Loire-Atlantique
Les sociétés à mission partent à la conquête d'un nouveau modèle d'entreprise
Enquête Loire-Atlantique # BTP # RSE

Les sociétés à mission partent à la conquête d'un nouveau modèle d'entreprise

S'abonner

Le statut d’entreprise à mission est en vogue dans les Pays de la Loire. Encouragé par la loi Pacte de 2019, il permet aux entreprises de s’engager à relever les défis liés au changement climatique et aux aspirations sociales et sociétales. Faguo, Cetih, Charier, B Side, Hyphae s'y sont notamment mis. Une façon d’augmenter leur impact positif, mais qui nécessite innovation, investissement et transformation de leur modèle d’entreprise.

Nicolas Rohr, cofondateur de Faguo — Photo : David Pouilloux

Depuis plusieurs mois, il y a une effervescence indiscutable autour du statut d’entreprise à mission, en particulier dans les Pays de la Loire. Pour s’en convaincre, il suffit de visiter l'un des sites industriels de l’un des meilleurs élèves de la classe sur ce sujet, l’entreprise Cetih, à Carquefou (Loire-Atlantique). "Nous sommes une entreprise engagée dans la RSE depuis 15 ans, et le statut d’entreprise à mission, obtenu en 2021, en est l’aboutissement, explique François Guérin, président directeur général de Cetih. Au quotidien, on peut toutes et tous faire des gestes sur le plan individuel pour lutter contre le changement climatique. Mais les entreprises ont un rôle déterminant à jouer à travers toutes les matières qu’elles utilisent, toute l’énergie qu'elles consomment, tous les déchets qu’elles génèrent, et tous leurs salariés qu’elles peuvent motiver. Elles ont un impact puissant."

600 entreprises à mission en France

Aujourd’hui, en France, 604 sociétés sont déclarées comme entreprise à mission dont une trentaine dans les Pays de la Loire. C’est l’Observatoire des sociétés à mission qui tient les comptes au niveau national. Ce nombre peut sembler bien maigre au regard du nombre de TPE (3 millions), de PME (140 000), d’ETI (5 400) et des grandes entreprises (274) dans notre pays. Mais ces précurseurs sont en réalité les pionniers d’un mouvement plus ample d’entreprises qui s’interrogent sur la transformation de leur modèle afin de répondre au mieux aux enjeux climatiques, sociaux et sociétaux. Par ailleurs, ce statut sent encore le neuf. "Il a été mis en place avec la loi Pacte du 22 mai 2019, qui fixe le cadre juridique de ce nouveau modèle d’entreprise, prévient Anne Mollet, directrice générale de la Communauté des entreprises à mission, une association qui regroupe 400 membres (entreprises, experts, chercheurs…) et qui pilote l'observatoire des sociétés à mission. Le décret d’application de la loi est tout récent, publié en janvier 2020." Elle ajoute : "Préparer sérieusement ce statut exige 6 mois à 2 ans d’un travail collectif." Dans ces conditions, difficile d’imaginer que des milliers d’entreprises pourraient déjà avoir endossé ce statut, sans parler du coup de frein imposé par le Covid à de nombreux projets.

La vague est pour plus tard, mais pas forcément pour dans longtemps, surtout dans les Pays de la Loire. "En un an, j’ai reçu 200 demandes de témoignage, raconte Nicolas Rohr, codirigeant de Faguo, première entreprise à mission en France dans le secteur du textile. Des entreprises, dans tous les secteurs d’activité, me demandent de venir faire part de mon expérience, de leur parler de l’intérêt de ce statut. C’est monumental. Nous avons écrit un livre blanc qui explique les bases, les étapes, de la création d’une entreprise à mission. Il y a déjà eu plus de 7 000 téléchargements en quelques mois. Je ne peux pas recevoir tout le monde, je les renvoie vers la communauté des entreprises à mission."

Une raison d’être et un statut juridique

Ce statut d’entreprise à mission, justement, qu’a-t-il de particulier ? De si intéressant ? Quelle différence avec une politique RSE bien ficelée ? "Une entreprise à mission doit avoir une raison d’être et des objectifs statutaires qui l’obligent à agir sur le plan environnemental, social et sociétal, explique Anne Mollet. La raison d’être, ce sont quelques lignes qui apportent une réponse à des questions de fond : quelle est l’utilité de l’entreprise ? Pourquoi existe-t-elle ? Quel est son impact sur la planète, sur la société ?." Cette boussole guide le dirigeant et ses salariés. Anne Mollet insiste : "Chaque entreprise possède sa singularité, et sa raison d’être lui est propre, et colle à son métier, ses savoir-faire. Une entreprise de travaux publics, un cabinet de recrutement ou une compagnie d’assurances n’auront pas la même raison d’être."

