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Vos déchets valent-ils de l'or ?
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Vos déchets valent-ils de l'or ?

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La loi incite de plus en plus les grandes comme les petites entreprises à recycler et à revaloriser leurs déchets. Une obligation qui crée des nouvelles filières en Loire Atlantique et Vendée. Quand les poubelles deviennent du gaz naturel ou de l’électricité…

Suez reçoit de plus en plus d'appels d'entreprises cherchant à valoriser leurs déchets — Photo : Suez

Combien vous coûtent vos déchets ? Comme une entreprise sur deux, selon une étude réalisée par l’Ademe (L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), vous ignorez sûrement le tonnage et le coût de gestion de vos déchets. Pourtant, quel que soit le prix actuel, une chose est sûre, ils vous coûteront de plus en plus cher. La réglementation ne cesse en effet d’évoluer dans ce sens. Saviez-vous par exemple qu’à partir de janvier prochain, elle oblige toutes les entreprises, même les plus petites, à trier leurs déchets en cinq flux ?

Concrètement, il va falloir séparer le papier, plastique, verre, bois du reste des déchets. Si vous ne le faites pas, vous vous exposez à une amende de 15 000 euros. Certes, il est peu probable qu’un agent vienne fouiller dans vos poubelles et vous délivrer une amende. Mais une autre loi devrait être plus incitative, en tout cas pour les industriels.

Durcissement de la loi

Dès 2018, soit dans deux mois, le coût d’enfouissement, c’est-à-dire de mise en décharge, devrait passer de 40 à 48 euros la tonne, selon un amendement voté ce mois d’octobre par des députés LREM. Tout aussi drastique, la loi de transition énergétique pour la croissance verte fixe comme objectifs de valoriser sous forme de matière plus de la moitié des déchets non dangereux d’ici à 3 ans, et de réduire la mise en décharge de 50 % à l’échéance 2025. Si ce n’est pas encore fait, il est donc urgent de mettre le nez dans vos poubelles et de faire le tri des déchets qui pourraient être revalorisés. Cette question de la revalorisation est déjà une réalité pour toutes les entreprises engagées dans une démarche de RSE (Responsabilité sociale de l’entreprise).

Impératif de rentabilité

Elle sera aussi bientôt un impératif, pour toutes les sociétés dont le coût des matières premières ne cesse d’augmenter. Pour certaines, c’est même déjà devenu une question de survie. C’est le cas de la société d’hivernage de bateaux de plaisance Wintering, installée au Pouliguen. Elle cherche une solution pour revaloriser les centaines de coques de bateaux que des plaisanciers laissent à l’abandon dans ses entrepôts. « La déconstruction d’un bateau de plaisance représente un coût de 4 000 euros en moyenne pour une coque de 6 mètres », explique Thierry Deniau, le PDG de Wintering. À terme, le coût croissant de l’enfouissement des bateaux pourrait bien plomber ses comptes. Dans d’autres secteurs, d’autres entreprises ont déjà commencé à s’organiser.

C’est le cas des Coteaux Nantais, le leader européen de l’arboriculture en biodynamie, qui a installé, sur son nouveau siège à Remouillé, la centrale bioénergétique créée par la start-up nantaise Naoden. En Vendée, le producteur de canards Ernest Soulard, a investi plus de 10 millions d'euros dans une unité de méthanisation qui devrait rentrer en production d’ici la fin de l’année. Toutes les deux sont en effet tenues de prouver qu’elles revalorisent bien les biodéchets qu’elles produisent.

C’est désormais obligatoire pour toutes les structures qui produisent plus de 10 tonnes par an. Cela le sera pour toutes les structures d’ici à 7 ans. Revalorisés, ces déchets peuvent servir à produire de l’électricité ou du gaz naturel. Les centrales bioénergétiques installées par Naoden peuvent ainsi produire entre 30 kilowattheures (kWh) d’électricité et 60 kWh de chaleur et d’électricité. Ouvert aux entreprises voisines, le méthaniseur installé par Ernest Soulard, devrait à terme être capable de produire du gaz naturel dit bio, dans des volumes correspondant à la consommation de 13 500 habitants.

Donner une nouvelle vie aux déchets

De plus en plus d’entreprises tentent ainsi de trouver des solutions de revalorisation de leurs déchets organiques. C’est pour faire le lien entre cette offre grandissante et la demande croissante des méthaniseurs, que Suez vient tout juste de lancer dans l’Ouest Organix, une plate-forme digitale de vente aux enchères des déchets organiques. Les méthaniseurs y achètent les déchets des coopératives, la majorité des clients de la plate-forme pour le moment. Une fois le deal conclu, c’est Suez qui se charge du transport.

