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Abalone France : "L’intérim est une variable d’ajustement de l’économie et du comportement des salariés"
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Jean Verneyre président d’Abalone France "L’intérim est une variable d’ajustement de l’économie et du comportement des salariés"

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Abalone est l’un des acteurs importants de l’intérim en France. Implantée près de Nantes, l’entreprise compte 350 salariés et 83 agences, dont dix à l’international. Elle ambitionne d’en ouvrir dix nouvelles en 2023 en France, malgré un contexte économique incertain, et une centaine d’ici à dix ans. Jean Verneyre, président, révèle les nouveaux enjeux de l’intérim.

Jean Verneyre, président d’Abalone France — Photo : David Pouilloux

Dans un contexte économique où les entreprises peinent à recruter, quel rôle l’intérim joue-t-il ?

Seuls deux motifs peuvent justifier le recours à l’intérim : l’accroissement temporaire d’activité ou le remplacement de personnes absentes. Abalone Group a 73 agences en France, et 83 au total en Europe. Nos dix implantations hors de France sont en Belgique, Allemagne, Luxembourg et Pologne. Nous sommes 350 salariés, dont environ 300 salariés du groupe en France. Le siège Abalone France est à Saint-Herblain, près de Nantes, et le groupe réalise 170 millions d’euros de chiffre d’affaires sur l’intérim, et 200 millions en comptant ses filiales de recrutement, informatique et international. Il existe environ 11 000 agences de travail temporaire en France, dont 2 300 enseignes, ce qui veut dire que beaucoup ont très peu d’agences. Adecco, Manpower, Randstad sont les big 3. Ils ont environ 900 agences, soit dix à quinze fois plus que nous. C’est un marché très concurrentiel.

Comment les entreprises d’intérim arrivent-elles à se singulariser l’une de l’autre sur un marché aussi concurrentiel ?

Nous faisons tous potentiellement la même chose, à savoir répondre à la demande d’un client pour un besoin de main-d’œuvre. Le prix de revient est sensiblement le même pour toutes les enseignes. Par ailleurs, la loi exige que les intérimaires soient payés pareils, quelle que soit l’entreprise d’intérim avec laquelle ils travaillent. Ce qui fait notre différence ? Pourquoi nous choisir nous ? Je pense que notre marque de fabrique se trouve du côté de la qualité de la relation avec nos intérimaires.

C’est-à-dire ?

Nous les fidélisons par l’accueil et on les accompagne dans leur quotidien, sur des aspects administratifs, pour leur démarche avec leur mutuelle, les impôts, vers la formation, pour les équipements de sécurité, pour leurs déplacements… On veille aussi à ce qu’ils aient assez de travail sur l’ensemble d’une année. Et quand ils ont un accident du travail, qui parfois peut les obliger à changer de métier, nous les accompagnons vers une formation qui leur permettra de se reconvertir. Aujourd’hui, beaucoup de salariés se sentent mieux considérés dans l’intérim que dans de nombreuses entreprises. Notre richesse, ce sont eux.

Dans le contexte de difficultés de recrutement pour les entreprises, comment le secteur de l’intérim se porte-t-il ?

Il ne va pas bien en ce moment. Par rapport à 2022, nous sommes sur une tendance à la baisse de nos missions, de moins 10 % sur les premiers mois de 2023, qui confirme ce que l’on avait observé déjà fin 2022. Notre volume actuel de mission est de 650 ETP, contre 800 habituellement.

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Il y a plusieurs facteurs. Le chômage ayant baissé, il est plus difficile de trouver du monde pour l’intérim. En 2022, il y a eu beaucoup de recrutements en CDI, une année record, et donc il y a moins de monde sur le marché. Le bâtiment, qui représente 20 % de notre activité, souffre plus que les autres secteurs, notamment dans la construction neuve. Certains indicateurs comme les taux d’intérêt élevés, l’inflation forte, font que faire du stock coûte cher aux entreprises, donc, elles choisissent de moins produire, et attendent des jours meilleurs. Enfin, les collectivités territoriales sont dans une période de réduction des dépenses. Ces coupes budgétaires impactent évidemment les mises en chantier.

