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À quoi Rennes renoncerait en se passant de la 5G
Enquête Rennes # Télécoms # Collectivités territoriales

À quoi Rennes renoncerait en se passant de la 5G

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La 5G doit s’inscrire comme le protocole de communication du futur, capable d’accompagner les industriels dans l’ère de la connectivité et de l’immédiateté. La Ville de Rennes a cependant mis un coup de frein à cette technologie de rupture en lançant une étude d’impact. Les entrepreneurs du numérique s’inquiètent.

Comme ici avenue Janvier à Rennes, en haut de la tour hertzienne jouxtant France 3 Bretagne, les opérateurs placent leurs antennes mobiles sur des points hauts de la Ville. La 5G ne fera pas exception — Photo : © Baptiste Coupin

La déploiement de la 5G à Rennes, pour l’instant, c’est non ! En tout cas - sauf revirement de situation -, pas avant le printemps 2021, date à laquelle des experts de tous bords prévoient de rendre leurs conclusions sur les impacts sanitaires et environnementaux de cette nouvelle technologie. En complément des études de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), menées au plan national. Ainsi en a décidé la maire de Rennes, Nathalie Appéré, arguant que le déploiement de la cinquième génération de réseau mobile (après la 4G, la 3G…) devait se faire « dans la transparence et à l’issue d’un débat public ». « Cela implique, dans un premier temps, de respecter un élémentaire principe de précaution », a prévenu l’élue, le 17 septembre 2020, dans un communiqué. Un groupe de travail - piloté par Pierre Jannin, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et conseiller municipal délégué au numérique et à l’innovation - a été constitué en ce sens. Il sera suivi d’une concertation avec les Rennais, pour répondre à « une promesse de campagne », indique Nathalie Appéré.

Des expérimentations déjà menées

En attendant d’y voir plus clair, la Ville de Rennes temporise donc, sans aller jusqu’à un moratoire, tel que décrété à Lille. Pourtant, on ne découvre pas la 5G dans la métropole. Des expérimentations autour de ce nouveau protocole de communication ont déjà eu lieu. L’institut de recherche technologique b-com, à Cesson-Sévigné, a ouvert la voie, en 2018 et 2019, à différents cas d’usage : internet des objets, ville intelligente, réalité virtuelle ou télémédecine. Le géant des télécommunications Orange, qui a son siège Grand Ouest à Rennes, a lui aussi mené des expériences dans la nouvelle gare, en octobre 2019, aux côtés de la SNCF et de Nokia.

Photo : © Baptiste Coupin

Des points d’accès sans fil (ou « hotspots ») 5G ont permis aux voyageurs de pouvoir télécharger des vidéos haute définition en un temps record : c’est l’un des atouts de la 5G, sa capacité à offrir des débits dix fois plus rapides que ceux de la 4G. Les professionnels de la SNCF, eux, auront pu tester à cette occasion des applications métiers nécessitant l’ultra haut débit (formation en réalité augmentée, maintenance à distance en réalité augmentée, traitement massif de données de pilotage des trains...).

Un enjeu « emblématique » pour Orange

L’opérateur historique a fait de la nouvelle génération de mobiles un enjeu « emblématique et structurant », qui va lui permettre de proposer de nouveaux services à ses clients, particuliers comme entreprises. Les offres commerciales sont déjà prêtes. À l’heure des premières enchères sur la 5G (celles concernant la bande 3,5 Ghz), lancées fin septembre, Orange s’est donc offert le plus grand nombre de fréquences devant ses concurrents SFR, Bouygues et Free. Dans Rennes et sa métropole, 16 antennes dédiées à la 5G sont parées à émettre, « dans le cœur de ville et les zones d’activité autour », indique Pierre Jacobs, directeur Orange Grand Ouest. Il y en aura 37 à la fin 2020. Des investissements, nombreux, ont été faits autour de cette technologie. La mise en place d’une d’étude d’impact à Rennes heurte donc quelque peu le premier employeur privé de la Ville (5 300 emplois) et partenaire incontournable de l’innovation. « On investit dans le réseau 5G parce qu’on pense qu’il y a une demande. Je ne vois pas comment on pourrait arrêter ce mouvement qui est inéluctable. Je veux bien discuter mais en aucun cas avec un calendrier qui me serait imposé », a fait valoir Pierre Jacobs, le 2 octobre, lors d’un point presse. Quid de la question sanitaire autour de la 5G ? « Tant qu’il n’y a pas d’utilisateurs et de clients, on aura du mal à avoir l’impact sur eux… mais si on respecte les normes, il n’y aura aucun danger. »

