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La filière solaire des Pays de la Loire se rebelle contre la concurrence chinoise
Enquête Pays de la Loire # Industrie # Innovation

La filière solaire des Pays de la Loire se rebelle contre la concurrence chinoise

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La nouvelle loi sur les énergies renouvelables met en lumière l’intérêt du solaire photovoltaïque et fixe le cap de 100 gigawatts à installer d’ici à 2050. Dans les Pays de la Loire, cette filière se réveille après des années difficiles. Industriels, start-up, distributeurs et installateurs profitent du boom, dans un contexte où la concurrence mondiale fait rage.

Paul Toulouse, directeur général de Systovi, et François Guérin, président directeur général de Cetih — Photo : David Pouilloux

En Pays de la Loire, comme partout en France, le soleil brille sur le solaire. La nouvelle loi sur l’accélération des énergies renouvelables, votée au Parlement début février 2023, est une bonne nouvelle, de l’avis de tous les acteurs. Elle fait de l’énergie solaire photovoltaïque l’un des axes cruciaux pour soustraire la France de la dépendance aux énergies fossiles et pour accélérer la décarbonation de la production énergétique afin de lutter contre le changement climatique. Elle fixe la puissance à installer dans notre pays à un niveau impressionnant : 100 gigawatts d’ici à 2050, contre 13 aujourd’hui.

Il serait facile d’imaginer que des millions de panneaux solaires couvriront dans les années qui viennent les ombrières des parkings, les toits des grandes surfaces et des bâtiments d’entreprises, les toits des écoles, des garde-corps des immeubles d’habitations, et que l’on installe des centrales solaires sur des champs, des friches industrielles… Mais il y a un os. La question est de savoir si nos industriels profitent vraiment de l’engouement actuel. Et, surtout, s’ils en profiteront encore davantage quand les volumes d’installations augmenteront à la vitesse de la lumière. En clair : qui fabriquera les panneaux solaires ou les autres solutions solaires à même de remplir les objectifs fixés par l’État ?

90 % des entreprises françaises au tapis

Pour l'heure, en Pays de la Loire, les acteurs semblent sortir d’un long sommeil suite à cette période de crise qui avait vu 90 % des entreprises françaises du secteur aller au tapis, entre 2011 et 2017, conséquence directe du moratoire imposé par le gouvernement Fillon sur le prix de rachat de l’électricité solaire par EDF. Premier constat ? "Il y a un vrai boom, reconnaît François Guérin, président de Cetih, ETI industrielle spécialisée dans les secteurs de l'enveloppe de l'habitat et de la rénovation énergétique, dont la filiale Systovi fabrique des panneaux solaires à Carquefou (Loire-Atlantique). Pendant longtemps, en France, on ajoutait 800 à 900 mégawatts en solaire par an ; depuis deux ans, ce sont désormais 2,5 gigawatts. Un cap a été franchi, c’est indéniable." Il note aussi : "Dans notre centre de formation, 85 % des personnes sont formées aux métiers du solaire, principalement des installateurs. C’est du jamais vu."

Concurrence déloyale

Mais un second constat s’impose : installer n'est pas fabriquer. "Environ 90 % des panneaux posés en France viennent de Chine, prévient Paul Toulouse, directeur général de Systovi. Avec 40 mégawatts de panneaux fabriqués par an, nous représentons 1,5 % du marché français. Notre objectif est de viser 80 mégawatts en production d’ici à l’été 2023, grâce à notre nouvelle chaîne de montage. Notre ambition pour les deux ans à venir serait d’atteindre les 300 mégawatts, mais cela nécessiterait un investissement de 10 millions d’euros."

Pour l'instant, Systovi (90 salariés, 20 millions d’euros de chiffre d’affaires) ne compte pas engager une somme aussi importante sans que des garanties réglementaires ne soient posées par la France et l’Europe. "Il nous est impossible de concurrencer la Chine sur le coût de production, déclare Paul Toulouse. La main-d’œuvre chinoise et les conditions environnementales de production en Chine ne sont pas comparables à celles de la France." Par ailleurs, les produits chinois bénéficient de subventions de l’État, d’allégements fiscaux et de prix réduits sur les matières premières, afin que les sociétés chinoises tuent la concurrence et inondent les marchés à l’export.

