Pays de la Loire
Christelle Morançais : "Je propose de créer un marché régional du carbone pour les entreprises"
Interview Pays de la Loire # Industrie # Collectivités territoriales

Christelle Morançais présidente de la Région Pays de la Loire "Je propose de créer un marché régional du carbone pour les entreprises"

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La présidente du Conseil régional des Pays de la Loire, Christelle Morançais, s’inquiète de la flambée des prix de l’énergie qui pourrait compromettre l’avenir de milliers d’entreprises. Nucléaire, éolien en mer, méthanisation, hydrogène : de nombreux projets incarnent l’ambition de la collectivité régionale qui se veut moteur sur la question de la souveraineté énergétique.

Christelle Morançais, Présidente de la Région Pays de la Loire — Photo : David Pouilloux

Lors de la session d’octobre du Conseil régional, vous avez prononcé un discours au ton grave qui faisait en particulier référence à la situation difficile que vivent les entreprises avec la flambée des cours de l’énergie. Sont-elles à ce point dans une situation critique ?

Il ne se passe pas un jour sans qu'un chef d'entreprise ne m'interpelle pour me faire part de l'urgence de la situation. J'ai alerté Bruno Le Maire, notre ministre de l'Économie et d'autres membres du gouvernement. Notre devoir est de préparer nos entreprises à affronter les tempêtes, et ce qui se passe depuis quelques mois est vraiment inquiétant. Alors que notre territoire est très dynamique sur le plan économique, avec un faible taux de chômage (6 %), et possède une capacité de résilience très forte, la flambée des cours du gaz et de l’électricité et l’inflation ont créé un climat incertain et anxiogène. Je sens une inquiétude très forte, chez les entreprises, quelle que soit leur taille. Les échéances des contrats d’énergie arrivent à leur terme dans quelques semaines. La facture pourrait être multipliée par 4 ou 8, mettant nos TPE, PME face à une situation impossible. Soit ils n’ont pas la trésorerie pour encaisser le choc, soit leurs chantiers ne sont plus rentables, soit ils ne sont plus compétitifs. Des dizaines de milliers d’entreprises pourraient aller au tapis, avec les conséquences dévastatrices sur l’emploi que l’on peut imaginer. Il y a un manque de visibilité sur le prix de l’énergie.

Que peut faire la collectivité régionale ?

Certaines de nos entreprises industrielles sont fortement émettrices de carbone. Pour compenser leurs émissions, elles développent des projets de plantation d'arbres, à l'étranger. C'est une bonne chose, bien entendu, mais je propose que l'on crée un marché régional du carbone. Une entreprise désireuse de compenser sa production de carbone pourrait le faire via le soutien à des projets à haute valeur environnementale, dans le domaine énergétique, de préservation de la biodiversité, de plantation d'arbres, de protection de zones humides. Je pense notamment que des entreprises industrielles pourraient se rapprocher d'entreprises agricoles, de fermes bas carbone, et voir ce qu'il serait possible de mettre en place.

Quelles autres solutions concrètes préconisez-vous ?

Je défends un mix énergétique le plus large possible, du nucléaire à l'éolien offshore. C'est ma responsabilité de prendre de la hauteur, de ne pas voir les choses de manière dogmatique. Il faut réinvestir la technologie nucléaire, développer de nouvelles centrales et, pourquoi pas, expérimenter la technologie SMR (Small Modular Reactors, des petits réacteurs nucléaires fabriqués en usine, NDLR) sur le site de Cordemais, qui est une chance extraordinaire pour notre région. Nous y avons des ingénieurs, des techniciens et un savoir-faire industriel local, grâce à la proximité de Naval Group et des Chantiers de l'Atlantique.

Le parc éolien en mer de Saint-Nazaire est désormais opérationnel. Quelles sont les ambitions régionales en matière d'éolien offshore ?

