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Les réseaux féminins propulsent les entrepreneuses
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Les réseaux féminins propulsent les entrepreneuses

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Stéréotype de genre, réminiscences de l’éducation, poids de la famille : être une femme dirigeante ou porteuse de projet, c’est encore en 2022 faire face à des freins, qu’ils soient propres à l’histoire de l’entrepreneuse ou exogènes. En Loire-Atlantique et Vendée, les réseaux économiques féminins s’étoffent ces dernières années pour lever ces blocages. Dans le même temps, la législation évolue.

Pour atteindre le haut de la pyramide dans les entreprises, les femmes doivent surmonter des obstacles qui leur sont propres ou exogènes — Photo : Wolfilser 

Christel Heydemann succédera à Stéphane Richard à la direction d’Orange : le bruit médiatique, fin janvier, accompagnant cette nomination faisait certes écho à la taille de l’entreprise, opérateur téléphonique numéro en France. Mais elle mettait aussi en exergue la sous-représentation chronique des femmes aux postes de direction : cette ingénieure des Ponts et Chaussées incarne seulement la deuxième directrice générale du CAC40.

Une étude de Manageo menée en 2019 auprès de 5,7 millions d’entreprises apporte un éclairage saillant sur l’entrepreneuriat féminin. Elle concluait que 32 % étaient dirigées par des femmes. En Pays de la Loire, le chiffre oscille entre 30 et 40 %. "Sur le papier", nuance Marie Eloy.

Installée en Bretagne, la créatrice des réseaux Femmes des territoires, qui ambitionne de fédérer 75 000 dirigeantes d’ici 2030 en France, et de Bouge ta boîte -dédié aux entrepreneuses et implanté dans 120 villes- observe un "déséquilibre. Au-delà de 10 salariés, nous ne retrouvons que 14 % de femmes chefs d’entreprise". Laurence Vernay, vice-présidente de la CCI Nantes-Saint-Nazaire, qui dirige le cabinet d’avocats en droit des affaires TGS avocats et préside l’association Femmes Chefs d’entreprises (FCE) Pays de la Loire (une centaine de dirigeantes rien qu’en Loire-Atlantique et Vendée), dresse un constat similaire pour la région : "Dans l’auto-entrepreneuriat, la micro-entreprise et la TPE, ce sont majoritairement des femmes que l’on retrouve".

Des stéréotypes qui ont la vie dure

Cette disparité homme-femme qui perdure en 2022 a pour fondation des stéréotypes de genre qui ont la vie dure. Les entrepreneuses de Loire-Atlantique et Vendée y sont confrontées et évoquer leur parcours, c’est pour elles rappeler un chemin composé autant d’épines que de roses. "Nous sommes moins prises au sérieux que les hommes, estime ainsi Aline Pradeau, formatrice indépendante à Châteaubriant (Loire-Atlantique). Nous devons davantage faire nos preuves auprès de la famille, de l’entourage, des banques, des investisseurs…"

"Il existe bien un plafond de verre, abonde Flora Nicolle, créatrice de son entreprise de communication au Pellerin (Loire-Atlantique) et responsable de l’antenne du 44 de Mampreneures, association réunissant une quinzaine de mamans dirigeantes. Nous allons être bloquées dans notre développement par des croyances personnelles, par le poids de notre culture et de la société".

"Nous sommes plus hésitantes à nous lancer, nous faisons preuve d’une certaine frilosité, j’en suis la preuve", confirme Lætitia Alet-Figureau de Women@Nantes (une soixantaine d’adhérentes) et devenue, à force de pugnacité, cheffe de projet-consultant en e-commerce aux Sorinières (Loire-Atlantique).

Son expérience de dirigeante conjuguée à celle de présidente d’un grand réseau féminin a amené la nantaise Laurence Vernay à analyser ce qu’elle nomme les "croyances limitantes" : "La femme s’autocensure sur ses capacités, il y a derrière une question de légitimité, le syndrome de la bonne élève, il faut que l’on soit parfaite. Tout ceci nous amène à limiter nos souhaits de développement. D’ailleurs, les business models sont souvent moins ambitieux chez les femmes. Nous sommes moins à l’aise avec les mots ambition, pouvoir, argent que les hommes. Pendant des dizaines d’années, ce n’était que des sujets masculins."

