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Agriculture urbaine : les serres de CMF poussent dans les centres-villes
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Agriculture urbaine : les serres de CMF poussent dans les centres-villes

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Jardins partagés, potagers sur les toits ou encore fermes urbaines : l'agriculture s'invite désormais en ville. Un marché émergent sur lequel le fabricant de serres CMF s'est positionné très tôt. La PME de Varades, en Loire-Atlantique, commence à en récolter les fruits en matière de croissance.

CMF a construit les serres de la Cité Maraîchère de Romainville, la plus grande ferme urbaine d'Europe — Photo : Poltred Studio

Les serres de CMF commencent à investir les grandes villes françaises. L’émergence de l’agriculture urbaine ouvre en effet de nouveaux horizons à cette PME qui, depuis sa création en 1962, était plus habituée aux zones maraîchères qu'au cœur des villes.

Reste que cette percée urbaine n'est pas si surprenante. CMF se définit en effet comme un « multiplayer » de la fabrication de serres. L’industriel basé à Varades, en Loire-Atlantique, fabrique tous types de serres (en verre, en plastique) pour l’horticulture et le maraîchage, ainsi que leurs équipements (climatisation, chauffage...). « Nous sommes la seule entreprise au monde à offrir une telle largeur de gamme. Nous ne fabriquons pas de serres standards. Notre stratégie a toujours consisté à investir des niches de marché pour répondre à des besoins spécifiques », explique Renaud Josse, dirigeant de l’entreprise. C’est ainsi que dans les années 2000, CMF, qui fabriquait jusqu'alors des serres de production, s’est imposé comme un acteur majeur sur le marché de la jardinerie en construisant des serres de vente pour des enseignes comme Truffaut ou Jardiland. Pour ce faire l'entreprise s'est appuyé sur ses compétences en construction de bâtiments à ossature métallique.

« Ce savoir-faire nous a servi pour répondre aux besoins des horticulteurs désireux de commercialiser directement leurs productions auprès des consommateurs », indique le dirigeant. Le marché de la jardinerie a représenté jusqu’à la moitié du chiffre d’affaires de l’entreprise dans les années 2000. Cette part est aujourd’hui retombée à 20 %. En mars 2019, la PME de 200 salariés a vu son chiffre d’affaires atteindre 51 millions d’euros. Sa jauge habituelle avoisine toutefois les 40 millions d’euros, 50 % étant générés par la construction de serres, 50 % par l’activité bâtiment.

C’est précisément sur cette double compétence dans le végétal et le bâtiment que s’est appuyé CMF pour trouver des relais de croissance après le boom du marché des jardineries. « Grâce à notre activité dans la construction de serres, nous avons une bonne culture dans les domaines du végétal et du climat. Notre activité bâtiment nous confère une bonne connaissance des normes des établissements accueillant du public, ainsi qu’une expérience de la gestion de projet avec une multitude d’acteurs. Cette fertilisation croisée des compétences fait notre valeur ajoutée. C’est grâce à elle que nous sommes bien armés pour intervenir sur le marché de l’agriculture urbaine auquel nous nous sommes intéressés à une époque où il était encore sous-jacent, vers 2012-2014 », décrypte Renaud Josse.

La reconstruction de Détroit, la peur des Japonais

Pour mieux comprendre ce marché de l’agriculture urbaine, CMF participe à deux missions organisées par le conseil régional des Pays de la Loire, la Chambre d’agriculture et le pôle de compétitivité Végépolys autour de cette problématique. La première aux États-Unis permet à CMF de découvrir une agriculture urbaine opérée principalement par des start-up agissant dans une finalité d’intégration sociale. L’objectif poursuivi est de revitaliser par l’agriculture les centres-villes de Chicago et Detroit, sinistrés par la crise économique et le départ de l’industrie automobile. Au Japon, l’agriculture urbaine apparaît sous un autre jour. Elle répond à une problématique de sécurité alimentaire dans un pays traumatisé par les risques nucléaires et dont la production agricole décline. Le développement de fermes urbaines verticales autonomes intéresse également d’autres régions fortement dépendantes des importations en produits frais comme Singapour ou le Moyen-Orient. « Ces focus nous ont permis de percevoir les différentes opportunités que pouvait offrir ce marché », explique Renaud Josse.

CMF construira la serre urbaine du programme des 5 Ponts à Nantes — Photo : Tetrarc

Toutefois, CMF a mis plusieurs années avant de voir aboutir de véritables projets. « Dans une première phase, ce sont des associations qui se sont emparées du sujet avec des préoccupations essentiellement sociales et environnementales. Elles nous sollicitaient, mais sans avoir mené de réflexion autour du business model. Ensuite, avec le verdissement obligatoire des programmes de promotion immobilière, nous avons réalisé nos premières petites serres (100 à 150 m²) dédiées à l’agriculture urbaine. Aujourd’hui, le marché a mûri et nous sommes consultés en avance de phase par les promoteurs ou l’organisme exploitant pour réfléchir aux projets. Nous adressons tout un pan de l’agriculture urbaine », rapporte Renaud Josse. Celle-ci présente une grande diversité, tant dans les acteurs, que les projets ou encore les technologies.

