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Guy Lézier (tribunal de commerce) : « La concurrence déloyale est exacerbée par l’emploi des supports numériques »
Interview Nantes # Juridique

Guy Lézier président du tribunal de commerce de Nantes Guy Lézier (tribunal de commerce) : « La concurrence déloyale est exacerbée par l’emploi des supports numériques »

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Le dynamisme économique de Nantes se reflète dans les statistiques du tribunal de commerce. 350 entreprises naissent chaque mois à Nantes depuis début 2019, soit 23 % de plus que l’année dernière. En revanche, le nombre de procédures collectives augmente aussi. Autre indicateur en hausse : celui du nombre de contentieux, notamment pour des requêtes liées à des faits de concurrence déloyale. Explications et analyse de Guy Lézier, président du tribunal de commerce de Nantes.

Guy Lézier quittera la présidence du tribunal de commerce de Nantes fin 2019 — Photo : JDE

Le Journal des Entreprises : Après avoir atteint un point bas, le nombre de contentieux remonte depuis le début de l’année. Pour quelles raisons ?

Guy Lézier : Le nombre d’affaires nouvelles progresse en effet de 10 % sur le premier semestre 2019. Outre les traditionnels impayés, les problématiques liées aux cautions personnelles des dirigeants et celles liées aux malfaçons dans le secteur de l’immobilier alimentent la hausse. Signe des temps, l’activité est plus vigoureuse, les échanges plus nombreux, les contentieux suivent en proportion. Mais c’est dans le domaine des requêtes fondées sur l’article 145 du Code de Procédure Civile que l’activité judiciaire dite « présidentielle » se développe. Dans un monde économique où maintenant tout va très vite et dans lequel la morale de la vie des affaires s’est sans doute émoussée, les comportements déloyaux se développent. Concrètement, de plus en plus d’entreprises soupçonnant des faits de concurrence déloyale et craignant que si le débat contradictoire s’engage, les éléments de preuve ne disparaissent, demandent sur requête au Président du tribunal d’ordonner des mesures d’instruction et de désigner un huissier afin de saisir, avant tout procès, les moyens de preuve de ces faits déloyaux. Il s’agit le plus souvent d’entreprises qui soupçonnent un de leurs anciens salariés d’avoir détourné des fichiers clients et de monter une société concurrente. Avec une simple clé USB, il est désormais tellement facile de copier et récupérer discrètement des fichiers… Il ne se passe pas une semaine sans que je sois saisi d’au moins une requête sur ce fondement. Cela représente plus d’une cinquantaine d’affaires par an.

Autre chiffre révélateur : jamais il n’y a eu autant de créations d’entreprises à Nantes…

G. L. : La bonne santé économique du territoire se reflète de manière très claire : nous avons enregistré une hausse de 23 % des immatriculations de sociétés depuis le début de l’année. En tout 3 683 sociétés ont été créées dont une moitié d’entre elles sont des entreprises commerciales. Les créations d’activités individuelles portent cette hausse autant que les activités exercées sous forme sociale. On constate une augmentation de 37 % de création de ce type depuis le début de l’année. En revanche, nous observons aussi une augmentation du nombre de procédures collectives qui avait atteint un point bas l’an dernier. Nous enregistrons 285 dépôts de bilan depuis le début de l’année. Elles sont en hausse de 10 % mais en globalité cela représente moins de chiffre d’affaires que l’an dernier (49 M€ de CA cumulé contre 75 M€ en 2018), ce qui signifie que les entreprises concernées sont plus petites. On y trouve en fait beaucoup de commerçants indépendants. De manière générale, nous observons qu’il y a assez peu de PME et PMI qui passent directement par le dépôt de bilan. En fait l’activité des administrateurs judiciaires se transforme. Elle se déplace insensiblement des procédures collectives judiciaires vers les procédures amiables de mandat ad hoc ou de conciliation. Je crois que les entreprises qui se sont outillées pour le pilotage de leur gestion ont compris qu’il fallait anticiper aux premiers signes de faiblesse et chercher la protection de la loi qu’elles peuvent demander à l’occasion d’un rendez-vous de prévention. Cela se révèle dans les chiffres : +23 % de demandes de conciliations et de mandat ad hoc depuis janvier 2019.

Le tribunal de commerce de Nantes semble de plus en plus diligent pour rendre ses décisions. Y a-t-il une raison ?

G. L. : C’est grâce au contrat de procédure que nous avons signé avec le barreau de Nantes il y a une dizaine d’années. Ce contrat est entré dans les mœurs et la pratique professionnelle. Même s’il peut toujours être perfectionné, depuis qu’il a été mis en place, il est bien respecté. Dans plus de 65 % des cas, les avocats plaident le jour fixé, sans qu’il y ait de demande de report, ce qui est un vrai progrès. Nous restons vigilants et ainsi nous améliorons les performances du tribunal. Nos délibérés sont rendus à deux mois, de date des plaidoiries. Diligence du tribunal, respect des règles par le barreau, c’est sans doute la recette d’une justice efficace.

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