Fabrice Cavarretta : « La France est un paradis pour entreprendre »
Interview # Conjoncture

Fabrice Cavarretta : « La France est un paradis pour entreprendre »

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Stop au « French bashing » ! C'est le mot d'ordre de Fabrice Cavarretta qui l'affirme dans un livre au titre qui claque au vent comme un drapeau tricolore : « Oui, la France est un paradis pour les entrepreneurs ! ».

— Photo : Le Journal des Entreprises

Le Journal des Entreprises : Soubresauts autour de la Loi El Khomri, revendications de Nuit Debout, grèves, bras de fer sur l'assurance chômage : l'actualité du moment permet-elle vraiment d'affirmer que la France est un paradis pour les entrepreneurs ?

Fabrice Cavarretta : Cela fait trente ans que j'observe l'entrepreneuriat français. C'est à l'échelle de ces décennies que l'on peut savoir si la France est oui ou non un bon environnement. Depuis dix ans, il s'est produit des choses superbes : l'évolution du marché du capital-risque, Bpifrance, la montée des clusters... Aujourd'hui, si quelqu'un veut monter son entreprise, la situation est favorable. Cela n'est pas contradictoire avec le fait qu'il y ait des problèmes économiques ou sociaux. Aujourd'hui, si mon fils me dit « j'ai envie de monter une boîte », je continuerais à lui dire qu'il a de la chance de le faire en France. Cela ne sera pas une promenade de campagne, mais ce n'est le cas nulle part dans le monde.

Il y a quand même une nuance dans votre livre : l'Hexagone ne serait pas un paradis pour tous les types d'entrepreneurs...

Cela l'est pour les « entrepreneurs d'opportunité », qui s'inscrivent dans une dynamique de croissance, qui veulent grandir, franchiser. Bref, typiquement les « start-uppers », ce qui ne nécessite d'ailleurs pas forcément de diplômes particuliers. Pour les « entrepreneurs de nécessité », qui cherchent à sortir du chômage en créant des commerces par exemple, la chance de gain n'est pas énorme, et cela va être en effet plus difficile.

Votre discours détonne sur un point : pour vous, l'État, que beaucoup veulent voir alléger, est un facteur de succès...

Dans beaucoup de marchés, le fait que l'État intervienne, encadre, régule et alimente est un facteur fondamental. Les grands écosystèmes dans le monde, à l'image de la Silicon Valley ou d'Israël, ont comme point commun d'avoir reçu beaucoup d'argent des militaires. Si on avait éliminé l'État, il n'y aurait donc pas de Silicon Valley, de high-tech israélienne ou même française. Il faut arrêter de fantasmer ! Dans l'agroalimentaire, quand les Chinois ont des problèmes de régulation sur leur marché du lait, où le lait frelaté fait parfois des morts, vers qui se tournent-ils ? Vers le gouvernement français, car ils considèrent que notre approche est exemplaire dans le monde. Et quand les Chinois viennent, ce n'est pas simplement pour se faire raconter l'histoire, mais aussi pour acheter des laiteries. Pourtant, on continue à dire que nos régulations sont une source de catastrophe alors que dans beaucoup de cas, cela crée de la valeur. Regardez la filière vinicole, très régulée... Notre vin est resté un produit premium, avec une marque, de la reconnaissance. Peut-on en dire autant de la filière porc, très peu régulée ?

Autre point étonnant : vous défendez la qualité de l'administration française...

Je me réfère à une étude de la Banque Mondiale. Elle considère que nous sommes un pays de droit romain avec des codes beaucoup plus volumineux qu'aux États-Unis où le système de « common law » fait que peu de règles sont écrites et que les juges décident. En France, les créateurs d'entreprise vont se cristalliser sur l'interaction avec l'administration. Mais dans le système anglo-saxon, les interactions vont être aussi très nombreuses avec les avocats, du fait d'un système peu encadré. La Banque Mondiale fait donc la somme des interactions avec les administrations et les avocats. Une fois la totalité des processus pris en compte, la France est 27e au classement mondial. Cela nous met devant les États-Unis, Israël, l'Allemagne, et le Royaume-Uni. La France est le premier des grands pays dans ce classement administratif ! Ceux qui se plaignent des agents Urssaf n'ont encore jamais croisé un avocat new-yorkais !

Pour vous, quels sont les deux facteurs majeurs qui constituent le socle de cette France paradisiaque ?

Le premier, c'est notre grand choix de domaines d'excellence. On dit souvent qu'Israël est la « start-up nation », mais sorti du high-tech, vous n'y avez aucune aide de l'État et un PIB minuscule qui vous empêche de lancer tout un tas d'activités. Par contre, la France a un écosystème fabuleux en agroalimentaire, en mode, en design, etc., avec des effets intéressants d'entraînement, des clusters, une masse critique. C'est un choix incroyable pour les entrepreneurs d'opportunité ! Le facteur humain est également important, avec un personnel très bien formé qui coûte finalement peu cher par rapport à son niveau. Dans la Silicon Valley, un ingénieur coûte 250.000 dollars. À Paris, vous le payez environ 150.000 euros avec les charges ! C'est une force, il faut en profiter !

Finalement, nous, Français, ne sommes-nous pas les premiers ambassadeurs du « french bashing » ?

Nous avons un problème de prophétie auto réalisatrice. À force de dire que c'est l'enfer, on s'en convainc, et on convainc les gens qui arrivent et cela a un impact sur les clients, les investisseurs. Les études montent qu'à facteurs égaux de vie, le Français aura une perception plus négative que des habitants d'autres pays. Nous souffrons d'une sensation de perte Nous avons été une nation fabuleuse au XIXe siècle en termes économiques et entrepreneuriaux. Nous étions un empire et nous avons certes perdu du rang. Mais objectivement, nous restons incroyables : pour 60 millions d'habitants, notre prestige, notre capacité d'influence, notre capacité à créer des entreprises des marques, des champions restent inouïes ! Il faut faire un travail sur nous-mêmes pour se le rappeler.

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