« Comptez 70 euros la tonne pour un lot de boîtes de maïs en conserve, et 5 euros la tonne pour de la graisse alimentaire. Plus le produit est gras et sucré, plus il est méthanogène », explique Christophe Capelle. Le directeur délégué entreprises dans le Grand Ouest pour Suez reçoit de plus en plus d’appels d’entreprises qui cherchent des solutions pour valoriser leurs déchets. « C’est une tendance qui ne fait que croître. Elles nous contactent parce qu’elles veulent sortir du tout déchetterie et de l’incinération », observe-t-il. Pour répondre à la demande croissante, deux personnes travaillent à temps plein dans la région pour trouver une deuxième vie aux déchets.

Elles ont ainsi trouvé très récemment des solutions à Terre Azur, la filiale du groupe Pomona en charge la distribution des fruits, légumes et produits de la mer frais auprès des professionnels. À l’occasion de son déménagement sur le Pôle Agroalimentaire à Rezé ce mois de novembre, le groupe a voulu se doter de nouveaux moyens pour recycler ses déchets. « On revalorise désormais tous nos déchets organiques, mais aussi le polystyrène, les mégots de cigarette, et même nos blouses, calots et surchaussures issus de la tenue de travail de l’entrepôt produits de la mer », explique Alexandra Renaud, responsable qualité sécurité et environnement pour Terre Azur. « Cela nous coûte 3 000 euros à l’année de plus. C’est un choix de conviction », poursuit-elle. Un choix qui, à terme, avec le durcissement de la réglementation, s’avérera en fait, plus rentable.

Une cinquantaine de filières de revalorisation créées

Depuis que Suez a ouvert ce service de recherche de revalorisation il y a trois ans, une cinquantaine de nouvelles filières pour les déchets des entreprises ont été trouvées. Les déchets de caoutchouc, par exemple, sont désormais réutilisés par une entreprise de la région qui fabrique des tapis de nettoyage de bovins. C’est l’unique exemple que Christophe Capelle veut bien citer. Car ces nouvelles filières créées sont des mines d’or qu’il faut cacher à la concurrence. « C’est clairement sur ce sujet de la création de filières que l’on fait notre différenciation. Notre métier est en train d’évoluer, et si l’on ne s’adapte pas, on va mourir », constate le directeur délégué aux entreprises dans l’Ouest.

Des déchets pour se chauffer

Comme lui, son grand concurrent, Veolia, cherche aussi des nouvelles filières de revalorisation. Il réfléchit à l’utilisation de ces déchets qui n’ont pas pu être recyclés ou triés et qui finissent brûlés dans les cimenteries. Ceux que l’on appelle des combustibles solides de récupération (CSR) ont en effet l’avantage de produire de la chaleur et/ou de l’électricité, en substitution du charbon, gaz ou pétrole. Ils pourraient à terme être convertis en liquide ou gaz combustibles. Il faudrait pour cela, qu’ils soient mieux triés au départ. « Il faut étudier le pouvoir calorifique de chaque déchet et les trier en amont. C’est la question qui se pose en ce moment.

Nous en produisons 20 000 tonnes par an dans la région », explique Olivier Scalliet, directeur du territoire Loire-Atlantique Vendée pour Veolia. 20 000 tonnes de déchets CSR, c’est un peu plus que la quantité nécessaire actuellement à la ville de Laval pour se chauffer. Le 5 octobre dernier, le groupe Séché environnement a inauguré à Changé, en Mayenne, la première chaudière CSR de France. En brûlant, ces déchets réchauffent l’eau du réseau de chaleur de l’agglomération de Laval. Une autre chaudière de ce type, financée par Séché Environnement et soutenue par l’Ademe, devrait aussi voir le jour à Carhaix en 2020.

Et les petites entreprises ?

A priori, cette révolution verte semble exclure les sociétés de services ou exclure les plus petites structures qui ne produiraient pas assez de déchets pour qu’ils puissent être revalorisés. « Pour les plus petites structures, le problème est la massification des flux. Il faut, en effet, des flux importants pour susciter des économies d’échelle dans la collecte des déchets et assurer aux acheteurs les quantités voulues », constate Nicolas Renard, directeur de la prospective pour Veolia. Pour autant, ce problème de petites quantités ne semble pas gêner de nouveaux acteurs du recyclage dans la Région, qui font de cette contrainte leur spécialité.

Et la demande des entreprises dans ce domaine, notamment pour les déchets de bureau, est grandissante. C’est ce qu’observe Olivier Humeau, fondateur et dirigeant de Solution recyclage. Cette PME nantaise propose des offres de tri, de recyclage en vue d’une régénération en matière première de tous les déchets récupérés par les entreprises. « En général, c’est une demande qui vient des salariés eux-mêmes. Pour eux, c’est une démarche fédératrice qui est porteuse de sens dans l’entreprise », remarque-t-il. En ce moment, il reçoit tous les jours des appels d’entreprises qui veulent se mettre en conformité avec la récente loi obligeant les plus petites entreprises à trier leurs déchets en cinq flux. « On croule un peu sous les demandes », avoue-t-il. Lui n’a pas besoin de prospecter, le bouche-à-oreille fonctionne pour lui. Il compte 400 clients dans la région.

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