Des entrepreneurs inquiets

Portée par le président Emmanuel Macron comme étant « un tournant » à ne pas manquer, la 5G pourrait-elle être snobée à Rennes, l’une des places fortes des télécoms en France et lieu d’invention du minitel ? Cela alors que ce standard est déjà utilisé dans une vingtaine de pays industrialisés (Espagne, Allemagne, Royaume-Uni…) ? Le sujet n’a pas manqué de faire réagir les entrepreneurs de l’écosystème numérique. Un écosystème puissant. 4 500 entreprises employant 38 000 salariés travaillent dans ce secteur dans la capitale bretonne.

Photo : © Digitaleo

« Que serons-nous dans cinq ans si nous sommes une des seules métropoles en France et dans le monde à ne pas avoir la 5G ? », se demande ainsi Jocelyn Denis, PDG de Digitaleo, éditeur rennais d’une plateforme digitale de marketing local. « Les sociétés du numérique sont étroitement liées à la capacité des réseaux à délivrer leurs services de visio ou de logiciels en ligne. Plutôt que d’interdire le progrès, il faut sensibiliser les citoyens et les entreprises à se transformer au service de l’environnement. Mieux vaut fédérer que diviser par des postures d’interdiction », insiste-t-il. Olivier Avaro, PDG de Blacknut, start-up rennaise qui dématérialise le jeu vidéo, se montre aussi circonspect. « La 5G se lance partout dans le monde. J’ai l’impression que c’est un peu un combat d’arrière-garde qui est mené. Il faut bien avoir en tête que la 5G c’est quelque chose qui va amener du décloisonnement. Ca correspond aussi aux besoins du moment, où de plus en plus de gens ont besoin d’accéder à du très haut débit pour travailler. Clairement, sans la 5G, les entreprises du numérique auront moins de facilités à innover ou à tester leurs services, là où des pays comme la Corée du Sud sont en avance sur l’innovation. On prendra du retard… » Qu’en pense Le Poool, l’acteur central de l’écosystème numérique à Rennes ? L’association, qui est financée pour la plus grosse partie par Rennes Métropole, ne se risque pas à prendre position. « C’est un sujet qui est éminemment politique, se défend Gwenaëlle Quenaon-Hervé, la nouvelle présidente de la technopole. Nous sommes une association au service du territoire. On n’attend pas de nous d’être en opposition. En revanche, c’est un sujet que l’on va devoir résoudre ensemble. Notre volonté, c’est d’être acteur et de contribuer en échangeant avec les entrepreneurs et les élus, pour apporter des éléments qui puissent nourrir le débat et la réflexion. »