Taxer les produits chinois

Pour François Guérin, la réglementation européenne devrait par exemple imposer "une taxation sur les produits chinois pour compenser les effets de cette concurrence déloyale". Autre possibilité : subventionner la production européenne afin de diminuer les coûts de fabrication. "Nous ne sommes pas sur un pied d’égalité, et les États-Unis l’ont bien compris avec leur loi IRA (Inflation Reduction Act), dont l’un des objectifs est de promouvoir les énergies propres en les subventionnant massivement", explique Paul Toulouse. Environ 370 milliards de dollars seront ainsi engagés pour soutenir les filières de l’industrie verte outre-Atlantique. "Quand les produits américains arriveront en Europe, on ne pourra pas tenir le même discours que face à des produits chinois", souligne François Guérin. Et l’horizon se charge d’une nouvelle concurrence. S’ajoutent en effet à la Chine et aux États-Unis de nouveaux acteurs. "L’Inde et la Turquie s’y mettent aussi, rapporte François Guérin. L’Europe doit se protéger."

Systovi a bénéficié d’une aide de la Région Pays de la Loire de 200 000 euros sous forme de subvention et d’un million d’euros sous forme de prêt, qui a permis de financer la nouvelle chaîne de production. 800 000 euros ont été également engagés pour l’achat d’un nouveau four, un investissement qui permettra de faire tourner les deux chaînes de production de panneaux photovoltaïques en même temps. Mais l’entreprise, hors de conditions réglementaires européennes les protégeant de la concurrence déloyale chinoise ou américaine, n’investira pas un euro de plus dans son outil industriel. "Le risque, c’est de se lancer dans un investissement important, de construire une belle usine, qui n’aura aucune chance d’être compétitive sur un marché faussé, explique Paul Toulouse. Nous avons un accord avec Bpifrance pour un prêt de six millions d’euros, mais ce prêt sera engagé si les conditions réglementaires sont favorables."

La production de panneaux en France ?

Jean-Philippe Leray, le directeur de Dome Solar, fabricant français de fixations pour panneaux photovoltaïques sur grandes toitures, à Rezé (Loire-Atlantique), enfonce le clou : "Les quelques fabricants européens sortent de dix ans très durs puisqu'en face d'eux la production de panneaux est subventionnée par le gouvernement chinois. Tant qu'on ne se battra pas avec les mêmes armes, ce sera très compliqué. Soit on instaure une prime à la fabrication de panneaux à l'échelle de l'UE, soit on restera dans les mêmes difficultés."

Un espoir : aujourd'hui le coût de fabrication est descendu à moins de 100-110 € / MW, donc "on pourrait réindustrialiser à un prix de fabrication français", estime Jean-Philippe Leray, qui rappelle que deux projets sont en cours : Bélénos, qui associe le nantais Systovi et l'alsacien Voltec Solar, et le projet de la start-up Carbon à Lyon, qui vise la construction d'une première usine en capacité de fabriquer 5 gigawatts de panneaux photovoltaïques en 2025 puis 15 gigawatts en 2030. "Si on avait deux gigafactories en France, ça changerait déjà la donne."

En Normandie ou dans le Grand Est, le solaire déploie ses rayons. Ainsi, avec d’autres acteurs du solaire français, comme le lyonnais Carbon, Systovi a tiré la sonnette d’alarme. Elle a adressé mi-février 2023 une lettre au gouvernement. Dans cette tribune, les enjeux sont posés ainsi : "En France, la loi d’accélération des énergies renouvelables ne traite qu’à la marge la question de l’amont et de l’industrie. […] Il faut à présent que notre industrie photovoltaïque nationale change d’échelle et retrouve la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur grâce à des champions industriels français ! Notre marché domestique doit atteindre 5 GW/an en 2026 (puis 10 GW/an dans les années suivantes) pour remplir les carnets de commandes et nous donner la dimension nécessaire afin d’être compétitifs à l’export."

Asca propose des films solaires

Hubert de Boisredon, PDG d’Armor Group, qui possède une filiale qui produit des films solaires — Photo : David Pouilloux

Asca, filiale d’Armor Group, ETI nantaise dirigée par Hubert de Boisredon, ne cache pas son agacement, alors qu’elle a investi près de 100 millions d’euros dans une innovation majeure. "Dans l’industrie du photovoltaïque, on est dans une situation encore pire que celle du gaz, car on est tous dépendant de la Chine. Quand il y aura une tension entre la Chine et Taïwan, qu’il faudra sanctionner la Chine, nous serons dans une situation de conflit d’intérêts complet." Il ajoute : "C’est aberrant, on développe le solaire en faisant tourner les usines chinoises. Il y a beaucoup d’industriels européens, et notamment français, des PME et des ETI, qui développent des solutions photovoltaïques nouvelles, et qui sont très peu connues."

