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Berjac, Jean Lebeaupin, Vito Distribution, Graines d'ici : sur le nouveau Min de Nantes, les fils prennent le relais
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Berjac, Jean Lebeaupin, Vito Distribution, Graines d'ici : sur le nouveau Min de Nantes, les fils prennent le relais

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Leurs pères et leurs mères avaient fait grandir l’entreprise familiale de vente de poissons, de viande, de fruits et légumes ou encore spiritueux sur l’ancien Min de Nantes. Aujourd’hui les enfants, trentenaires, prennent le relais sur le nouveau Min. Comment se prépare la succession ? Comment voit-il leur marché et la stratégie de leur entreprise ? Entretiens avec Thibaut Lebeaupin, gérant de Jean Lebeaupin, Mikael Cadio, PDG de Berjac, Thomas Vilette cogérant de Vito, et Mathias Esnault, PDG de Graines d’Ici.

— Photo : Didier San Martin

Le Journal des Entreprises : Quand et comment avez-vous décidé de prendre la tête de l'entreprise familiale?

Mikael Cadio (PDG de Berjac) : Je prendrai le relais officiellement en février, juste au moment du déménagement sur le nouveau Min. Mon père, Jean-Luc Cadio, qui avait repris Berjac en 1991, quittera l’entreprise et restera au conseil de surveillance, sans être actionnaire. Cela fait 8 ans que je suis dans l’entreprise. Je suis revenu en 2011 à Nantes, après avoir passé 10 ans chez Carrefour, Auchan à Paris en tant qu’acheteur. A cette époque, je cherchais une boîte à reprendre dans la région et j’ai demandé conseil à mon père. C’est à ce moment-là qu’on a parlé de l’éventualité que je reprenne l’entreprise. J’y travaillais déjà quand j’avais 13 ans, le week-end ou pendant les vacances scolaires. Au début je gérais Kerviande, la filiale de livraison de viandes aux particuliers (revendue en 2017 pour se recentrer sur le B to B). Depuis mon arrivée, c’est moi qui ai géré tous les rachats (TG Viandes et marée à Rennes, Savia à Saumur).

Thibaut Lebeaupin (gérant de Jean Lebeaupin) : Je suis la quatrième génération de la famille à la tête de l’entreprise. J’ai commencé comme chauffeur avant de passer au commercial. Aujourd’hui je suis cogérant. Nous étions déjà présent sur le marché de Nantes quand il était au Neptune. Comme je dis souvent, je suis né avec des écailles aux pieds. Je n’ai connu qu’une seule autre entreprise : un magasin d’électro-ménager dans lequel j’ai fait mon alternance. Quand j’étais petit, je jouais aux patins à roulette sous le hall de marée. Il y a une salariée qui est là depuis 37 ans. Elle me rappelle souvent qu’elle m’accrochait mes patins aux pieds quand j’étais petit. Nous travaillons toujours en famille aujourd’hui. Il y a des salariés qui sont là depuis 35 ans.

Mathias Esnault (PDG de Graines d’Ici) : On est une famille de primeurs depuis quatre générations. Mes arrières grands-parents vendaient sur le marché qui était alors au Champs de mars. Très jeune, j’étais déjà derrière un stand. A 18 ans, j’ai fait des études d’ébéniste puis j’ai arrêté. J’ai bossé avec mon père. A l’époque, j’avais déjà pensé à faire de la livraison de paniers bio à domicile. J’avais même élaboré un business plan, passé une formation à la CCI Nantes-Saint-Nazaire. Cela m’avait remis les pieds sur terre. J’avais alors changé pour devenir agent commercial pendant 18 mois chez Salesforce.

Thomas Vilette (cogérant de Vito Distribution) : Auparavant j’étais commercial dans une entreprise d’électricité industrielle, pendant 8 ans. Je suis arrivé chez Vito il y a 3 ans et demi, je voulais absolument rejoindre mon père mais lui refusait catégoriquement, il disait qu’il n’avait pas l’argent pour me payer un salaire. Lui avait créé Vito tout seul, après avoir été cadre dans une grande entreprise, il a eu l’idée de commecialiser Caraibos une marque de jus de fruit. J’avais 14 ans, je le voyais travailler tout seul toue la journée. Il faisait la livraison ax clients le matin puis la prospection commerciale l’après-midi. Pendant un an , j’ai bossé pour Vito sans etre payé. J’ai du m’engager à mettre en location mon appartement et à m’aménager une chambre dans le garage de mon père pour avoir quelques revenus. L’ironie de l’histoire, c’est que c’est le même garage où il avait commencé son activité, en entreposant ses premiers jus de fruits. Dans le sol qu’il avait refait, j’avais écrit VITO 2006. C’est toujours là..

Comment se passe la transmission de père en fils?

