Nantes
Christian Digoin (groupe DMD) : « J'ai décidé de maintenir nos investissements et de conserver les emplois »
Interview Nantes # Distribution

Christian Digoin président du groupe automobile DMD Christian Digoin (groupe DMD) : « J'ai décidé de maintenir nos investissements et de conserver les emplois »

S'abonner

Politiques publiques limitant la place de la voiture dans la ville, développement des véhicules électriques et concessions fermées pendant les deux mois du confinement, le marché automobile est devenu très complexe. Christian Digoin, président du groupe nantais DMD (Digoin Mustière Développement), concessionnaire automobile multimarques, livre son témoignage sur cette crise inédite et sa vision du marché.

— Photo : Caroline Scribe - Le Journal des Entreprises

Comment cela s’est passé pour vous le 16 mars ?

Christian Digoin : Le groupe DMD commercialise cinq marques de véhicules : Ford, Hyundai, Suzuki, Land Rover et Jaguar. Chaque année, nous vendons 8 000 véhicules neufs (dont 6 500 sous la marque Ford) et 6 500 véhicules d’occasion sur nos 20 sites dans les Pays de la Loire et en Bretagne. Nous employons environ 450 collaborateurs pour un chiffre d’affaires qui s’est élevé à 253 millions d’euros en 2019. Tout s’est arrêté le 17 mars. Nous avons fermé l’ensemble de nos concessions après une conférence téléphonique dans la matinée avec les 50 délégués du personnel. Cela a été un moment impressionnant et compliqué à vivre pour moi en tant que chef d’entreprise. J’avais beaucoup de mal à maîtriser mon émotion et c’est encore le cas plusieurs semaines plus tard.

« Nous avons perdu 98 % de notre chiffre d’affaires »

Quelles ont été les conséquences économiques de cet arrêt ?

Pendant deux mois, nous n’avons pas vendu un seul véhicule, ni de pièces détachées en raison de problèmes d’approvisionnement. Nous avons juste maintenu un service de dépannage d’urgence pour assurer la maintenance des véhicules des personnels de santé. Nous avons ainsi perdu environ 98 % de notre chiffre d’affaires. Cette situation est d’autant plus difficile à gérer que, dans notre métier, les frais de structure sont abyssaux. Le chiffre d’affaires est important mais les marges faibles et la consommation de trésorerie importante. Par ailleurs, comme de nombreuses entreprises, nous avons été confrontés à des problèmes juridiques complexes avec des dispositifs inédits, des textes qui changeaient tous les jours, la nécessité de maintenir le lien avec les salariés… Dans une seconde phase, il a fallu préparer la reprise avec, comme priorité, d’assurer la sécurité de tous, en tenant compte des spécificités de chaque service. Nous sommes rapidement tombés d’accord avec les délégués du personnel sur les protocoles de sécurité à mettre en place.

« La reprise a été très forte dès le premier jour de déconfinement »

Comment s’est passée la reprise ?

À partir du 11 mai, nous avons été en mesure de rouvrir progressivement nos sites en reconfigurant les équipes. La bonne surprise a été que la reprise a été très forte dès le premier jour avec beaucoup d’appels, suivis une semaine plus tard par des ventes. Fin mai, nous étions à moins 50 % de ventes par rapport à mai 2019, fin juin à moins 25 %. Une bonne performance sur un marché en recul de 39 % pour les véhicules particuliers entre janvier et juin 2020 et de 35 % pour les véhicules utilitaires. Les prises de commandes ont connu le même rebond : mi-mai, elles affichaient une hausse de 50 % par rapport à la même période de l’année dernière. Contrairement à ce que j’ai pu lire ici et là, les concessions n’ont pas été obligées de brader les véhicules pour diminuer les stocks. Nous n’avons pas acheté pendant le confinement et nos stocks sont faibles. Les constructeurs ont recommencé à produire fin avril-début mai les véhicules déjà vendus avant le confinement, puis seulement après pour reconstituer leurs stocks. Si nous avons parfois proposé des modes de financements plus intéressants, nous n’avons pas fait de remise pure. Le marché est porté par les primes à la conversion mises en place par le gouvernement qui devraient être consommées fin août.

Photo : Groupe DMD

Comment voyez-vous l’avenir au-delà de cette échéance ?

Quand vous êtes entrepreneur, il y a deux façons de réagir à une crise de ce type. Soit vous regardez les pertes et vous vous dites que ce n’est pas tenable dans la durée, que vous allez être obligé de faire un plan social ou de baisser les salaires. Ou bien vous misez sur la reprise et vous concentrez tous les moyens dont vous disposez pour réussir ce pari. C’est le choix que j’ai fait. J’ai vu personnellement les 450 salariés du groupe en me déplaçant sur chacun de nos sites. Je leur ai expliqué que nous avions sollicité et obtenu un PGE (Prêt garanti par l’État), que nous allions étaler les pertes dans le temps, qu’en tant que chef d’entreprise et actionnaire, j’allais maintenir nos investissements et mettre le paquet pour conserver les emplois. Le chef d’entreprise doit se montrer exemplaire. Tout en restant prudent, j’ai décidé d’avoir confiance en la reprise, de répondre à la demande actuelle des clients et de mobiliser les énergies pour vendre le plus possible. Maintenant, je ne vous cache pas que ma crainte est que les grandes entreprises ne tiennent pas le coup, qu’elles soient contraintes de procéder à des licenciements massifs et que ce chômage important impacte négativement la consommation qui porte la reprise.

« Il s’est vendu au premier semestre 2020 davantage de véhicules électriques que sur toute l’année 2019 »

Vous devez également prendre en compte les évolutions plus structurelles du marché avec la montée en puissance des modèles électriques ?

Oui, le boom des voitures électriques est spectaculaire. En dépit de la crise du coronavirus qui a plombé le marché, il s’est vendu au premier semestre 2020, en France, davantage de véhicules électriques que sur toute l’année 2019. Ceux-ci ont représenté 6,3 % des ventes, les hybrides rechargeables 2,8 % du total. C’est le double de l’année dernière. Je pense qu’à l’horizon 2022-2023, l’électrique représentera le tiers du marché. Notre métier est décrié, car il nous est reproché de faire rouler toujours plus de véhicules. Mais, c’est la bonne nouvelle, les constructeurs sont en train d’inventer un monde où l’on pourra concilier mobilité et respect de l’environnement. Pour les livraisons du dernier kilomètre en centre-ville, Ford a par exemple conçu un Transit 100 % électrique qui sera mis sur le marché en 2021. Les freins qu’il reste à lever pour l’achat de véhicules électriques portent sur le coût d’acquisition, encore élevé, l’autonomie des véhicules et, surtout, le réseau de bornes de rechargement qu’il faut absolument densifier. On peut également évoquer les véhicules connectés et autonomes qui vont transformer l’automobile, que l’on ne conduira plus, en un lieu de partage, de travail, de convivialité… Ces évolutions, qui touchent aux modes de vie, ne devraient toutefois pas s’imposer avant 2040.

Nantes # Distribution