Le photovoltaïque ne se résume en effet pas aux seuls panneaux solaires. Via sa filiale Asca, Armor Group propose une innovation de rupture : un film photovoltaïque organique. "Nos films sont ultralégers, flexibles, on peut leur donner la forme que l’on veut et les poser sur un grand nombre de surfaces, en particulier les façades des bâtiments, précise Hubert de Boisredon. Notre solution solaire ne propose pas de réinjecter de l’électricité dans le réseau. Elle permet de rendre autonome un bâtiment, en produisant sa propre électricité pour l’éclairage, le chauffage, la climatisation."

Beem Energy vise l’international et la diversification

Ralph Feghali, Arthur Kenzo et Pierre-Ammanuel Roger, fondateurs de Beem-Energy - Nantes — Photo : Beem Energy

À l’autre bout de la chaîne de valeur, sur le créneau de l’autoproduction d’électricité, on observe néanmoins de belles réussites, notamment chez les start-up qui proposent des kits solaires pour les particuliers. Parmi elles, Beem Energy. Créée en 2019 à Nantes, la start-up conçoit des kits de panneaux photovoltaïques simples d’utilisation que l’on peut monter soi-même. Elle a opéré une levée de fonds 7 millions d’euros en 2021 et comptait alors une douzaine de collaborateurs. Elle emploie aujourd’hui une trentaine de salariés. "Nous avons actuellement une quinzaine d’offres d’emploi ouvertes", témoigne Pierre-Emmanuel Roger, cofondateur et directeur technique de la start-up. L’entreprise, à l’étroit dans ses 900 m2, recherche entre 3 000 et 5 000 m2. Les panneaux solaires de Beem Energy sont fabriqués dans des usines en Europe et en Asie, avant d’être acheminés jusqu'à l’entrepôt nantais. "Nous aimerions rapatrier cette étape de fabrication en France, mais n’avons pas encore trouvé l’équilibre nécessaire qui permettrait de vendre notre solution à un prix compétitif", précise Pierre-Emmanuel Roger.

Un pari difficile, d’autant que la start-up a de grandes ambitions, entre international et diversification. "Nous commençons déjà à nous étendre en Europe avec notre kit solaire, en Espagne, en Italie et en Allemagne. Et, en parallèle de notre kit, nous souhaitons développer de nouveaux produits liés au solaire qui promettent de pousser plus loin la logique d’autoproduction d’énergie par le consommateur. Ces nouveaux outils devraient sortir dans le courant de l’année."

Massifier les ventes grâce à une levée de fonds

Toujours à Nantes, la société nantaise Sunology, fondée fin 2019 par Vincent Arrouet et Pascal Janot, prépare une levée de fonds significative qui va lui permettre de déployer massivement ses solutions solaires destinées aux particuliers. "Le solaire est l’énergie de demain. Il existe une forte appétence de la part du public, mais il reste des freins à lever pour convertir cette envie en adoption massive du photovoltaïque", indique Vincent Arrouet, directeur général de Sunology.

Pour ce faire, Sunology propose notamment Sunology Play, une station solaire "plug and play", et Sunology Home, une technologie développée avec l’agence nantaise Emotic qui permet d'établir un plan solaire personnalisé. La start-up, qui emploie 22 salariés, prévoit de décupler ses ventes en investissant dans le marketing et la force commerciale. Parallèlement, Sunology compte se déployer en Europe en se développant dans deux nouveaux pays. "Nous sommes les seuls en France et en Europe à disposer de cette double offre", souligne le dirigeant. Des ressources financières seront également affectées à la R & D en lien avec le design des produits et le machine learning. Enfin, des croissances externes sont prévues pour compléter l’offre et les technologies de Sunology qui devrait atteindre 50 salariés d’ici la fin 2023.

