être bouleversé. On ne sera plus dans l'auto à papa, mais dans les véhicules électriques, automatiques, connectés. La priorité ne sera pas d'avoir un super moteur, mais un salon roulant. Si on n'y prend pas garde, c'est Apple et Google qui prendront la main. Il faut donc que l'Etat arrive à accompagner les transitions. Pas qu'il s'arc-boute sur de vieux concepts.


La French Tech, vous en pensez quoi ? C'est un réel outil ?

Pour moi, c'est avant tout un coup de com', mais qui a une vertu : il fédère, crée une dynamique. Le piège, c'est qu'on en oublie les fondamentaux. Organiser un événement de 1.000 personnes, ok. Mais quel est l'objectif, qu'est ce qu'on va créer concrètement derrière ? On a mis un curseur à fond pour créer l'événement, mais maintenant, il faut positionner cette dynamique de façon concrète, et arrêter de se mentir sur certains sujets.


Sur quoi se ment-on par exemple ?

Ce qui me fait peur, c'est qu'il ne se passe pas une semaine sans qu'une entreprise, un groupe, crée son incubateur. Mais il faut être réaliste : on aura beau avoir des milliers d'incubateurs, l'enjeu c'est quand même d'y faire travailler des créateurs d'entreprises. Et la création, ce n'est pas encore entré dans l'esprit des Français comme quelque chose de naturel. À un moment, cette poussée des incubateurs n'a donc plus de sens. Voilà le genre de pièges qu'il faut éviter.