Les Pays de la Loire font partie des deux régions les plus avancées dans ce domaine, avec plus de 1 000 emplois dans cette filière d'avenir. Nous avons construit le premier parc éolien en mer, au large de Saint-Nazaire, en nous projetant très tôt dans un second parc, au large des îles de Noirmoutier et d'Yeu, dont le chantier devrait démarrer dans quelques semaines. Et je suis candidate pour un troisième, où serait développée la technologie de l'éolien flottant dans la lignée du projet Floatgen, porté par Centrale Nantes, seule expérimentation du genre en France. Il serait implanté à une trentaine de kilomètres des côtes, afin d'être invisible depuis le littoral. Les énergies marines doivent être au cœur de notre stratégie de diversification énergétique.

L'autre volet important concerne la méthanisation. Je prépare un voyage d'étude au Danemark, où il y a des méthaniseurs XXL. Et au titre de présidente du Conseil de surveillance du grand port Maritime Nantes Saint-Nazaire, je vais me rendre en Norvège, pays où les ports ont accéléré leur transition énergétique. Nous avons également un plan de 100 millions d'euros pour soutenir la filière hydrogène, via notamment des start-up comme le nantais Lhyfe. Nous devons être moteurs dans tous ces domaines, ne pas jouer en deuxième mais en première division.

En quoi la souveraineté énergétique est-elle un enjeu selon vous ?

Notre pays doit sortir du "quoi qu'il en coûte", car il n'en a plus les moyens. La dette que nous avons accumulée depuis 40 ans est notre fardeau. Je suis, comme le président de la République l'a annoncé, pour la "solution ibérique", c'est-à-dire la désindexation du prix de l'électricité de celui du gaz. C'est au niveau de l'Europe qu'il faut agir, et agir vite. Il faut montrer que l’on est une Europe forte, solide, capable de défendre son économie alors que la Russie lui fait très clairement la guerre. L’avenir de notre industrie se joue maintenant. Depuis deux ans, nous avons consenti des efforts colossaux pour sauver nos entreprises face au Covid, pour relancer l’activité après les confinements, pour aider nos entreprises à relocaliser leurs productions. Le plan de relance, pour notre région Pays de la Loire, c’est 500 millions d’euros en trois ans. C’est le plus important de toutes les régions de France et c’est un effort considérable pour réindustrialiser, moderniser la chaîne de valeur et être compétitif. Si rien n’est fait, tous ces efforts seront ruinés.

La crise énergétique montre la dépendance de l’Europe aux énergies fossiles, gaz et pétrole en particulier. Que faut-il faire ?

Nous parlons beaucoup de sobriété énergétique, mais c’est une réponse de court terme, une réponse nécessaire pour "passer l’hiver" et éviter le black-out, mais une réponse insuffisante. Il faut voir beaucoup plus loin et répondre à ces défis immenses : garantir notre souveraineté, décarboner notre industrie et assurer un prix de l’énergie accessible. Nous devons tenir compte d’une réalité qui est trop souvent occultée : du fait de nos modes de vie, nous allons consommer de plus en plus d’électricité, que ce soit pour nos déplacements, notre travail ou nos loisirs. Plus 40 % d’ici à 2050. Comment faisons-nous pour que cette énergie soit propre et produite localement ? C’est l’enjeu de la décennie, et c’est aussi une opportunité exceptionnelle pour notre région.

La réindustrialisation reste-t-elle un sujet important de votre agenda politique ?

2023 sera l’année de l’écologie, mais ce sera aussi celle de la présentation de notre plan industrie parce que tout est lié, parce qu’écologie et industrie doivent se répondre. L’industrie représente 16 % de nos emplois, ce qui nous place au second rang des régions françaises. C’est un enjeu majeur. Notre combat pour l’industrie commence à l’université, dans nos écoles d’ingénieurs, dans la recherche et le développement. Je suis fière d’être la région qui soutient le plus massivement l’enseignement supérieur - près de 350 millions d’euros jusqu’en 2027. Nous sommes dans une ère de profonde transformation. Et le rôle d’une région, c’est de détecter les innovations et ceux qui prennent des risques pour les faire aboutir. Nous sommes pionniers dans bien des domaines, en particulier sur l’éolien en mer ou les biotech. Cet avantage concurrentiel se gagne très tôt, et d’abord dans le système éducatif. L’industrie du futur, la réindustrialisation, ce sont d’abord des innovations de rupture, des projets innovants qui sortent de têtes bien faites. Notre rôle est de travailler sur toute cette chaîne de valeur.

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