La raison d’être, c’est un peu la philosophie de l’entreprise. Elle grave dans le marbre le "mantra" de la société. Les objectifs statutaires sont la liste des grands chantiers à mener, de trois à une dizaine, en général. Chez Faguo, la raison d’être est écrite partout : "Engager notre génération contre le dérèglement climatique." "Je donne un livret à chacun de nos nouveaux collaborateurs, explique Nicolas Rohr. La moitié du livret est consacrée à la direction artistique. L’autre à la mission." Difficile d’endosser ce statut ? "Pour nous, zéro douleur, résume le dirigeant. C’était dans notre ADN." Il lâche : "Il faut éviter la raison d’être en carton." En clair, celle que l’on sera incapable d’assumer concrètement.

Un statut valable pour 50 ans

Du côté de B Side, agence de communication corporate nantaise, entreprise à mission depuis 2020, Marion Andro, codirigeante, avoue un essoufflement, ressenti il y a quelques années, du côté de la RSE. "On avait besoin d’un nouvel élan, de passer un cap. D’aller au-delà de trier nos déchets et d’avoir des achats responsables." C’est ce que permet le statut d’entreprise à mission, déposé auprès du tribunal de commerce. Elle insiste sur la force de l’engagement. "Quand on prend ce statut, c’est pour les 50 ans à venir, explique-t-elle. C’est l’identité profonde de l’entreprise qui est en jeu. Chez B Side, on s'est demandé ce que c'était que de faire de la communication utile. Utile pour la planète et comme agir au mieux. On s'est rendu compte que c'était auprès de nos clients, des entreprises, de leur transformation, que l'on aurait l'impact maximum. Par ailleurs, on ne s'interdit pas de dire non à un client si on estime qu'il est trop loin sur ce sujet."

Un comité de mission pour être challengé

Le comité de mission est un élément clé du dispositif mis en place avec le statut d’entreprise à mission. Il regroupe des salariés de l’entreprise, des actionnaires, des clients et fournisseurs, et des experts extérieurs. Ce comité compte 7 à 10 personnes. Son rôle : suivre de près les chantiers en cours, les actions menées, et vérifier l’état des indicateurs sociaux et environnementaux de l’entreprise (bilan carbone, plan de mobilité, rémunération des salariés, conditions de travail, etc.). En fin d’année, il rédige un rapport de mission.

Nicolas Rohr, de Faguo, explique le rôle du comité de mission : "Il est là pour nous placer à un niveau d’exigence élevé, nous challenger. Il est là pour s’assurer que les moyens nécessaires sont mis en œuvre pour réaliser les plans d’actions." Le niveau d’exigence peut se révéler dans le choix de l’expert du comité de mission. "J’ai choisi comme présidente de notre comité de mission Virginie Raisson-Victor ", précise François Guérin, de Cetih. Cette chercheuse pilote le Grand défi des entreprises pour la planète, une initiative qui vise à "massifier le nombre d’entreprises" vers un modèle qui répond davantage aux enjeux du développement durable. Par ailleurs, elle est la représentante du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour les Pays de la Loire…

Mais pas de panique pour autant. "Au départ, on n’est pas forcément de bons élèves dans tous les domaines, rassure Marion Andro, de B Side. Le comité de mission observe les indicateurs et regarde si les choses s’améliorent. C’est la progression qui est importante. Pour nous-mêmes, le chantier est en cours, on défriche…" Nicolas Rohr confirme : "Être une entreprise à mission, c’est un cheminement perpétuel, on n’est jamais arrivé au sommet. On a le temps de grandir."

