« Les PME françaises ne doivent pas fuir l'Amérique de Trump »
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« Les PME françaises ne doivent pas fuir l'Amérique de Trump »

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Spécialiste de la stratégie d'entreprise, Isabelle Saladin évoque les conséquences de l'arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis sur l'activité des entreprises françaises et le jeu économique mondial.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Quelles sont les conséquences de l'arrivée de Donald Trump au pouvoir pour l'économie américaine ?

Isabelle Saladin : Aux États-Unis, les classes moyennes ont énormément souffert de l'utilisation excessive du principe du libre-échange et de la crise financière de 2008. C'est pourquoi Donald Trump promet aujourd'hui une politique économique tournée vers le marché intérieur américain, avec des investissements massifs dans le public, notamment dans les infrastructures, et promet le plein-emploi. À très court terme, il devrait acter l'augmentation des taxes sur les produits importés. Comme il a souvent désigné la Chine comme responsable numéro un du chômage aux États-Unis, il pourrait notamment mettre en oeuvre le relèvement de 45 % du taux appliqué sur les importations chinoises. Son programme est de sanctionner fortement les délocalisations menées par les entreprises américaines par des amendes (il a menacé les constructeurs automobiles et Fiat-Chrysler a annoncé le rapatriement aux États-Unis d'une production de pick-up fabriqués au Mexique, NDLR). Il veut aussi récompenser la création d'emplois sur le sol américain par une fiscalité de 15 %, du jamais vu aux États-Unis ! Donald Trump va prendre ces décisions très rapidement et est capable d'atteindre cet objectif.

Le risque à moyen terme pour les Américains est la hausse automatique des prix et donc la baisse de leur pouvoir d'achat. De manière plus globale, les règles du jeu économique mondial vont être bouleversées, avec désormais un "trio" pour le mener : Donald Trump, Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping.

Les chefs d'entreprise, et notamment de PME, français qui font du business aux États-Unis ou avec ce pays se préoccupent-ils assez de cette question ?

I.S. : Les Français ont une position opportuniste, voire attentiste, vis-à-vis des changements qui interviennent aux États-Unis. Nous l'avons vu lors du salon CES de Las Vegas début janvier : les entrepreneurs du numérique veulent bien trouver des investisseurs américains, des financements pour leurs entreprises, mais personne n'a eu l'air de s'inquiéter de la future politique économique américaine et des conséquences qu'elle pourra avoir sur leur activité dans le pays. Dans les PME plus " traditionnelles ", la majorité des patrons ne se sent absolument pas concernée par ce changement politique international majeur. L'exception étant ceux qui sont déjà implantés aux États-Unis et qui se demandent à juste titre comment s'adapter au niveau local.

Comment peuvent-ils s'emparer de ce sujet ?

I.S. : Ils doivent dès aujourd'hui anticiper ce nouvel équilibre mondial des affaires en s'interrogeant sur leur stratégie de développement à l'international : est-elle adaptée au nouveau contexte macroéconomique ? Ils doivent se demander pourquoi il est impératif pour leur entreprise de se développer sur le marché américain, voire de s'y implanter, en identifiant ce qu'il serait incontournable d'y faire et à quelle échéance. Ensuite il leur faudra ajuster ou, dans certains cas, complètement repenser leur modèle économique pour que ce dernier soit performant face à la nouvelle donne concurrentielle. Avec l'augmentation probable des barrières douanières, il faut par exemple privilégier l'ouverture de filiales et de sites de production aux États-Unis, car les entreprises qui ont simplement une représentation commerciale verront leurs produits taxés très fortement à la frontière.

Vous affirmez que le changement politique que suscite l'arrivée de Trump au pouvoir va générer des opportunités de business pour les PME françaises. Lesquelles ?

I.S. : Tout changement politique engendre des opportunités business, il faut juste les anticiper, les analyser et connaître les rapports de cause à effet. Par exemple, le protectionnisme américain va forcément entraîner le désengagement des entreprises américaines dans certains pays et laisser la place libre à d'autres entreprises pour investir. Nous savons que les États-Unis vont se retirer de certains pays à court terme, et bien je dis " allons-y " ! Il faut absolument qu'en France, et plus largement en Europe, les chefs d'entreprise puissent comprendre le fonctionnement de la mondialisation et des liens commerciaux entre les pays.

Selon vous, le Brexit est-il également un élément perturbateur pour l'activité des entreprises françaises ?

I.S. : Je ne vois pas du tout le Brexit comme un acte de protectionnisme économique, le Royaume-Uni n'ayant jamais eu les mêmes règles du jeu que les autres pays européens (les droits de douane par exemple). Ce qu'il faut davantage redouter, c'est l'accord commercial qui devrait se dessiner entre les États-Unis et le Royaume-Uni, historiquement et économiquement proches. Plus que l'arrivée de Trump au pouvoir et plus que le Brexit, c'est la combinaison de ces deux événements qui risque d'avoir des conséquences néfastes sur l'activité des entreprises européennes.

Comment l'Union européenne peut-elle tirer son épingle dans ce nouveau jeu mondial ?

I.S. : L'une des seules solutions efficaces serait d'enfin créer une Union européenne fédérale forte, avec une fiscalité unifiée. L'UE pourra ainsi jouer à armes égales avec les Américains lors des négociations commerciales. Elle peut également décider de mettre en place des taxes sur l'importation de produits américains. Enfin, il faut favoriser les échanges commerciaux avec de nouveaux pays dynamiques, comme par exemple le Vietnam qui a enregistré 6 % de croissance en 2016.

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