Laurence Vernay, présidente de Femmes chefs d’entreprises Pays de la Loire : "Les femmes sont moins à l’aise avec les mots ambition, pouvoir, argent que les hommes." — Photo : Bertrand BECHARD

Marie Eloy a théorisé ce "frein interne" comme elle le nomme : "Depuis toujours, nous avons été considérées comme secondaires. On a beau connaître les codes, les stratégies, le business, on culpabilise, on se sent illégitime."

Une étude de la BPI de mars 2021 sur la création d’entreprise innovante par les femmes met des mots sur ces maux : elles sont 36 % à déclarer leur peur d’échouer contre seulement 28 % chez les hommes.

L’indispensable force des réseaux

"Mais les choses évoluent, se félicite Laurence Vernay. Nous représentons 50 % de la population, il n’y a pas de raison que nous ne représentions pas la moitié des chefs d’entreprise." La part des femmes dans la création d’entreprise croît depuis 30 ans : 29 % en 1987, entre 30 et 40 % actuellement, même si elle se stabilise depuis 2015.

Pour que cette tendance à l’entreprenariat féminin se développe, les réseaux féminins sont un levier essentiel. Près d’une quinzaine existe en Loire-Atlantique, une dizaine en Vendée. À titre de comparaison, ils étaient 13 en 2019 sur toute la Normandie. "La Loire-Atlantique et la Vendée sont de vrais territoires de réseaux, constate Marie Eloy. Non seulement car ce sont des départements dynamiques économiquement, mais aussi car quel qu’il soit, homme, femme ou mixte, il est entré dans les esprits qu’il faut intégrer un réseau pour se développer."

Flora Nicolle préside le réseau Mampreneures : "Il existe bien un plafond de verre, nous sommes bloquées par des croyances personnelles." — Photo : NF

L’origine de la plupart est récente : Mampreneures ne compte qu’une poignée d’années d’existence, Bouge ta Boîte à Clisson (douze membres) a soufflé sa première bougie en décembre, les Vendéennes aux Sables d’Olonne est né en novembre 2020… C’est en 2019 qu’Audrey Guilbaud et Claire Matillon ont créé une entreprise dédiée à l’entraide féminine à la Roche-sur-Yon nommée le Café des Entrepreneuses, organisant des ateliers auxquels une centaine de femmes participe chaque mois… D’autres œuvrent à l’égalité homme-femme dans la société et plus spécifiquement dans le monde économique. C’est le cas des Fameuses, réseau fédérant 250 femmes d’influences (sportives, dirigeantes, scientifiques…) et qui organisent le 18 mars 2022 à Nantes le Printemps des Fameuses ponctué de conférences sur ce thème."Leur nombre explose partout en France, constate Marie Eloy, cela n’a rien à voir avec la situation d’il y a une dizaine d’années."

"L’échange se fait plus facilement"

Mais qu’en attendent les femmes qui les intègrent ou les orchestrent ? Albane Madec, gérante d’une boutique de décoration et référente de l’antenne nantaise des Officieuses (quatorze entrepreneures), en explique l’essence. "Je suis arrivée à Nantes voici deux ans, et je me suis vite aperçue que c’était une ville de réseaux. Pour développer mes connaissances, s’épauler, il fallait que j’en fonde un. On fait du business, mais il y a aussi de la convivialité, du partage d’expérience…"

Claire Matillon et Audrey Guilbaud ont créé une entreprise dont la vocation est de soutenir les femmes entrepreneures — Photo : Café des entrepreneuses

Ce soutien est un support indispensable pour Flora Nicolle, des Mampreneures, remarquant qu’à Nantes "beaucoup de femmes entrepreneures sont seules. La force d’un réseau est que nous pouvons échanger sur tous sujets. Et savoir que l’une ou l’autre d’entre-nous peut comprendre notre problématique, ayant vécu une situation similaire, nous aide".