En dépit de ces signaux alarmants, vous êtes pourtant sur une dynamique de création de nouvelles agences…

Le marché du travail temporaire dans notre pays, chaque année, c’est 20 à 22 milliards d’euros. Il représente ainsi entre 650 000 et 800 000 ETP. Le gâteau est toujours assez gros pour que ceux qui ont envie d’avancer continuent à le faire. Nous conservons une stratégie de développement en ouvrant une dizaine de nouvelles agences cette année, notamment à Fougères, Mont-de-Marsan, Saint-Dié-des-Vosges, Grenoble, Puits-en-Velay, une deuxième agence au Mans et à Angers, Coutances, Paris. Suivront Saint-Malo, Villefranche-sur-Saône. D’ici à dix ans, notre ambition est d’ouvrir entre 100 et 150 nouvelles agences.

Cette croissance, comment la portez-vous ?

Abalone a 32 ans. L’entreprise a été créée par François-Xavier Moutel, aujourd’hui président fondateur d’Abalone Group. Il vient du monde de l’intérim. Sa philosophie : ni Dieu, ni Maître. Nous avons ainsi grandi à la vitesse de nos bénéfices, sans jamais emprunter pour grandir, et nous continuerons à procéder ainsi. Nous sommes totalement indépendants. Nous sommes une entreprise d’entrepreneurs, pas de capitalistes. Cela a une énorme influence sur la vie de l’entreprise, car nous ne cherchons pas à valoriser le prix de l’action. Tout est fait pour que la société ne soit jamais rachetée. Toutes nos agences sont des entités juridiques indépendantes. Nous nous gardons la possibilité de faire entrer au capital nos chefs d’agence, dont près de la moitié est au capital d’Abalone. Nous avons créé une filiale informatique, notre société de formation et, voilà trois ans, nous avons ouvert un data center, qui est à Metz.

Quels sont les éléments de votre stratégie de développement territoriale ?

Voilà six ans, nous étions très peu implantés à l’est de la verticale passant par Paris. En six ans, nous nous sommes déployés de Lille à Aix-en-Provence en passant par Dijon et Grenoble. Nous avons la stratégie du fraisier, qui s’agrandit à proximité de là où il est implanté. Notre maillage de territoire est dense dans l’Ouest et nettement moins vers l’est. Pour grandir, nous n’avons procédé que par croissance organique. La seule exception à cette règle est l’achat d’un cabinet de recrutement à Chartres. Désormais, nous avons également un cabinet de recrutement à Lyon, à Bordeaux, et depuis peu à Nantes, sous l’enseigne Carole Dehays Ressources humaines, et un à Nantes, sous la marque Inexia. La France est le seul pays dans le monde où lorsque vous faites du travail temporaire, vous n’avez pas le droit de faire autre chose. C’est une activité exclusive pour une enseigne. Pour être dans l’offre globale des ressources humaines, nous devons créer d’autres entités juridiques.

Quel est le profil des intérimaires et quels secteurs y font le plus appel ?

Toutes les tranches d’âges sont concernées, mais les 18 à 30 ans sont majoritaires. Beaucoup d’intérimaires n’ont pas envie de stabilité. Ils y trouvent une liberté de choix. Pour les jeunes, il y a une envie de profiter de l’instant, aussi, après avoir travaillé, de partir en vacances. Le secteur du bâtiment et des travaux publics est très demandeur de l’intérim, comme l’hôtellerie-restauration. Le secteur tertiaire représente 15 %, contre 1 % il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, on trouve de l’intérim dans tous les secteurs, y compris dans la santé dont on parle beaucoup, les pompes funèbres ou le déménagement. Nous sommes une variable d’ajustement de la conjoncture économique et du comportement des salariés. Mon métier, c’est un jeu, un jeu que j’essaie de gagner tous les jours, et dans lequel j’essaie de faire rentrer les collaborateurs, les intérimaires et nos clients.

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