Dans les Pays de la Loire, l'essor du coworking donne un nouvel élan aux zones rurales
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Dans les Pays de la Loire, l'essor du coworking donne un nouvel élan aux zones rurales

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Plus de 120 tiers lieux sont répartis sur les cinq départements des Pays de la Loire, en faisant, par leur nombre, la septième région française. Ces sites hybrides abritant des espaces de coworking invitent à une nouvelle forme de travail et séduisent les entrepreneurs comme les travailleurs indépendants. Et leur développement est loin d’être terminé, notamment en zone rurale, la campagne redevenant attractive.

Sur les 120 espaces de coworking en Pays de la Loire, 80 se situent en dehors de la métropole de Nantes. Ici l’Incubacteur à Saint-Etienne-de-Montluc en Loire-Atlantique — Photo : Elodie Dugue

Ponctuellement ou régulièrement, les tiers lieux seront fréquentés par un actif sur dix, d’ici fin 2021. Provenant d’une étude de France Tiers Lieu, association nationale ayant un regard transversal sur leur activité et développement, ce chiffre révèle l’ampleur d’un phénomène récent toujours en phase de développement. Une enquête du collectif régional Cap Tiers Lieux, datant d’il y a deux ans, apprend que 76 % de ceux existant en Pays de la Loire ont vu le jour entre 2016 et 2019.

Aujourd’hui, près de 120 sont recensés dans la région : 70 en Loire-Atlantique, 19 en Maine-et-Loire, 14 en Vendée, 10 en Sarthe et 3 en Mayenne. Un chiffre qui n’est qu’une photographie à l’instant T puisque ne prenant pas en compte les nombreux projets en cours. Mais une chose est certaine, leur déploiement renferme une vraie dimension économique : ces lieux d’activités hybrides abritent pour 75 % d’entre eux des espaces de coworking, accueillant autant des entrepreneurs que des indépendants, des télétravailleurs que des commerciaux. D’autres ont davantage une dimension culturelle, ou sociale, de recherche etc., le principe premier les guidant étant l’échange entre utilisateurs.

Fibre, télétravail et grand air

Si les espaces de travail en commun trouvent leur source dans les grandes villes, les campagnes des Pays de la Loire sont vite devenues un lieu privilégié d’implantation. "Des sites de coworking en milieu rural, cela fait quelques années que cela existe, constate le Sarthois Loïc Richer, consultant expert en tiers lieu. Depuis que les réseaux internet sont performants en campagne, ça change tout". La crise du Covid et les confinements qui l’ont accompagnée ont aussi modifié les perceptions. "Des entreprises qui étaient réticentes avec le travail à distance ont été contraintes de le déployer, les RH étant désormais conquis du fait que les collaborateurs le plébiscitent". Enfin, les velléités de vivre au grand air plutôt qu’en appartement ont accentué ce dernier phénomène. Huit cadres parisiens sur dix désirent à titre d'illustration quitter la capitale, selon une étude publiée fin août par Cadremploi.

Loïc Richer accompagne dans la création de tiers lieux, principalement les collectivités territoriales — Photo : DR

Une analyse partagée par Léa Durieux, chargée de l’animation du collectif Cap Tiers Lieux (émanation de la Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire). Selon elle, deux facteurs principaux sont à la source du développement des espaces de coworking en campagne : le déploiement de la fibre optique et la flexibilisation du monde du travail. Une troisième est plus prosaïque : "Des espaces qui existaient auparavant qui ne se qualifiaient pas ainsi se réclament désormais du tiers lieu", le nom étant désormais ancré dans les esprits.

Proximité des autoroutes et cadre de travail, des atouts

En France, 52 % se situent hors des grandes villes. Dans les Pays de la Loire, 80 sur 120 sont basés en dehors de Nantes Métropole. La Fabrik' 3.0, fondée en 2018 aux Essarts en Vendée comprenant huit places en coworking, six bureaux privatifs et deux salles de réunion (et dont une seconde antenne est née en avril 2021 à Noirmoutier avec huit espaces de coworking et un bureau privatif), est de ceux-là. Son origine est l’illustration d’une réponse à un besoin émergent en campagne. "J’étais indépendante depuis 2012, dans la communication, et je travaillais beaucoup de chez moi, témoigne la créatrice Aurélie Ripoche. J’ai testé le coworking et je me suis dit que c’était dommage qu’en Vendée il n’y en ait pas assez."

Son choix des Essarts a été guidé par la situation géographique de la commune et sa proximité avec l’autoroute, permettant de rejoindre Nantes en 40 minutes, Cholet en 30, la Roche-sur-Yon en 20 et les Sables d’Olonne en 40. Pari réussi à ce jour, la Fabrik' 3.0 ayant trouvé son public, entre télétravailleurs ayant une résidence secondaire en Vendée, ceux fuyant les grandes villes suite aux confinements, les indépendants, les commerciaux nomades…

Les entreprises trouvent aussi des avantages à faire appel aux espaces partagés. "Fleury Michon à Pouzauges travaille avec des groupements d’éleveurs basés à Nantes, mais plutôt que d’organiser des réunions dans la métropole et d’affronter les bouchons, elles se font à la Fabrik' 3.0 aux Essarts, remarque Aurélie Ripoche. Piveteaubois organise également les entretiens annuels du personnel pour faire sortir du cadre de l’entreprise le salarié et le RH."