« Les projets de fermes urbaines ont comme point commun d’être complexes et multi-acteurs. Certains mettent en œuvre des technologies high-tech, comme les fermes verticales souterraines à Led, qui se développent notamment en Asie. Pour moi, c’est le modèle d’après. En Europe, on voit davantage de modèles low-tech, souvent mis en œuvre par des personnes non issues du monde agricole, qui réinterprètent des méthodes anciennes, avec des performances de rendement et de production non négligeables », analyse Julien Blouin, urbaniste et consultant en agriculture urbaine via son cabinet We-Agri, qui accompagne les collectivités, aménageurs, promoteurs privés, paysagistes… « Nous sommes positionnés sur une agriculture urbaine intermédiaire utilisant des serres et, autant que faire se peut, l’apport naturel du soleil. Au fil des années, nous avons développé des compétences pour réguler les températures tout en limitant les consommations d’énergies. Plus qu’un constructeur de serres, nous nous présentons comme un bâtisseur de climat car nous sommes capables de reproduire un écosystème climatique », avance Renaud Josse.

10 % du chiffre d’affaires dans l’agriculture urbaine

Depuis 2018, CMF a remporté et réalisé de nombreux projets. Associée à Eiffage Construction, l’entreprise a participé à la construction de la plus grande ferme urbaine d’Europe à Romainville, en Seine-Saint-Denis. Livrée fin 2018, la Cité maraîchère produira, sur 1 000 m², douze tonnes de fruits, légumes et plantes, soit la consommation de 200 familles, tout en accueillant des ateliers pédagogiques. À Nantes, CMF est partie prenante dans la construction de la résidence des 5 Ponts. Portée par l’association les Eaux vives, elle intégrera, d’ici fin 2020, deux fermes urbaines et deux jardins d’hiver privatifs. La PME réalise également une serre bioclimatique destinée à l’agriculture urbaine pour la Villa Shamengo à Bordeaux, qui se veut un laboratoire d’innovation environnementale et sociale. Autre chantier, la construction de serres privatives dans le cadre du programme Utopia à Bruz, dans l'agglomération rennaise.

Au total, le marché de l’agriculture urbaine représente 10 % du chiffre d’affaires de CMF, part qui devrait encore croître. Le dirigeant reste toutefois prudent : « Nous pensons que le marché va continuer à se développer, car il répond à des attentes fortes à la fois des citoyens et des pouvoirs publics. Mais, dans un pays comme la France, l’agriculture urbaine ne remplacera pas l’agriculture classique. Produire sur un toit coûtera toujours plus cher que produire en pleine terre, même si on prend en compte le coût du dernier kilomètre ou l’empreinte carbone. »

Développement des serres de recherche

Dans ce contexte et en ligne avec sa stratégie de niches, l’entreprise explore d’autres relais de croissance. Parmi ceux-ci figure le développement des serres de recherche pour lesquelles la demande progresse en France et dans le monde. « Les gros semenciers ont besoin de développer rapidement de nouvelles variétés pour s’adapter aux changements climatiques et à la fin programmée des pesticides », explique Renaud Josse. CMF a ainsi livré plusieurs bâtiments à l’Inra. Enfin, la PME cherche à internationaliser son activité de fabrication de serres en ciblant les marchés d’Asie, d’Amérique Latine, du Maghreb et du Moyen-Orient. Son chiffre d’affaires à l’export oscille, en fonction des projets, entre 20 et 30 % du chiffre d’affaires.

Encadré - « L’agriculture urbaine est un mouvement puissant en plein développement »

Grégoire Bleu, fondateur d'Upcycle, a présidé l'Association française d'agriculture urbaine (AFAUP) pendant 4 ans — Photo : UpCycle

Grégoire Bleu, ancien président de l’Association française d’Agriculture Urbaine Professionnelle

Quand est né le mouvement de l’agriculture urbaine ?

Il s’agit plus d’un retour que d’une naissance. Pendant longtemps, les villes ont été entourées de ceintures maraîchères qui ont disparu pendant 100 ans sous l’effet de l’urbanisation et du remplacement des engrais organiques par des engrais chimiques. C’est un mouvement jeune. En 2012, il ne se passait encore rien. Aujourd’hui, l’AFAUP compte près de 100 membres, représentant 400 sites exploités, 500 emplois et 40 à 45 hectares cultivés. L’agriculture urbaine est un mouvement puissant en plein développement.

À quels besoins répond l’agriculture urbaine ?

L’agriculture urbaine répond à des préoccupations extrêmement diverses, environnementales mais aussi sociétales, dont se sont saisis tant les citoyens que les collectivités. La réintroduction du végétal permet, en effet, de rendre les villes plus vivables en reconnectant les habitants au cycle du vivant, en limitant les îlots de chaleurs, en captant l’humidité. En réponse à la défiance des consommateurs envers une alimentation segmentée, elle propose une alternative saine, du bien manger en circuit court. Elle permet également aux pouvoirs publics de se réapproprier des espaces urbains laissés en friche. En revanche, il faut être conscient que produire en ville coûte 3 à 10 fois plus cher que produire à la campagne. On ne pourra donc pas nourrir les citadins uniquement par l’agriculture urbaine. Cela n’aurait pas de sens.

Quels sont justement les modèles économiques de l’agriculture urbaine ?

L’agriculture urbaine est un monde complexe, caractérisé par une grande diversité d’intervenants et de modèles, allant de l’écologie alternative à des start-up très innovantes. Je dirais qu’environ 20 % des projets concernent des cultures hyperspécialisées à haute valeur ajoutée : les champignons d’UpCycle poussent dans du marc de café, le safran des Bien Élevées sur les toits de Paris ou les fraises d’AgriCool dans des containers. Mais la grande majorité des projets portent sur des cultures en pleine terre, soutenus par des associations et poursuivant des visées environnementales et sociales : réinsertion, formation, création de lien social… Il faudrait encore citer l’agriculture urbaine récréative permettant aux citadins de s’initier au jardinage, d’éprouver le plaisir de cueillir, de goûter, avec les Fermes de Gally, Topager… Les techniques sont également très variées.

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