Internet : quand ça rame pour les PME
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Internet : quand ça rame pour les PME

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Des clients qui hurlent, des entreprises qui envisagent de déménager, des collaborateurs au chômage technique, des dirigeants désemparés…Voilà les conséquences que peut avoir une mauvaise connexion Internet sur les entreprises. Enquête auprès des entreprises de Loire-Atlantique et Vendée.

— Photo : Vincent Florin

« Faute de débit, le système plante, cela ralentit nos réponses aux clients qui hurlent. Notre responsable technique s’est plaint à plusieurs reprises, il était au bord de la dépression, j’ai dû alerter la médecine du travail », confie Anne Lemarchand, dirigeante de LEM Equipement, concessionnaire de matériels TP et motoculture. Elle n’est pourtant pas installée en zone rurale au bout du monde. « Nous ne sommes pas dans un désert mais à Saint-Étienne-de-Montluc, dans une zone industrielle à 15 km de Nantes », s’agace-t-elle. Son entreprise est pourtant raccordée à la fibre. « Nous avons aussi deux agences à Bédée (Ille-et-Vilaine) et Rédéné (Morbihan) dans lesquelles nous avons eu beau multiplier par deux ou trois le nombre de giga, nous ramons toujours. J’ai écrit 14 courriers à Orange, aux directions de Paris, de Nantes, de Rennes, rien n’y a fait », se désole-t-elle.

Photo : LEM-Equipement

« En quelques mois, le réseau ADSL s'est fortement dégradé »

Même panique à Pornic pour Corinne Bruel, directrice générale de Camping-Car Park. Pour cette PME en pleine croissance qui ouvre des aires de camping-cars un peu partout en France et en Europe, le raccordement à Internet est vital. C’est lui qui permet de gérer à distance les barrières de sécurité de ses aires mais aussi les relations avec ses clients. Il y a un an, l’entreprise commence à pâtir de mauvaises connexions, sans comprendre.

« C’était une horreur, on a failli déménager à cause de cela. En quelques mois, le réseau ADSL s’est fortement dégradé, de 15 à 6 ou 7 mégabits par seconde », se souvient-elle. En plein milieu de la journée, les salariés se retrouvaient bloqués, au chômage technique.« On était obligé de leur dire de travailler chez eux », se rappelle la dirigeante. Depuis la zone de l’Europe, à l’ouest de Pornic, où l’entreprise est installée, Corinne Bruel fait des pieds et des mains pour résoudre le problème. Une seule solution : se connecter à la fibre optique.

Renseignements pris, un raccordement est bien prévu par le Département mais pas avant 2018. Trop tard pour la société en pleine croissance. Elle finit par se faire raccorder personnellement en faisant appel au réseau Gigalis, le réseau régional très haut débit. L’abonnement lui coûte 950 euros HT par mois sans compter les 1 500 euros de frais de raccordement.

Un parcours du combattant

Mais au-delà du coût, ce que la chef d’entreprise déplore, c’est l’énergie que la démarche lui a demandé. Le parcours du combattant aura duré un an. « On a vraiment dû crier au secours, on était vraiment à la limite de déménager. On s’est battu. Il fallait des accords, des démarches administratives, tout ce qu’un chef d’entreprise déteste », confie-t-elle. À côté, ses voisins de la zone d’activité prennent leur mal en patience, en attendant qu’Orange, le prestataire choisi en janvier 2017 par le Département, apporte la fibre. « Quand j’appelle le technicien Orange, il est incapable de me donner une date », s’agace Yvonnick Kerboriou-Plaire, dirigeant de l’Imprimerie Nouvelle et conseiller municipal à la mairie de Pornic. Pour lui qui échange des fichiers très lourds avec ses clients, le raccordement aussi est vital. Et chaque jour compte.

Des appels de dirigeants impatients, Orange en reçoit tous les jours. L’opérateur a été choisi par le département de Loire-Atlantique pour raccorder, hors des grandes agglomérations de la Carène, Cap Atlantique et Nantes Métropole déjà presque entièrement raccordées, 52 communes en Loire-Atlantique avant 2021. En Vendée, c’est le Groupement d’Intérêt Public Vendée numérique qui associe le Département et le Sydev qui s’en occupe. Sur les deux départements, la priorité est donnée aux zones d’activité.

Des coûts de raccordement élevés pour les entreprises

Problème : même si la fibre optique arrive dans les zones d’activité, pas sûr que toutes les entreprises puissent s’y brancher. Pour s’abonner à la fibre dédiée, le réseau non partagé qui garantit un débit sortant de 200 mégabits par seconde et 1 gigabit par seconde en entrant, est fixé à 250 euros, raccordement inclus. Il peut monter jusqu’à 600 euros selon les besoins de l’entreprise. Et pour les entreprises qui ne seraient pas raccordées, comptez 10 euros par mètre pour tirer le câble de la fibre jusqu’à l’entreprise.