Ne pas mettre la barre trop haut

Marie de Longvilliers connaît ce cheminent. Elle est la cofondatrice d’Il était plusieurs fois, une des premières sociétés à mission de la région Pays de la Loire. Cette entreprise vend des vêtements de seconde main pour les enfants de zéro à 16 ans. Elle quitte cette dernière en laissant les rênes à Aude Viaud, pour se lancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale avec Phillie. Marie de Longvilliers n’imagine pas un autre statut pour sa nouvelle société : "Si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent se lancer, c’est de ne pas mettre la barre trop haut au début. Ne pas hypothéquer la réussite de l’entreprise en voulant gravir des marches trop hautes. Il faut s’engager sur des choses que l’on va pouvoir tenir. Ne pas se perdre avec des engagements qui vous imposent trop de contraintes. Une entreprise à mission, c’est avant tout une entreprise. Il faut d’abord avoir les moyens de ses ambitions."

Innovation, investissement, budget

En filigrane des propos de Marie de Longvilliers, se cache une idée partagée par tous les chefs d’entreprise rencontrés au cours de cette enquête : la réussite de l’entreprise prime. Car elle permet d’investir dans une feuille de route ambitieuse pour l’écologie, le social et le sociétal. "Nous sommes des entrepreneurs, dit François Guérin, par ailleurs président de l'association DRO (Dirigeants responsables de l’ouest). Notre activité doit être rentable, générer des bénéfices. Si l’on veut apporter du bien-être à nos salariés, leur proposer des rémunérations correctes, avoir les moyens d’agir pour la planète, il faut que l’entreprise soit saine." "La pérennité de l’entreprise est absolument essentielle, remarque Paul Bazireau, président du directoire de Charier, une ETI qui opère dans les travaux publics, basée à Couëron (Loire-Atlantique). Elle est morte si elle ne dégage pas de marge. Il faut un budget pour la RSE. C’est de l’innovation et des investissements." Le nouveau siège de Charier est un bâtiment lumineux, insonorisé et passif sur le plan énergétique. Il a coûté 4 millions d’euros. Sous le parking, un système permet de récupérer la chaleur pour produire de l’eau chaude. Le revêtement de places de parking est perméable à l’eau, ce qui évite les effets de ruissellement. Vous dîtes RSE ? Pensez innovation et investissement.

Organisme tiers indépendant

Une fois que le statut d’entreprise à mission a été déposé, avec sa raison d’être et ses objectifs, une fois les plans d’actions mis œuvre, une fois que le comité de mission a remis son rapport, il reste une étape cruciale à franchir : la vérification. L’une des pièces maîtresses intervient alors : l’Organisme tiers indépendant (OTI). En France, 20 entreprises ont la certification OTI, une certification délivrée par le Cofrac (Comité français d’accréditation). "À part les sociétés cotées en Bourse, aucune entreprise n’a à certifier ses données RSE, explique Estelle Le Bihan, associée expert-comptable et commissaire au compte chez HLP-Audit, à Nantes, également OTI. Aujourd’hui, la nouvelle réglementation sur les sociétés à mission impose à ces entreprises un audit par un OTI, tous les deux ans pour les entreprises de plus de 50 salariés et tous les trois ans pour celles qui en ont moins de 50."

Contrairement à ce qui se passe pour une entreprise lambda, qui peut raconter ce qu’elle veut niveau RSE, les OTI passent au scanner le rapport du comité de mission. "L’intervention des OTI a été mise en place pour éviter le greenwashing, prévient Estelle Le Bihan, pour que ce statut ne soit pas choisi uniquement par aubaine commerciale."

Une entreprise qui afficherait des convictions écolo et solidaire peut capter l’attention de clients sensibles à ces causes très nobles ou remporter des appels d’offres sans que leur engagement ne soit sincère. "C’est une contrainte et un budget pour une entreprise à mission de faire appel à un OTI", note Estelle Le Bihan.

Des indicateurs qui ne trompent pas

L'engouement pour ce statut se confirme-t-il en Pays de la Loire ? "Il existe une dynamique locale, reconnaît Estelle Le Bihan. J'ai une demande d'accompagnement par semaine. Ce sont des entreprises qui veulent basculer vers ce statut. Il y a une aspiration très forte à ne plus faire comme avant. J'interviens ainsi en amont, avant l'écriture du rapport de gestion. Il est important de choisir des indicateurs simples que l'on aura envie de faire vivre."

