LGV : La bataille du rail Rennes - Nantes - Bordeaux

LGV : La bataille du rail Rennes - Nantes - Bordeaux

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L'accélération de la desserte ferroviaire vers les villes de la façade ouest d'ici à 2017 relance la compétition entre Rennes, Nantes et Bordeaux. Comment les trois villes s'organisent dans cette perspective ? En tirent-elles déjà parti ? À qui profitera le plus la LGV nouvelle ?
— Photo : Le Journal des Entreprises

Le compte à rebours est lancé ! Dans moins de deux ans, Rennes, Nantes et Bordeaux seront plus près de Paris par le TGV. Rennes sera même la plus proche du trio, à 1 h 27 seulement. Sur le terrain pourtant, Rennes se fait encore discrète comparée à Bordeaux notamment, qui occupe la scène médiatique depuis plusieurs mois. Trop modeste le Rennais ? Sans doute reconnaît le président de son agglomération Emmanuel Couet, mais l'élu assure anticiper l'arrivée de la nouvelle LGV à sa porte. « Nous sommes au travail et le territoire doit faire valoir ses atouts. Cela se concrétisera avant 2016, rétorque-t-il. Déjà, la communication institutionnelle du territoire vers les acteurs économiques est centrée sur l'accessibilité forte qui sera la nôtre à l'horizon 2017. C'est le cas sur toutes nos plaquettes d'information, quand je me déplace pour des colloques, etc. L'enjeu est d'imprimer la marque d'une grande métropole près de Paris. Se rapprocher de Paris par le fer est un atout décisif, pour hisser Rennes dans la division supérieure ».




Concurrence bordelaise

Cette LGV va irriguer l'économie des territoires concernés, comme toute nouvelle infrastructure, mais attention aux mirages ! Le Mans en a, par exemple, fait les frais. « La LGV est nécessaire mais n'a jamais été suffisante pour qu'une ville se développe, s'il n'y a pas une politique économique de développement », temporise Jean-Marc Trihan, P-dg du promoteur rennais Lamotte, présent aussi à Nantes et à Bordeaux depuis peu. « Il faut qu'une ville ait de la substance et des fondamentaux. Bordeaux en a. Pour Nantes et Rennes, s'il n'y a pas aussi l'aéroport Notre-Dame des Landes, ce sera plus compliqué... », estime-t-il. La concurrence serait donc bordelaise. « Il y a une vraie concurrence à venir, selon un autre professionnel de l'immobilier nantais. Les Bordelais ont bien avancé sur leurs quartiers d'affaires de la gare. Et ils développent une communication extrêmement agressive. » D'après les confidences d'un collaborateur de Nantes Saint-Nazaire Développement, l'agence économique de l'agglomération, la chasse aux entreprises parisiennes promet d'âpres batailles : « En 2017, avec tous leurs projets, la force de frappe des Bordelais va être terrible. Aujourd'hui, on ne les voit pas... La concurrence, c'est Lyon, Lille, Toulouse et le Sud de la France. »




« Rennes et Nantes ont mangé leur pain blanc »

André Delpont, expert conseil chez Bordeaux Euratlantique, confirme que les cartes vont être rebattues : « Toulouse est notre concurrent actuel, Rennes et Nantes seront nos concurrents de demain. Ces deux villes ont mangé leur pain blanc et elles s'aperçoivent qu'elles vont devoir le partager. Je comprends leur inquiétude, car au-delà de l'effet LGV, "l'effet Atlantique" est très important. Les entreprises sont sensibles aux aspirations de leurs cadres, et ceux-ci sont attirés par la nature et le sport, domaines où Rennes et Nantes ont très bien joué leurs cartes. Or, Bordeaux commence également à avoir cette carte. Nous devenons une ville à la mode et nous devons nous dépêcher d'en profiter ». Un élu nantais décrypte anonymement : « La vérité, c'est que Bordeaux avait du retard, pas seulement sur Nantes, mais sur toutes les grandes métropoles. Les Bordelais étaient à la traîne, sur nous, Lyon, Rennes. Ils rattrapent leur retard et sont dans cette logique de rattrapage », ajoute-t-il, pas plus inquiet que cela.