M. C : On aura finalement mis 8 ans pour transmettre l’entreprise. C’est un process assez long qui s’est fait en douceur. Il n’y aura pas de choc de culture au départ de Jean-Luc. Petit à petit, on a mis en place de nouveaux process.

Thibaut Lebeaupin est cogérant de l'entreprise familiale installée sur le pôle agro. — Photo : JDE

T.L : Cela fait 15 ans que je me prépare. J’ai suivi une formation à la CCI Nantes-Saint-Nazaire. Je commence petit à petit à racheter les parts. Je reste cogérant avec mon père et ma mère. Mon père fait en quelque sorte la vigie de l’entreprise, la petite main. Il amène les chèques à la banque, jette un œil à l’entreprise. Nous avons un rituel, nous déjeunons tous les midis tous les deux. Et nous parlons de tout sauf de travail. C’est ma mère qui gère la stratégie de l’entreprise. Elle est aussi investie à la CCI et au réseau Femmes Chefs d’Entreprises. Elle commence à penser à la retraite mais je ne suis pas

Mathias Esnault a créé Graines d'ici en 2016. — Photo : JDE

sûre qu’elle quittera l’entreprise.

M. E : Pour moi, il n’y a pas vraiment de transmission car j’ai créé ma propre entreprise, il y a deux ans. Je me suis appuyé sur les contacts de mon père, les producteurs locaux. J’ai commencé dans le frigo de mon père puis j’ai trouvé un local, sur l’ancien Min. Aujourd’hui, on fait 1,2 million d’euros de chiffres d’affaires avec 24 salariés, j’espère qu’on en fera 2 millions en 2019. On commence à se développer à Angers et Rennes.

T. V : Nous avons commencé le rachat des parts. Aujourd’hui, on s’est reparti les rôles avec mon père : c’est lui qui gère l’administratif et moi je gère toute la partie commerciale, le recrutement, la formation des nouvelles recrues. On est désormais quatre dans l’entreprise et on réalise 1,3 million d’euros de CA, c’était moitié moins à mon arrivée. J’ai réussi à le faire investir dans des tablettes pour faciliter la prise de commande. Lui écrit encore tout sur des petits papiers comme le font les serveurs... Cela nous obligeait à réécrire 3 fois les commandes. Je les aussi convaincu de vendre du gin alors qu’il n’y croyait pas au départ. On compte plus de 200 références.

Que pensez vous du nouveau Min ?

M. C : Nous sommes impatients, cela fait tellement longtemps que nous en parlons. Nous déménageons dans un espace de 4 000 m², contre 2 500 actuellement. C’est un investissement de 6,5 millions. Cela fait trois ans que les équipes travaillent dessus. Ce sont elles qui ont vraiment conçu les espaces pour qu’ils soient plus ergonomiques. Ce qui va nous changer, c’est la qualité du froid qui sera optimum alors qu’aujourd’hui c’est loin d’être le cas. Nous allons aussi construire un vrai showroom. J’espère aussi que l’ambiance sera bonne car on sera séparé avec certains sur le Min et d’autres sur le pôle agro à côté. Aujourd’hui on se croise tous au café et demain ? Il ne faudrait pas que le Min devienne juste un énorme entrepôt logistique. Pour cela, nous allons renommer l’association Min’Avenir qui avait été créé pour le déménagement. Elle deviendra Agro’Min.

T. V : On a hâte de déménager ! Il n’y a plus de place ici, on se marche dessus, l’entrepôt est fait en triangle, ce qui n’est pas du tout pratique. Sur le nouveau Min nous aurons 240 m² en location, soit le double d’ici. On aura un bel outil, une belle vitrine avec un showroom. Je me demande même si on n’a pas pris trop petit.

M. E : On va déménager en location dans 350 m², c’est à peu près la même surface que sur l’ancien Min. Nous n’avions pas besoin de plus car toute notre business se fait en livraison ou sur les marchés. Nous qui récupérons le compost de nos clients avons hâte de voir ce que donnera la gestion des déchets car on s’est beaucoup impliqué en commission pour cela. ( NDLR : Sur le nouveau Min, 90% des déchets seront recyclés).

T. L : nous avons pris la décision de nous installer sur le pôle agro, à proximité du nouveau Min, pour être à côté de la concurrence. Nous déménageons sur 1 200 m² contre 900 m² sur l’ancien Min. Nous avons beaucoup investi pour le bien être des salariés. Nous avons installé des postes de travail debout par exemple et investi dans des sièges ergonomiques pour l’assise des chauffeurs, c’est important.

Certains acteurs du Min craignent d'être ralenti par le trafic routier. Qu'en pensez vous? Trafic perturbé ?