Les solutions alternatives

Un coût qui peut s’avérer trop élevé pour des TPE ou les PME les plus isolées. C’est ce qui pousse des entreprises à chercher des solutions alternatives. Certaines testent la connexion par satellite, pour laquelle le Département délivre une aide financière, d’autres font installer deux voire trois box. D’autres encore choisissent le système D et attendent la pause déjeuner ou même la nuit pour envoyer des fichiers lourds et ne pas freiner la connexion en réseau de toute l’entreprise. Quelques-unes font installer la fibre par les airs.

C’est ce que propose HeapSys, une start-up nantaise, l’une des seules organisations à le proposer en France. Elle passe en fait par les faisceaux hertziens en installant des antennes relais sur les points les plus hauts, comme au Sillon de Bretagne. Les entreprises n’ont plus qu’à installer une antenne sur leur toit pour recevoir une connexion pouvant aller jusqu’à 100 mégabits par seconde. La solution est six fois moins onéreuse que l’installation de la fibre. Le fondateur de cette TPE créée il y a 5 ans (5 salariés, 250 000 euros de CA) reçoit tous les jours des appels d’entrepreneurs désespérés. Ils ne sont pas forcément installés en campagne, isolés. « Parmi les 250 clients, j’en ai pas mal qui sont à Nantes. Ils sont raccordés à la fibre optique grand public qui ne garantit pas un débit constant et régulier et qui s’avère donc insuffisant », détaille Vincent Florin.

Une des antennes installées par la start-up HeapSys — Photo : HeapSys

Le volume des données augmente de 30 % par an

Souvent, le problème vient du fait que les entrepreneurs n’ont pas anticipé suffisamment leurs besoins en débit. « Aujourd’hui toutes les entreprises ont un site Internet, passent parfois tout leur système sur le cloud, ont un CRM pour leurs commerciaux qui s’y connectent non-stop. Je le vois au quotidien : le volume des données augmente de 30 % par an pour chacune des entreprises », observe Vincent Florin. Gare donc à la déconnexion pour les entreprises qui n’auraient pas anticipé cette montée en puissance. Pour aider les entrepreneurs à identifier leurs besoins, certains clubs d’entrepreneurs décident de les accompagner.

C’est le cas de Coeur de Retz entreprises et du réseau d’entrepreneurs Force 8. Les deux associations ont envoyé un questionnaire aux 5 000 entreprises de Pornic et ses environs pour identifier leurs besoins en débit. Des résultats que Ludivine Périnel, responsable du développement économique pour la communauté d’agglomération de Pornic regardera avec attention. Les réponses lui permettront d’identifier les urgences et d’apporter des réponses pragmatiques aux TPE qui ne maîtrisent pas le sujet. « On a bien conscience des enjeux pour l’attractivité de notre territoire », explique-t-elle.

Une des antennes installées par HeapSys — Photo : Vincent Florin

Le Département a dépense 60 % de son budget pour la fibre

L’enjeu est aussi de veiller à ne pas trop dépenser. C’est en effet à la communauté d’agglomération que reviendra la charge d’installer les derniers mètres de fibre que le département n’aurait pas prévus. Les entreprises qui ont été oubliées dans le plan du Conseil général supplient actuellement les communes. Mais l’investissement, qui coûte cher, peut ne pas s’avérer rentable. « Cela coûte de 80 000 à 100 000 euros pour raccorder une zone d’activité », rapporte Bernard Gagnet, vice-président du Conseil départemental de Loire-Atlantique.

Le Département aura dépensé 60 % de son budget pour installer la fibre dans 52 communes avant 2021. 108 M€ en tout en Loire-Atlantique, près de 92 M€ engagés en Vendée. Sans compter les 300 M€ de budget qui pourraient aussi être débloqués en Loire-Atlantique après les élections de 2022 pour raccorder les derniers sites les plus isolés. Conscient de l’urgence, Bernard Gagnet souligne l’engagement que cela demande aux départements : « On aura mis 13 ans pour raccorder tout le monde à la fibre ».

L'enjeu de la digitalisation des entreprises

Si l’urgence est aussi prégnante, c’est que les entreprises commencent à comprendre l’enjeu de la digitalisation sur leur activité. « Tous ces délais et contretemps sont inconcevables dans un monde où tout va plus vite, où les PME ont besoin d’être compétitives et ne peuvent pas se permettre de perdre du chiffre d’affaires pour des raisons qui ne tiennent pas à leur coeur de métier », rapporte Anne Lemarchand.

« Dans le Sud-Vendée, toutes les entreprises s’en plaignent. À une époque c’était la desserte autoroutière qui était importante. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Nous avons l’impression d’être un peu oubliés et les entreprises se trouvent désarmées face à cela », confie Philippe Huget, président de Sud Vendée Littoral entreprises. « Aujourd’hui tout le monde a besoin d’une connexion Internet, même les agriculteurs sont hyper-connectés », remarque Yvonnick Kerboriou-Plaire.

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