Une invitation à changer d’air pour bénéficier d’un environnement de travail plus agréable, un atout de l’Incubacteur, à Saint-Etienne-de-Montluc. Ouvert dans cette commune située entre Nantes et Saint-Nazaire en 2016, deux ans après la pépinière d’entreprises préexistante, l’espace de coworking composé de six postes a été souhaité par la communauté de communes Estuaire et Sillon et sa gestion confiée à l’entreprise parisienne Interfaces. "Notre gros atout est l’accessibilité avec la proximité de la quatre voies permettant de se rendre rapidement à Nantes, Rennes, Vannes ou Saint-Nazaire, témoigne la directrice du lieu Perrine Edelin. Globalement, nous drainons du monde habitant dans un rayon de 20 à 30 km, nous recevons aussi des travailleurs d’Orvault ou de Saint-Herblain qui préfèrent sortir du cadre de Nantes. Ici, on peut se garer facilement et nous sommes dans un environnement de verdure agréable, l’aspect campagne est apprécié".

Faire vivre la communauté

Environnement agréable, équipement adapté, proximité de réseaux routiers : autant d’ingrédients qui peuvent former une bonne recette. Mais quel est le principal pour qu’un tiers lieu prenne son essor en campagne ? "Sa communauté, son animation", tranche Loïc Richer. La première démarche avant de lancer un espace de coworking consiste à analyser l’écosystème. Les opérateurs privés et publics souhaitant créer une telle structure sont du reste souvent bluffés par les profils domiciliés sur leur territoire, remarque l’expert.

Au-delà d’acteurs facilement identifiables en milieu rural que sont les industriels, les unions de commerçants ou les réseaux d’entreprises, certains sont parfois plus discrets mais ont pourtant un potentiel à partager. "Les nouveaux habitants des campagnes ont souvent des profils de cadres ou d’entrepreneurs. Ce sont aussi des ambassadeurs parfaits", dit-il. Et de citer l’exemple d’un directeur général d’un fonds d’investissement possédant une maison dans le sud de la Sarthe qui s’est manifesté en assurant qu’il aurait des projets pour son territoire. "Des profils comme celui-ci se retrouvent partout, assure Loïc Richer. Il faut se faire rencontrer des entrepreneurs qui parlent la même langue. Tout le monde a à gagner à se connaître les uns les autres".

Et pour que "les racines poussent", dit-il, "il est nécessaire d’organiser des rencontres au sein des espaces de coworking, car les tiers lieux ouvrent plein de portes à ceux qui les fréquentent". De citer à titre d’exemple "les afterwork qui permettent de faire connaissance avec une quinzaine de personnes en une soirée". Autre illustration de ces animations qui sont inhérentes à la vie d’un tiers lieu, des réunions pour se retrouver et échanger autour d’un thème, à l’instar de ce que propose la Fabrik' 3.0 en Vendée (sur la visibilité sur Linkedin, Facebook pro…).

Coworklisson se situe près de la gare de Gorges, suite à une volonté de la communauté de communes de mettre à disposition de coworkers un site propre — Photo : Coworklisson

L’expérience de QuaiWorking, à Savenay (Loire-Atlantique), confirme que l’animation d’un espace de coworking est inhérente à sa bonne santé. Ouvert suite à la volonté de la communauté de communes à la rentrée 2019 dans le bâtiment voyageur de la gare de cette commune sur la ligne SNCF très empruntée Nantes-Saint-Nazaire, il est géré par Interfaces. "Les coworkers y sont autonomes, note Perrine Edelin, ils réservent en ligne l’accès. Mais ceux qui recherchaient de la convivialité ne s’y retrouvaient pas. Depuis juillet, une collègue est sur place pour favoriser les échanges. Nous allons mener cette expérimentation jusqu’à la fin de l’année et voir si cette présence est positive en termes de synergies."

Les tiers lieux sont amenés à "se professionnaliser"

Si le déploiement des tiers lieux en milieu rural est relativement récent, le phénomène est si rapide que la question de leur avenir et adaptation est déjà posée. "Ils vont de plus en plus se professionnaliser, estime Loïc Richer, c’est-à-dire se rapprocher du profil d’une maison de l’économie avec un espace de coworking, un autre dédié à l’enseignement professionnel, un fablab qui s’ouvre aux industriels et aux artisans, l’hébergement d’entreprises en pépinière…"

À Tiercé, en Maine-et-Loire, l’ouverture de l’espace de coworking est la première étape de la création d’un pôle économique — Photo : Communauté de communes Anjou Loire et Sarthe