M. C : Il y aura un effet circulation, c’est certain. Les clients qui viennent tous les jours nous le disent : «On ne viendra plus que trois fois par semaine». 20% de nos clients viennent encore en magasin. C’est pour cela qu’on veut créer un showroom, une belle vitrine. Le magasin sera élargi avec une gamme spécifique italienne et japonaise. Pour les livraisons, j’ai acheté un véhicule au gaz naturel et j’en achèterai un deuxième en février.

T. V : Moi, je ne suis pas inquiet, peut-être qu’il y aura quelques soucis de circulation mais nous serons alors tous concernées et nous nous adapterons.

M. E : Je crains surtout les embouteillages, au péage, à la sortie. En 2020 il n’y aura plus de véhicule thermique autorisé en centre-ville en journée pour les livraisons, on devra donc s’adapter. La livraison sera toujours d’actualité mais la forme sera peut-être différente.

T. L : Nous sommes installés sur le pôle agro depuis la mi-novembre. L’essentiel de nos livraisons se font la nuit, vers 4 heures du matin donc pour nous, ce n’est pas du tout un problème.

L'enjeu pour vous, c'est d'être toujours plus rapide dans la livraison des clients?

M. C : Nos concurrents ont une activité qui se chiffre en milliards d’euros. A côté, nous

Thomas Vilette, cogérant de Vito Distribution, dans ses anciens locaux, sur l'ancien Min. — Photo : JDE

sommes tout petits. Notre force, c’est l’agilité. Nous sommes capables de dénicher sur le frais n’importe quel produit et on accepte les commandes à n’importe quelle heure quand certains les limitent à 15 heures. Nous savons que nous devons continuer à répondre aux demandes tardives. Nous savons que nos clients sont sujets à des aléas.

T.V : On est un Ovni dans le monde de la distribution de boissons. Nos concurrents sont extrêmement puissants et s’étalent sur toute la France. Nous, nous comptons 250 clients sur Nantes et sur la côte. Nous comptons nous développer à Rennes et Angers. Notre avantage c’est d’accepter les commandes au dernier moment, et surtout sans franchise. Notre force c’est le service, le haut de gamme et les conseils.

M. E : Nous savons que nos clients calculent leurs temps, qu’ils veulent enlever de leur quotidien tout ce qui est pénible et qu’ils ne veulent plus aller en grande surface. Ils veulent faire leurs courses depuis leur canapé. C’est ce que nous promettons. Notre plus c’est de proposer des conseils sur les fruits et légumes aux clients, sur la conservation.

T. L : Les réglementations sur la pêche évoluent tout le temps, nous nous adaptons. Nous sommes une petite structure mais nous travaillons beaucoup avec l’étranger. Nous sommes très influencés par les marchés étrangers. Par exemple, si un poisson est victime d’une maladie en Amérique du Sud, tous les acheteurs se rapatrient sur le marché européen. Nous regardons aussi beaucoup le climat, cela a beaucoup d’influence. Le poisson ne se mange pas quand il fait trop froid ou trop chaud, il se mange à la mi-saison.

La bonne recette, c'est le local et le haut de gamme ?

M. C : Nous nous rendons bien compte que le marché évolue, qu’il y a une tendance à manger moins de viande. Aujourd‘hui, la marée représente un tiers de notre chiffre d'affaires. Ce n’est pas un problème pour nous car nous sommes sur un créneau moyen-haut de gamme. Nous allons miser sur les races locales. Je rencontre en ce moment des éleveurs de Rouge-des-Près en Anjou mais aussi des éleveurs de la Vache nantaise, une race que j’aimerais promouvoir.

T. V: Le marché du spiritueux est en explosion. Je veux tirer le cocktail vers le haut et donner accès à des produits toujours nouveaux, faire en sorte que les clients puissent passer commande sur le site. Je veux pouvoir donner accès à des produits de niche à des prix cohérents. J’ai plein d’idées ! Je voudrais aussi légitimer le métier de barman, lancer une formation pour devenir barman.

M. E : La bio, c’est ce qui nous caractérise, je connais bien les producteurs locaux. Ce qui m’inquiète c’est qu’ils n’arrivent pas à suivre la demande car au vu de la croissance du marché, il va falloir que la production suive. Nous avons de plus en plus de concurrents sur ce marché de la livraison, notre avantage c’est que nous sommes du métier et que nous connaissons les producteurs. Nous voulons être des leaders.

T. L : Je dis souvent : ce qu’il y a dans l’assiette, c’est le premier médicament. Je n’aime pas dire que nous faisons du haut de gamme, nous faisons juste ce qui doit être fait en refusant de vendre aux poissonniers et restaurateurs, nos principaux clients, des produits de la mer qui auraient été manipulés. Cela a toujours été dans nos valeurs. On a toujours été dans cette politique-là.

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