Un chiffre d’affaires qui explose

Nicolas Samon, directeur commercial d’Enerfox — Photo : MAXIME REMY

Parmi les autres acteurs ligériens de la filière qui profitent de la levée du solaire, on trouve Enerfox, une start-up mayennaise. Celle-ci conçoit et commercialise des appareils dotés de logiciels pour suivre, analyser et optimiser la consommation d’énergie des entreprises principalement d’électricité photovoltaïque. Enerfox comptait six salariés en septembre 2021. Un an et demi plus tard, l’entreprise atteint quinze personnes. "J’étais le premier salarié en 2019, et le seul commercial jusqu’en mars 2022. Cinq personnes travaillent avec moi désormais", témoigne Nicolas Samon, le directeur commercial. Le chiffre d’affaires vient d’exploser : de 100 000 euros l’an dernier, il va passer à 350 000 euros (clôture en mars 2023), et la croissance devrait se poursuivre avec la même intensité. La start-up a installé son outil de monitoring chez 125 sites clients, et affiche un objectif de 1 500 sites d’ici 2 à 3 ans.

Des années de vaches maigres

Simon Ondet, directeur général Solewa, qui pose plus de 200 000 m2 de panneaux photovoltaïques par an — Photo : Solewa.

Au sein des installateurs, l’un d’entre eux, incarne particulièrement bien les vicissitudes du solaire en France. L’entreprise Solewa, basée au Mans (Sarthe), assure l’installation, le nettoyage, la maintenance et le dépannage de panneaux photovoltaïques au sol ou sur toitures, pour les professionnels (industrie, secteur tertiaire, agriculture). "Dès le départ, la croissance a été exponentielle, se souvient Simon Ondet, directeur général de Solewa. Je suis arrivé en 2007, j’étais le second salarié. En 2010, nous étions plus de 110 salariés ! En 2009 et 2010, nous avons créé des agences à Montaigu (Vendée), Orléans et Bordeaux. Avec le moratoire de 2011, 70 % de nos commandes ont été annulées du jour au lendemain ! Nous avons dû nous restructurer, nous recentrant sur deux agences (Le Mans et Montaigu). Au plus bas, nous n’étions plus qu’une vingtaine de salariés. Ont suivi quatre années de vaches maigres, en lente progression. L’activité est vraiment repartie à partir de 2017."

Depuis, Solewa enchaîne des croissances à deux chiffres. 12,9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, puis 17,1 M€ en 2019, 29 M€ en 2021, pour finir à 37,5 M€ en 2022 (soit une hausse de 29 %). Revenue à 50 collaborateurs en 2019, elle a doublé son effectif, à plus de 100 personnes aujourd’hui, et compte en recruter 40 de plus en 2023. En 2022, Solewa a installé 225 000 m2 de panneaux. C’est le plus important faiseur de l’Ouest. Le made in France ? "On essaie d’importer d’Europe, mais l’offre est limitée. 10 % de nos panneaux proviennent d’Allemagne. Le reste d’Asie."

Un marché plus sain

En 2021, Solewa a intégré le groupe Butagaz (927 M€ de CA en 2022). "Nous avons fait le choix de nous adosser à un groupe plus important car nous sommes sur un marché qui connaît une très forte croissance, explique Simon Ondet. Nous sommes passés de 0 à 30 millions d’euros de chiffre d’affaires en quinze ans d’existence. Nous souhaitions ainsi consolider et sécuriser notre entreprise". Le contexte semble très favorable. "Outre la prise de conscience générale sur l’intérêt des énergies renouvelables, toutes les planètes se sont alignées, estime Simon Ondet. L’intérêt économique s’est renforcé. Avant 2011, le marché était porté par les subventions de l’Etat. Aujourd’hui, le marché est plus sain. Le marché de l’autoconsommation est devenu rentable, à 5 à 10 ans, pour des produits garantis 25 à 30 ans. Une entreprise qui installe plus de 500 m2 de panneaux pour autoconsommer aujourd’hui paiera son KWh 6 centimes, pendant 20 ans. Sur le marché Spot, il est à 20 ct, et de nombreux contrats revus actuellement passent à 30 ct voire 60 ct. Le solaire n’est plus un coût, mais une solution."

Le prochain combat à livrer dans la filière solaire sera lui aussi législatif, avec la préparation du projet de loi sur l’industrie verte dans les mois à venir. Un combat pour protéger le Made in France, qui se jouera avec un arsenal de mesures réglementaires à même de combattre le dumping chinois et les énormes subventions américaines. "Si d’ici à un an, on ne fait rien, lâche Paul Toulouse, directeur général de Systovi, c’est cuit."

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