C’est la voie qu’emprunte déjà le lieu Béta, à Tiercé en Maine-et-Loire, à 20 km au nord d’Angers. Porté par la communauté de communes Anjou, Loir et Sarthe, cet espace de coworking né en mars 2021 dispose d’une capacité de 15 places. Depuis son ouverture, une dizaine de coworkers réguliers s’y rendent : un courtier en assurance sans agence fixe, des consultants, des télétravailleurs… L’ambition de la communauté de communes est de créer, à terme, un pôle économique "pour accueillir les porteurs de projets, les entreprises qui ont besoin de conseil et d’information", précise Solène Tard, chargée de mission développement économique pour la communauté de communes. La forme de ce tiers lieu reste à définir, mais il comprendrait également une pépinière, un fablab, un espace d’information dédié aux porteurs de projet… Derrière le concept, la volonté de dynamiser économiquement les territoires ruraux.

Les campagnes ont une vraie carte à jouer, assure à cet égard Loïc Richer. "L’arrivée de nouveaux profils de cadres et d’entrepreneurs est une tendance qui s’inscrit dans le long terme, estime-t-il. Par ailleurs, la valeur qualité de vie s’associe de plus en plus avec l’espace, l’alimentation saine, les relations humaines, ce qui caractérise plutôt bien les territoires ruraux. Enfin, pour recruter et conserver leurs personnels, les entreprises acceptent qu’ils vivent dans un cadre qu’ils choisissent."

"Il y a de la place"

Mais à se déployer rapidement sur la région, la saturation n’est-elle pas une étape à proche échéance ? Non, répond Aurélie Ripoche qui, sur le modèle de la Fabrik' 3.0 aux Essarts et à Noirmoutier qu’elle a lancée, a créé une licence de marque. "Il y a de place, j’ai d’ailleurs des demandes en Vendée", dit-elle.

Aurélie Ripoche a fondé la Fabrik' 3.0 aux Essarts puis à Noirmoutier — Photo : La Fabrik

"Le développement se poursuit, il y a beaucoup de projets en cours, constate de son côté Léa Durieux de Cap Tiers Lieux. Mais ce n’est pas un business où l’on se dit que s’il y a un trou sur une carte, je m’installe. Ce qui est important, c’est de réussir à mobiliser un collectif de personnes qui veulent se retrouver dans un espace sympa pour travailler ensemble." Selon France Tiers Lieux, de 2 500 espaces hybrides actuellement en France, de 3 000 à 3 500 mailleront le pays en 2023.

Pourquoi ils choisissent de travailler dans un espace de coworking

Une distance d’une cinquantaine de kilomètres de son domicile qui n’est nullement un frein. Jonathan Hamaide a fondé en 2018 Hucy, à Aigrefeuille-sur-Maine (au sud de la Loire-Atlantique), une SARL spécialisée dans la cybersécurité et la protection des données. Une à deux fois par semaine, depuis près d’un an, direction l’espace de coworking La Fabrik' 3.0 aux Essarts. "Effectivement cela fait des kilomètres, mais je me rapproche de mes clients. Et entre deux prestations, je dispose d’un bureau et d’une salle de réunion si besoin. C’est aussi beaucoup moins cher que de payer un local et je suis autonome. Enfin, je peux échanger avec d’autres entrepreneurs de différents horizons, c’est important quand on est en phase de création."

L’idée de rencontrer d’autres profils, de partager sur les activités, de ne pas être seule face à des problématiques : voici également ce qui a incité Caroline Chrétien à intégrer Coworklisson. Fin 2017, ce tiers lieu voyait le jour dans une bâtisse en face de la gare de Gorges dans le vignoble nantais, permettant à un collectif d’une cinquantaine de coworkers de disposer d’un site commun et pérenne propice aux échanges.

Architecte d’intérieur et designer à destination des professionnels, Caroline Chrétien a fondé son agence, Design Emoi. Elle travaillait seule, à domicile, "mais c’était ennuyeux". Elle loue désormais un bureau à l’année, dispose de la fibre ("un vrai atout"), reçoit les clients dans un lieu adapté à son activité, dissocie la vie personnelle de la vie professionnelle… Dans la structure depuis son ouverture en janvier 2018, elle co-préside l’association qui gère Coworklisson. Désormais, elle songe à disposer de son propre local, qu’elle envisage de partager avec d’autres entrepreneurs pour ne pas se retrouver seule dans un cadre professionnel. Elle se fixe une échéance, l’année prochaine. "C’est la suite logique après avoir travaillé dans un espace de coworking", résume-t-elle.

Caroline Chrétien a intégré Coworklisson dès sa création. Elle songe aujourd’hui à déployer son activité dans un nouveau local — Photo : Samia Hamlaoui

Dans ces lieux hybrides, naissent parfois de petites pépites. C’est à la Loco Numérique de la Roche-sur-Yon qu’a débuté l’aventure de Cash & Repair. Aujourd’hui, ce spécialiste de la réparation du smartphone a bien grandi, devenant une PME de plus de 45 salariés affichant 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020.

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