Les indicateurs ? Des critères précis pour apprécier les actions menées. L'OTI vérifie les indicateurs sociaux : taux d'accident du travail, taux de turn over, entretien annuel, formation, égalité homme-femme, progression salariale, pourcentage de CDI, taux d'intérimaire… Les indicateurs environnementaux : bilan carbone, achats responsables, plan de mobilité, choix de fournisseurs locaux… Les indicateurs sociétaux : implication auprès d'associations, ancrage dans la vie du territoire, engagement auprès des séniors… Une remarque : "lorsque la mission est portée par un stagiaire ou par le dirigeant lui-même, c'est un bon indicateur de l'investissement réel sur le sujet…" La suite ? L'OTI rend son verdict. L'entreprise à mission doit publier sur son site internet l'avis de l'OTI, pendant 5 ans, qu'il soit favorable ou non. Une personne ayant intérêt à agir peut saisir le tribunal de commerce durant cette période et demander à ce que le statut d'entreprise à mission lui soit retiré si l'avis est défavorable. "La photo de départ n'est pas forcément très belle, reconnaît Estelle Le Bihan. Mais l'important, c'est d'enclencher le processus d'amélioration. C'est cela que l'on regarde de près."

Des efforts récompensés

Mais cet effort peut être un avantage. "Aujourd’hui, pour les audits d’investissement et la prise de participation dans une société, le critère RSE d’une entreprise est un critère pour dire " on y va " ou " on n’y va pas ", explique Estelle Le Bihan. Idem du côté des banques qui commencent à observer ces critères non financiers pour dire oui ou non à un prêt." En d’autres termes, investisseurs et banquiers ont les yeux de Chimène pour ses entreprises vertueuses, et au pouvoir de résilience très fort. "Plusieurs études montrent que les entreprises très engagées dans la RSE résistent mieux aux crises, assure François Guérin. Leur business model repose sur le temps long, l’innovation permanente, la capacité d’adaptation et l’anticipation des crises."

Pour les entreprises, l’un des intérêts les plus saillants de ce statut se situe du côté du sens. "Le rapport au travail a changé, estime Paul Bazireau, président du directoire de Charier, une entreprise qui endossera en juin le statut d’entreprise à mission. Demain, une entreprise qui ne donnera pas un sens conforme à l’intérêt général aura beaucoup de mal à recruter. Dans sa raison d’être, une entreprise à mission affiche sa contribution au bien commun." Un atout pour attirer les talents et les conserver. Il poursuit : "Nous nous sommes séparés d’une partie de nos activités, l’enfouissement des déchets, parce qu’elle n’était pas en cohérence avec la stratégie et les objectifs RSE que nous menons depuis 17 ans maintenant. Lorsque l’on écrit sa raison d’être, cela nous permet de clarifier le sens que l’on donne à notre métier. Nos salariés ont le souci de leur territoire et ont le sentiment de rendre service à la collectivité. Ils sont fiers de ça."

De l’authenticité et du sens

"Il y a une recherche d’authenticité chez les salariés, une volonté d’alignement entre ce qu’ils sont, profondément, et ce qu’ils font, déclare Teddy Travert, cofondateurs d’Hyphae, entreprise à mission vendéenne, située du côté de Montaigu, et qui fournit des cadres pour des missions dans le secteur industriel. Dans leur travail, ils veulent s’investir au quotidien dans une mission qui va dans la bonne direction. Cela va même plus loin : au-delà de l’intérêt de la mission qu’il mène, en entreprise, un grand nombre de nos salariés sont prêts à donner une journée par semaine pour donner un coup de main à une association."

"Des entreprises sont arrivées à l’âge adulte, elles écrivent une nouvelle page de l’économie", estime Marie de Longvilliers. "On ne peut plus faire du business comme d’habitude, dit Marion Andro. Les enjeux se déplacent aujourd’hui. Le profit pour le profit a atteint ses limites." "Nous sommes en train d’inventer collectivement un nouveau modèle d’entreprise", résume François Guérin. Un capitalisme à visage plus humain où les conditions de travail des salariés, l’impact de l’entreprise sur la société et la planète sont assumées sans que cela obère la réussite de l’entreprise, bien au contraire." L’entreprise à mission permet de réconcilier performance économique et performances environnementales et sociales, dit Anne Mollet. Les entreprises sont au cœur des solutions." Nicolas Rohr conclut : "Le monde serait moins dur s’il y avait plus d’entreprises à mission."

Loire-Atlantique # BTP # Textile # Services # Information-communication # Services aux entreprises # RSE