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Delta Meca : « La Scop est un bon outil de transmission des entreprises »
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Mireille Bréheret et Christian Caillé dirigeants associés de Delta Meca Delta Meca : « La Scop est un bon outil de transmission des entreprises »

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En 2008, Mireille Bréheret et Christian Caillé créent à Couëron (Loire-Atlantique) la société industrielle Delta Meca en annonçant d’emblée leur volonté de la céder à leurs salariés. En 2018, après avoir transformé leur entreprise en Scop, les deux associés s’apprêtent à passer le témoin.

— Photo : Delta Meca

Le Journal des Entreprises : Vous vous apprêtez à fêter les 10 ans de votre entreprise Delta Meca. Où en êtes-vous par rapport à votre projet de départ ?

Mireille Bréheret : Tout ce que nous avions annoncé il y a dix ans, nous l’avons fait. Nous avons créé une entreprise, recruté 43 personnes, réalisé notre projet d’actionnariat salarié. Nos successeurs sont maintenant désignés, nous les accompagnons pour les préparer à leurs futures responsabilités et nous quitterons l’entreprise fin 2020.

Quel était votre projet initial ?

Christian Caillé : Nous sommes tous les deux issus d’un milieu ouvrier et avons travaillé dans l’industrie. En 2008, nous avons fondé, à partir de rien, Delta Meca, qui fabrique des pièces mécaniques techniques d’urgence et sur mesure. Nous usinons tous types de matériaux et des pièces de toutes dimensions. Dès le départ, nous avions la volonté de rendre les ouvriers acteurs, et non spectateurs, de l’entreprise. La réalisation de cet objectif passait par l’ouverture du capital aux salariés. S’ajoutait à cela la volonté de revaloriser les métiers manuels et industriels, ainsi que l’entreprise dans son rôle économique, mais aussi sociétal.

« Tous les salariés, sauf deux, sont devenus actionnaires de l’entreprise. Le plus compliqué a été de lever les freins psychologiques. »

Comment avez-vous procédé ?

M.B. : Cela a pris plus de temps que prévu. Nous voulions que l’entreprise ait les reins suffisamment solides avant de passer au statut de Scop (société coopérative et participative) et d’embarquer les salariés dans une aventure entrepreneuriale. Nous nous sommes transformés en Scop d’amorçage, la première de France, en 2015. Tous les salariés, sauf deux, sont devenus actionnaires de l’entreprise. Le plus compliqué a été de lever les freins psychologiques.

Devenir actionnaires, et donc acteurs du développement de l’entreprise, suppose un changement de posture qui demande beaucoup de patience et d’énergie. On demande à de gens qui ont intégré la culture de l’ouvrier de devenir des patrons. Imaginez la révolution dans les mentalités ! Nous avons investi énormément de temps et d’argent dans la formation : à la gestion, à la stratégie d’entreprise, à la gouvernance… Nous avons même fait intervenir un psychologue du travail pour accompagner la conduite du changement. Finalement, l’évolution a été portée par le collectif et la gouvernance.

Détaillez-nous cette gouvernance...

C.C. : Dans une Scop, le principe est : un salarié, une voix. Une assemblée générale des sociétaires se réunit une fois par an. Mais attention au mythe de la Scop. Chaque décision ne se prend pas à quarante. Chacun a des fonctions techniques métier. L’assemblée générale désigne 9 administrateurs qui composent le conseil d’administration. Il y a également un PDG et un DG qui ont la responsabilité du fonctionnement quotidien de l’entreprise. Ils ont aussi une fonction charismatique. N’importe qui ne dirige pas une entreprise, même une Scop ! Il faut des gens qui ont de l’autorité.

Au quotidien, nous fonctionnons à la confiance, en essayant d’impliquer au maximum les gens. C’est le cas par exemple dans le processus de recrutement. Les futurs collègues d’un nouveau salarié participent au choix. Nous avons également mis en place des commissions sur des sujets concernant tous les aspects de l’entreprise : gestion des déchets, investissement, gouvernance, succession… Chaque salarié-sociétaire est libre d’y participer ou pas. Ces commissions sont des outils pédagogiques qui permettent d’aider les gens à monter en compétences et à prendre une posture de manager.

« Le plus difficile pour nous, c’est de les laisser faire leurs expériences et de les voir se prendre des murs que nous, nous avons évités. »

Dans ce cadre, comment avez-vous organisé votre succession ?

M.B. : Les futurs dirigeants ont été désignés par l’assemblée des sociétaires en 2016, car ils voulaient la validation de tous. Ce sont des gens qui se sont révélés, en évoluant naturellement vers des responsabilités. Ils ont une trentaine d’années. Il y a un financier, un commercial et un chef d’atelier. Nous les accompagnons par des formations internes et externes vers leur métier de dirigeants. Ils étaient techniciens, ils doivent se transformer en chefs d’entreprise.

Le plus difficile pour nous, c’est de les laisser faire leurs expériences et de les voir se prendre des murs que nous, nous avons évités. Mais c’est plaisant de transmettre l’entreprise à des gens jeunes et motivés. C’est là que l’on voit que la Scop peut être un formidable outil de transmission. Nous sommes parmi les rares entreprises industrielles à vouloir être transmises, plutôt que rachetée par un fonds ou un groupe qui pomperaient nos savoir-faire. Il faut absolument vulgariser ce modèle pour la transmission des TPE et PME.

Quelle entreprise laissez-vous à vos successeurs ?

C.C. : Notre chiffre d'affaires progresse régulièrement. Il a atteint 5 M€ en 2017. Nous comptons 210 clients dans les domaines de l’énergie, de la propulsion marine, de l’armement, de l’offshore, de l’aéronautique… Dans le cadre d’une démarche RSE, nous avons organisé nos flux avec un réseau local de partenaires : approvisionnement, transport… Nous venons d’acheter 2 700 m² de terrain face à nos locaux actuels. Nous allons y construire un nouveau bâtiment d’ici la fin de l’année, pour développer de nouvelles activités de chaudronnerie, métrologie et aller vers de gros moyens d’usinage. Nous employons 45 personnes, dont 5 apprentis, 2 personnes handicapées et 2 seniors. L’entreprise se porte bien.

Vous allez quitter l’entreprise en 2020 : quels sont vos projets ?

C.C. : Nous allons peut-être nous lancer dans une nouvelle entreprise, mais de moindre envergure. Surtout, nous allons travailler à diffuser notre modèle. Je vais travailler, en lien avec le rectorat, à développer les relations entre les milieux économiques et l’Éducation nationale.

M.B. : Je suis administratrice de Réseau Entreprendre Atlantique. Au sein de ce réseau d’aide à la création et à la reprise d’entreprise, je voudrais apporter une vision transverse de l’entreprise avec plus de participatif et de collaboratif.

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