La 5G au service de l’industrie du futur

Pour nourrir la réflexion, il convient aussi de comprendre en quoi la 5G devrait radicalement changer le monde de l’industrie et ses process de fonctionnement. Et donc ce qu’il en coûterait aux entreprises locales de s’en passer. Car face à la fibre (alternative pour l’accès au très haut débit), plus compliquée et coûteuse à installer, la 5G coche de nombreuses cases : des débits ultra rapides, un temps de latence quasi-nul (permettant une transmission des données en une milliseconde), un volume de traitement de la data démultiplié, et un réseau fiable, sans interférences. De quoi entrer dans une nouvelle ère de la connexion sans fil. « La 5G, pour moi, c’est l’industrie du futur. C’est ça qui va permettre de déployer les usines de demain à des coûts maximisés », prévient d’ailleurs Hassan Triqui, PDG de Secure-IC, entreprise rennaise de cybersécurité qui conçoit des composants et des systèmes embarqués sécurisés. L’entrepreneur, membre de la gouvernance du Poool, complète sa pensée : « Demain, il faudra qu’une usine soit connectée pour pouvoir fonctionner. Et cela passera par le cloud (lieu de stockage et d’accès aux données par Internet) pour pouvoir connecter les machines entre elles, et gérer la relation avec les clients et les fournisseurs. Il faut voir cette technologie comme un accélérateur de croissance et un moyen d’accès à des marchés. Si vous n’avez pas d’infrastructure 5G, vous serez exclu de fait… ». « Connecter les machines entre elles, avec des capteurs et des modules de communication sans fil, ça permet de faire remonter de la « data » (donnée), sur l’état de leur fonctionnement. Ça permet d’écouter le battement de leur cœur quelque part, d’anticiper des problèmes et donc de faire de la maintenance préventive. Ça permet d’éviter, à 15 jours des fêtes de Noël, d’avoir une machine de découpe du saumon qui tombe en panne et qui fait tomber 80 % du chiffre d’affaires de l’année », analyse pour sa part Hugues Meili, PDG de Niji et président de Bretagne Développement Innovation, l’agence de développement économique régionale.

De nombreux secteurs concernés

De nombreux secteurs d’activité pourraient tirer parti de la 5G. L’industrie, à travers l’automatisation, la robotique ou le pilotage à distance. Mais l’Agence nationale de fréquences évoque aussi la e-santé (télémédecine, surveillance à distance, téléchirurgie…), les transports (voitures autonomes, système de transport intelligent…) ou encore la ville intelligente (maîtrise énergétique, sécurité publique, territoires connectés). Malgré le débat en cours à Rennes, Hugues Meili se montre donc confiant sur son prochain déploiement : « Non seulement la 5G sera déployée, mais en plus nous en ferons une utilisation avancée qui permettra de faire naître des applications différenciantes issues du tissu d’entreprises particulièrement riche du territoire ». À l’heure de la revitalisation du site industriel de Rennes - La Janais (lieu d’implantation de PSA), il pousse même à des expérimentations demain autour de véhicules électriques connectés en 5G. Chiche ?


Lacroix veut optimiser son outil de production, entre autres avec la 5G et l'utilisation de cobots — Photo : Groupe Lacroix

La 5G au cœur du futur outil industriel de Lacroix

À cheval entre les Pays de la Loire et la Bretagne, avec notamment des ingénieurs R&D à Cesson-Sévigné et Vern-sur-Seiche, l’équipementier électronique nantais Lacroix (4 000 salariés, 482 M€ de CA) a lancé une phase d’expérimentation de la 5G, en co-innovation avec Orange, pour déterminer les applications industrielles de cette nouvelle technologie. Ces tests permettront à l’industriel de mettre au point des usages smart (ou « intelligents ») couvrant l’ensemble de ses activités : industrie, ville, mobilité et gestion des ressources environnementales. Lacroix compte aussi intégrer la 5G dans sa future usine de Beaupréau (Maine-et-Loire), qui devrait être livrée en 2022. « Le projet est suivi de très près par les partenaires de l’usine du futur en France », souligne Hugues Meili, PDG de Niji et administrateur chez Lacroix. Car la nouvelle usine, ultramoderne, incarnera l’usine 4.0 par excellence. Elle intégrera des technologies de pointe, telles que des cobots, des véhicules à guidage automatique, et sera notamment dotée d'outils de production automatisés, tous connectés en 5G. « On regarde comment une chaîne industrielle peut à la fois être sécurisée et renouvelée en termes de process. On peut par exemple décider d’arrêter une chaîne, la nuit, et la réactiver un dimanche soir parce que les robots sont gérables à distance », explique Pierre Jacobs, directeur Orange Grand Ouest. La 5G doit permettre aux entreprises de synchroniser des masses importantes de données en temps réel, de booster les performances, ou encore d’assurer une meilleure efficacité de production. En cela elle doit donc servir l’ambition de Lacroix de devenir un champion des objets connectés industriels.

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