Présidente de Business au Féminin Network qui a pour mission de promouvoir les talents féminins dans les entreprises à Nantes, Laurence Mesnier-Kohn y voit d’autant plus d’intérêt en cette période du Covid : "Cette crise, c’est l’occasion de resserrer les liens entre adhérentes, une opportunité de davantage s’aider. Il y a une très grande sororité entre nous."

"Sans FCE, je n’aurais pas eu le courage de continuer", confesse Patricia Laurent. Cette ex-infirmière du CHU de Nantes a fondé voici dix ans son cabinet de conseil et organisme de formation sur la thématique de la santé en entreprise, Aptitude à Basse-Goulaine (trois salariés). "Il fallait que je me rapproche d’experts pour être guidée dans ma création d’entreprise, se souvient-elle. J’ai donc adhéré à l’association." Laquelle lui a donné la "force de m’accrocher car je ne pensais pas être à la hauteur, estimant ne pas avoir les compétences, tout me paraissait être une montagne". Au sein de FCE, des petites comme des grandes entreprises sont représentées, "et je me suis aperçue, au fil des discussions, que nous avions toutes les mêmes problématiques. On rigole, on pleure, on se livre très facilement… Nous sommes vraiment ensemble pour nous entraider". Patricia Laurent est impliquée au point d’avoir créé un atelier d’entraide au sein de FCE, soit des groupes qui épaulent un profil en particulier.

Dont Laurence Havard, qui a dirigé dix-sept années un centre de formation à Saint-Herblain, encadrant une dizaine de salariés. En mai 2021, une restructuration au sein de son entreprise la contraint à quitter son poste. "Tout s’est écroulé, je n’avais plus la capacité d’analyser ce qui m’arrivait, j’ai perdu pied, je pensais que je n’étais plus bonne à rien." Le groupe d’entraide à FCE s’est structuré "sur la base de l’écoute, de la bienveillance, de propositions, avec des témoignages de dirigeantes ayant vécu des périodes compliquées. C’est très fort d’entendre que d’autres sont passées par ces situations difficiles". Laurence Havard en ressort rassérénée et avec un plan d’action : préserver sa santé, se faire accompagner par un avocat… "Aujourd’hui, je suis très active dans la recherche d’un nouveau challenge qui aura du sens", résume-t-elle.

Laurence Havard, membre de FCE Pays de la Loire : "Les thématiques évoquées au sein de l’association tirent vers le haut." — Photo : FCE

De l’importance du modèle

Au-delà des ateliers d’échanges, les réseaux se donnent aussi pour mission d’encourager des vocations en formant un trait d’union avec des dirigeantes qui sont autant de modèles d’entrepreneuriat féminin. À cet égard, FCE intervient dans des écoles et des salons des Pays de la Loire pour jouer ce rôle d’impulsion. D’autres réseaux féminins en Loire-Atlantique et Vendée organisent des ateliers de témoignage d’entrepreneuses dans cette même logique d’inspiration. Women@Nantes a ainsi invité début 2022 Anne-Laure Mesguen, cofondatrice de Benevolt (plateforme de mise en relations de bénévoles) à présenter son parcours à des adhérentes.

La législation comme alliée

Puiser dans des modèles, réseauter, faire sauter des verrous sociétaux, autant de conditions nécessaires mais pas suffisantes pour davantage se déployer aux yeux des porteuses de projets et femmes dirigeantes de Loire-Atlantique et Vendée. Un autre levier existe, qu’elles jugent impérieux d’activer : les évolutions législatives et réglementaires. "Je défends ces quotas bec et ongles, appuie Laurence Vernay. On en connaît les contraintes, dont le fait que l’on va privilégier une femme qui sera peut-être moins capable qu’un homme. Dans le monde entrepreneurial, on n’aime pas les contraintes, mais aujourd’hui, malheureusement, c’est un mal indispensable."

