Loire-Atlantique : Le Hellfest, « un colosse aux pieds d'argile »
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Loire-Atlantique : Le Hellfest, « un colosse aux pieds d'argile »

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Derrière le succès du festival de musique métal de Clisson (16 millions d'euros de CA en 2015), le Hellfest reste un pari, avec un équilibre économique fragile. Comme l'explique son créateur Ben Barbaud. Une remise en cause permanente qui constitue, selon lui, le lot des grands festivals, des Vieilles Charrues aux Francofolies. Entretien.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Ben Barbaud, vous avez créé aux portes de Nantes le festival Hellfest, consacré au métal et musiques extrêmes, il y a une dizaine d'années. Comment s'annonce la saison 2016 ? Apparemment les places de concert qui se déroulent du 17 au 19 juin, se sont arrachées, avec des « pass 3 jours » tous vendus en deux semaines, fin 2015. Alors que vous n'aviez même pas encore annoncé la programmation...
Oui. Et les billets à la journée, sont tous partis en 24 heures, quand on a dévoilé notre affiche en février. Honnêtement, si l'on avait la capacité d'accueil suffisante, on pourrait écouler 100.000 places par jour. Ceci dit, les coûts logistiques ne seraient plus les mêmes. Et c'est bien aussi d'entretenir une légère frustration, un peu de rareté. On se dit : mince, j'ai pas eu de places, j'irai l'an prochain quoi qu'il arrive. Cette année encore, on va écouler 150.000 places en tout, mais cela représente au final un peu plus de 50.000 spectateurs, car 90 % d'entre eux prennent des billets pour trois jours.

Qu'est ce qui explique cet engouement ?
Le Hellfest possède une âme, une aura. L'organisation a créé tout un univers, avec le métal, les musiques extrêmes via une belle affiche, la contre-culture, beaucoup de symboles : les têtes de mort, des images de l'enfer, des flammes... Tu y rencontres aussi des gens aux cheveux longs, tatoués. Pour l'anecdote, l'an passé 500 personnes se sont fait tatouer notre logo, sur place. Un endroit unique en France. C'est fondamental. Pour notre public, il ne suffit pas que de consommer de la musique. Il faut la vivre.

Vous dites : « Hellfest est le festival le mieux décoré de France ». Ça tient à quoi ?
Je pourrais t'en parler longtemps (sourire). Ça passe par des bars de 20 mètres de haut, réalisés par des artistes etc.. Bientôt, on va ériger une statue de 14 mètres en hommage au chanteur de Motörhead, Lemmy Kilmister, décédé cet hiver, et qui était venu plusieurs fois au Hellfest. Sans doute la dernière vraie rock star... Avec tous les excès qu'on imagine ! À 70 ans, il buvait encore une bouteille de whisky par jour. Cette statue coûtera 100.000 euros, juste pour faire plaisir aux festivaliers, c'est comme ça qu'on fidélise. Même si des puristes nous reprochent de devenir le Disneyland du métal, qu'on s'éloigne du côté roots des débuts.

C'est le côté « festival fait par des fans pour des fans » qui fonctionne ?
Ils se sont appropriés l'événement. On n'est pas dans la logique d'un événement créé par producteurs pour des clients. Pour qu'un festival tienne, il faut une histoire à raconter.

Économiquement parlant, que pèse le festival ?
Il fait vivre 13 personnes à l'année, 500 intermittents lors de l'événement, avec les prestataires etc., on doit solliciter 2.000 personnes sur l'année, plus 3.000 bénévoles ! Pour 17 millions d'euros de chiffre d'affaires. Je rappelle qu'il reste porté par une association. Dès qu'on gagne de l'argent, on réinvestit. Plus de quatre millions d'euros ont été injectés depuis 2012, dans la voirie, les travaux paysagers... Certains préféreraient qu'on s'en serve pour baisser le prix du billet. Mais je pense qu'on a pris la meilleure option pour rendre le festival pérenne. 90 % des billets achetés le sont par des fans. Et quand tu commandes 10 mois à l'avance sans connaître l'affiche un pass à 200 euros, c'est que tu es vraiment fan ! Donc ton budget a moins de limites...

Sur quoi repose votre modèle économique ?
Grosso modo, la billetterie représente 60 % de nos ressources. Sur site, il faut ajouter les consommations aux bars, la restauration et un peu plus de 1,5 million d'euros de merchandising. Car on a affaire à un public fétichiste qui aime collectionner, acheter des disques, des fringues, pour montrer au monde qu'il écoute cette musique. C'est une passion dévorante pour eux. Derrière, on trouve aussi des sponsors privés comme Kronenbourg, Redbull ou les guitares Gibson. Et puis très important : le mécénat et un club d'entreprises, avec 80 sociétés locales impliquées. Qu'il s'agisse d'un apport en numéraire, en échange de places à distribuer à son comité d'entreprises ou ses clients, d'une loge, etc. Ou bien de mécénat de compétences, par exemple un menuisier ou une entreprise TP qui va nous faire une terrasse, bitumer un chemin. La partie entreprise représente l'équivalent d'un million d'euros d'apport. Au final, Hellfest s'autofinance à 99,5 %.

Quel type d'entreprises vous suivent ?
Du très local. On trouve l'entreprise de TP Blanloeil à Clisson, le fabricant de machines agricoles Grégoire-Besson...

Le retrait des 20.000 euros de subventions du conseil régional des Pays de la Loire vous a donc peu impacté ?
Pour mémoire, son président Bruno Retailleau demandait la déprogrammation de Down, dont le chanteur a fait un salut nazi lors d'un concert. Non, les subventions pesaient déjà moins de 1% de nos ressources. Réputé conservateur, monsieur Retailleau n'aime pas l'image du Hellfest et son côté provocateur. Il attendait un prétexte pour faire sauter ces subventions. C'est une mesure idéologique. Jusqu'ici nos déprogrammations ont toujours été faites sous pression des festivaliers. C'est notre politique. Au sujet de Down, il existait une polémique parmi les fans. On attendait de voir. Si la majorité des fans s'opposait à leur venue, on l'aurait déprogrammé. Quant à l'ambiance ici, il n'y a jamais eu d'incident. Les gendarmes se battent même pour venir chez nous ! C'est le seul public de France où ils peuvent tranquillement se balader et où on les voit se faire prendre en photo.

Il y a quelques années, vous évoquiez « la fragilité » de votre modèle. Aujourd'hui c'est une affaire qui roule ?
Le Hellfest est aujourd'hui un rouleau compresseur. Lors des premières éditions, à 15 jours du début, nous n'étions pas au break even. Aujourd'hui, je connais mon budget à l'avance, contrairement à 99 % de mes confrères directeurs de festivals. On ne connaît pas le problème de la baisse des subventions publiques, qui entre dans le modèle de la moitié des festivals. On arrive à supporter l'augmentation des cachets des artistes, qui compensent avec les concerts la baisse des ventes de disques. Mais comme tous les grands festivals, on reste des colosses aux pieds d'argiles. Toute notre activité se joue sur quelques jours, avec des aléas non maîtrisables, comme les conditions mété, qui peuvent influer sur la fréquentation, augmenter les frais d'installation, etc. Concernant le Hellfest, ma pression a changé, aujourd'hui je dois surtout ne pas décevoir. On parie sur une affiche artistique... Mais peut-être que demain les spectateurs seront déçus et revendront leurs billets. Quand on aura fait jouer tous les plus gros groupes de hard rock et de métal, on risque aussi de lasser le public.
Si un jour l'affluence chute de 50.000 visiteurs par jour à 40.000 voire 35.000, notre modèle économique ne fonctionnera plus.

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