Complémentarité Nantes-Rennes

Face à cela, politiquement, Rennes et Nantes préfèrent faire front commun. Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole le défend : « Avec Rennes d'abord, je crois à la carte de la complémentarité. Quand avec Nathalie Appéré, la maire de Rennes, nous portons ensemble un projet d'université en commun, les présidents des deux CCI, Nantes et Rennes, sont avec nous quand on porte cette bataille au niveau du gouvernement. Que nous disent-ils ? Qu'il n'y a aucune concurrence entre les entreprises nantaises et rennaises ? Bien sûr que non. Ça c'est la vie du monde des entreprises. Par contre, ils nous disent que oui, à l'échelle du pays, à l'échelle de l'Europe encore plus, on a tout intérêt à jouer des complémentarités parce qu'il y a des questions de taille, de capacité à challenger les plus grandes villes européennes. Je crois à cette carte de la complémentarité. » Notre élu nantais anonyme analyse : « Notre enjeu, c'est d'être capable de jouer la carte de la coopération avec Rennes et Brest. Bordeaux, avec qui ils coopérèrent demain ? Quand on veut peser en Europe, l'échelle Grand Ouest est déterminante. C'est pour ça que je crois beaucoup à cette question de la complémentarité Nantes-Rennes. »




Bordeaux regarde aussi le sud

La complémentarité, Bordeaux espérait la jouer avec Toulouse et l'Espagne, grâce à la réalisation de la LGV au-delà d'Aquitaine. Mais ce hub ferroviaire du grand Sud-Ouest a du plomb dans l'aile : le projet de LGV au sud de Bordeaux vient de recevoir un avis défavorable de la commission d'enquête. Finalement, les trois villes tireront toutes bénéfice de la LGV, mais à quel rythme et qui ira le plus vite ? Rennes n'en est qu'aux fondations et sa gare n'a rien encore d'un hub régional. De son côté, Bordeaux a engagé quatorze chantiers dans et autour de sa gare, pour un investissement de 200 M€. Face à Rennes et Bordeaux, pour le Nantais Hubert de Boisredon, P-dg d'Armor (2.000 salariés), « il est vital que Nantes ne se laisse pas distancer ». Et l'entrepreneur de plaider aussi pour davantage de liaisons aériennes. Rennes a un train de retard.




Immobilier : à quoi s'attendre ?

Côté immobilier, cette nouvelle donne va bouleverser le quartier des gares. Des Parisiens chercheraient déjà à investir localement, assurent certains Rennais. Pour Stéphanie Renet, de BNP Paribas Real Estate et présidente de Fnaim Entreprises 35, EuroRennes a des atouts malgré son prix affiché à 205 €/m². C'est cher au regard de Nantes et Bordeaux (respectivement à 170 € et 175 €) Mais c'est « un pari », selon Stéphanie Renet. « Le marché dira si les entreprises viennent ou pas. » La Courrouze, pour comparaison, s'établit à 165 €/m². « Le choix avec EuroRennes se fait en fonction de plusieurs critères : si on veut être près de la gare ou du métro et de la rocade. » Il y aura le choix car 125.000 m² nouveaux y sont prévus. À Bordeaux, l'opération d'intérêt nationale Euratlantique prévoit la construction de 500.000 m² de bureaux, 150.000 m² de locaux d'activités, 45.000 m² de commerces, 1.200 à 1.500 chambres d'hotel... « Nous serons prêts en 2017, affirme André Delpont. 100.000 m² seront livrés, et nous avons déjà les noms des occupants pour 50.000 m². L'opération prendra logiquement 15 à 20 ans pour se déployer complètement. »

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