En 2011, la loi Copé-Zimmermann, qui imposait 40 % des femmes dans les conseils d’administration, était adoptée pour les entreprises de plus de 250 salariés. La loi Rixain, votée en décembre 2021, va plus loin, instaurant 40 % de femmes aux postes dirigeant des grandes entreprises de plus de 1 000 salariés en 2030. Autre illustration d’une volonté du législateur de lever des freins, la loi de financement de la Sécurité Sociale de 2021 allongeant le congé de paternité de 11 à 25 jours. Une mesure effective depuis le 1er juillet 2021 qui a, entre autres, pour effet de libérer du temps à la maman pour sa vie professionnelle.

Sandrine Pelletier, PDG d’Aplix au Celier : "Nous sommes moins à la recherche du pouvoir, nous nous concentrons sur des choses plus pragmatiques. " — Photo : Jessy Hihn

"Si on a cette envie d’entreprendre, allons-y, scande Flora Nicolle à la tête de Mampreneures. Se manquer n’est pas un échec, au moins on aura essayé, il n’y aura pas de regrets". Une démarche conquérante qu’a fait sienne Sandrine Pelletier. Cette ancienne diplômée de HEC, veuve alors que ses enfants étaient âgés de seulement 6 et 9 ans, est depuis 2016 PDG d’Aplix, numéro deux mondial des fixations et fermetures auto-agrippantes. Un géant basé au Cellier (Loire-Atlantique) de plus de 1 000 collaborateurs répartis sur six sites dans le monde et pesant 170 millions d’euros de chiffre d’affaires. Concilier sa vie professionnelle et personnelle fut parfois un casse-tête comme une source de fatigue pour cette dirigeante âgée de 56 ans, mais son message est entièrement teinté d’optimisme à l’endroit de celles qui voudraient se lancer : "Il faut oser, faire sa route comme on a la volonté de la faire et… ne pas chercher à ressembler à un homme."

We’Re In, le projet européen pour entrepreneuses

Les intervenantes de We’re in et les porteuses de projets et créatrices d’entreprises parties prenantes au programme en cours — Photo : Incubacteur

Calqué sur le principe d’Erasmus consacré aux étudiants, We’Re in, également un programme de l’Union Européenne, vise à ouvrir les horizons professionnels. Orchestré localement depuis l’espace de coworking l’Incubacteur de Saint-Etienne-de-Montluc et plus précisément co-piloté par la société Interfaces qui gère le lieu, il a en Loire-Atlantique pour thème "l’entrepreneuriat féminin". En collaboration avec la société Eléo hébergée sur place et dont le métier est d’accompagner ses clients sur le montage de dossiers européens, son principe est de partager compétences et méthodologies. "Nous sommes associés à un réseau d’entrepreneuses en Belgique, à l’université de Sarrebruck en Allemagne, à celle de Vigo et à un club d’entreprises près de cette ville espagnole", expose Perrine Edelin, responsable de l’Incubacteur.

Depuis 2019, "chaque partenaire apporte quelque chose que nous dupliquons dans nos différents pays." Ainsi, les Allemands ont pensé un atelier "je crée mon business", proposé à des porteuses de projets de Loire-Atlantique ; les Espagnols ont réalisé une BD sur l’entrepreneuriat féminin diffusée localement ; les Belges ont réalisé une vidéo sur cette thématique…

Surtout, "nous avons la possibilité d’envoyer deux fois dix femmes porteuses de projet dans chaque pays partenaire". Quatre Ligériennes se sont rendues en Belgique pour s’enrichir d’expériences locales. D’ici mai, d’autres entrepreneuses devraient franchir des frontières pour se nourrir des méthodes sur place. En parallèle, "nous recevons des étrangères, porteuses de projet ou entrepreneuses de moins de 3 ans d’existence pour qu’elles découvrent, échangent sur les pratiques des différents pays, puis nous les mettons en relation avec des dirigeantes du territoire qui ont des activités similaires ou complémentaires pour échanger". Le programme prendra fin à l’été 2022.

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