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Les PME bretonnes gardent le cap de l'international
Enquête Bretagne # Agriculture # International

Les PME bretonnes gardent le cap de l'international

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Quelque 3 800 entreprises bretonnes sont engagées à l'international. Malgré le Covid, les PME et ETI du territoire gardent intacte leur soif d'aventure. Et accélèrent. Le plan export et les réseaux experts accompagnent ce mouvement. Reste le défi de l'approvisionnement.

La soif d'international des entreprises bretonnes n'a pas été annihilée par le Covid. 3 800 d'entre elles importent ou exportent des marchandises — Photo : CCIMBO

Sébastien Duré, directeur général du groupe rennais Hoppen (600 collaborateurs, 21 M€ de CA en 2021), a retrouvé le chemin de l’aéroport. Fin janvier 2022, il s’envolait pour Dubaï pour participer à l’exposition Arab Health, grand rendez-vous international de soins de santé au Moyen-Orient. C’est un petit événement. Le cofondateur de cette société qui digitalise les établissements de santé, membre du French Tech 120 pour la seconde année consécutive, n’avait plus pris l’avion pour affaires depuis l’apparition du Covid. La période sanitaire chahutée que nous vivons n’a cependant pas empêché la PME - devenue ETI - de croître sensiblement, elle qui a réalisé trois croissances externes en France en l’espace de deux ans. Mais pour passer un nouveau cap, et viser la première place européenne sur son métier d’accompagnement des patients, le groupe technologique se remet en ordre de marche. Il vise un tiers de son chiffre d’affaires à l’export en 2025.

Dans le secteur industriel, le groupe Burel (280 salariés, 63 M€ de CA en 2021), fabricant de machines agricoles dédiées à la fertilisation et au semis basé à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), enfile aussi le bleu de chauffe. Cette ETI, qui commercialise ses produits à travers plus de 45 pays dans le monde, veut doubler ses ventes à l’international en 2025. Elle vise trois marchés stratégiques pour son développement : la Pologne, le Royaume-Uni et l’Allemagne. "Le Covid nous a aidés à comprendre l’importance d’avoir des personnes en local, au plus près des marchés", souligne Julien Paul, directeur export de Burel.

Julien Burel, président du groupe Burel. L’ETI bretillienne, spécialisée dans la fabrication de matériel agricole, annonce un carnet de commandes en hausse de 30 % fin 2021. L’international est son grand projet — Photo : Baptiste Coupin

Pour d’autres entreprises bretonnes, en revanche, le coronavirus a marqué un vrai stop. Entreprise de sous-traitance industrielle et navale, le brestois Navtis (350 salariés, 40 M€ de CA en 2019, CA 2021 : n.c.) a vu son activité à l’international s’arrêter brutalement. "Nous sommes tombés à zéro alors que cela représentait 30 % en 2019", expliquait Bruno Pivain, le président de Navtis, début janvier, à l’annonce du placement en redressement judiciaire des sites normands et brestois. Si les difficultés à l’international ne sont pas la raison principale du placement (il s’agit de l’arrêt d’un contrat d’un gros donneur d’ordres), la conjoncture n’a pas permis au groupe de compenser.

3 800 entreprises bretonnes engagées à l’international

Touchées, freinées ou pas atteintes du tout par la pandémie, les entreprises bretonnes connaissent toutes une situation qui leur est propre. "Il n’y a pas de témoignage de chef d’entreprise qui va donner LA vérité parce que chacun vit le Covid différemment, suivant le secteur d’activité sur lequel il se place", observe Lydie Kerneis, déléguée International pour la région Bretagne chez Bpifrance. La banque publique d’investissement qui finance et accompagne les entreprises dans leur développement externalise aussi les risques commerciaux et financiers de ses clients à l’export. Malgré la crise, le nombre de PME bretonnes qui exportent s’est stabilisé entre 2019 et 2020, selon la dernière enquête des "Entreprises bretonnes à l’international" (parution en juillet 2021). La publication, éditée par la CCI Bretagne et Bretagne Commerce International (BCI), s’appuie sur les chiffres des Douanes pour donner une photographie des forces économiques bretonnes engagées à l’international (qui importent et/ou exportent). Quelque 3 800 entreprises sur les 140 000 recensées en Bretagne entrent dans ce spectre. Le volume de celles qui exportent régulièrement est en constante augmentation : il est passé de 1 775 en 2015 à 2 061 en 2020. La dynamique est là et devrait se poursuivre. "Le rebond a bien eu lieu en 2021 et cela continue de fonctionner en 2022, opine Didier Sturlan, directeur général de BCI. Nos entreprises s’en sortent plutôt bien parce que nous en avons beaucoup dans le secteur agroalimentaire sur le territoire."

Le poids de la Bretagne à l’international faible, en apparence

Mais qu’on ne s’y trompe pas. La Bretagne demeure une petite région exportatrice. Elle ne pèse que 2,5 % des exportations nationales (contre 2,2 % pour les importations), se classant au 12e rang des régions françaises. "Ça n’est pas très glorieux", précise en "off" un spécialiste de l’internationalisation.

L’industrie agroalimentaire a évité à la Bretagne de présenter un bilan à l’export trop dégradé en 2020 — Photo : BS

Mais dans le flux d’échanges commerciaux, ne sont pas comptabilisés les biens immatériels. Or, selon Lydie Kerneis, "la part d’innovation" en Bretagne s’exporte bien. "Dans les biens immatériels, on regroupe l’ensemble des brevets d’invention, des marques, des licences ou des droits d’auteur, explique Jean-Louis Mouton, délégué régional Bretagne de l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle). Beaucoup d’entreprises se déploient sur d’autres territoires en étendant leurs titres de propriété intellectuelle. Pour des éditeurs de logiciels, ça peut être des droits d’auteur rattachés à une application logicielle ou un jeu vidéo. Ce type d’entreprises va pouvoir s’appuyer facilement sur des distributeurs mondiaux qui ont pignon sur rue, car leurs solutions sont dématérialisées." À noter par ailleurs que dans les statistiques du commerce extérieur, le département d’exportation qui est mentionné est celui d’où partent les marchandises, et non pas le département du siège social de l’entreprise qui exporte. Or, pour le transport maritime par exemple - qui représente 60 % du commerce européen - nombre de PME et ETI bretonnes choisissent des plateformes extra-régionales mieux adaptées à leurs besoins, comme Le Havre. La récente intégration du port de Brest au réseau transeuropéen de transport (RTE-T) pourrait donner plus de poids aux exportations bretonnes à l’avenir.

215 entreprises bretonnes bénéficiaires des chèques export

Dans cette période de crise, les entrepreneurs bretons ont pu se tourner vers les aides du plan export mis en place par le gouvernement (et abondées par le conseil régional de Bretagne, NDLR) pour garder le cap. Dans cette "boîte à outils" d’une enveloppe globale de 247 millions d’euros, on retrouve le chèque relance export, qui permet de bénéficier de prestations d’appui à l’export ; le chèque relance VIE, pour faciliter la création ou le renfort d’une équipe export ; ou encore l’assurance prospection, qui finance en partie les dépenses de prospection et assure les entreprises contre le risque d’échec à l’export. L’opérateur public Business France, qui administre toutes ces aides pour le compte de l’État, informe qu’à fin janvier, 215 entreprises bretonnes ont bénéficié de 351 chèques export (jusqu'à 4 cumulables, NDLR). Un dispositif dont peuvent encore se saisir les PME jusqu’à fin juin. "Nous avons liquidé nos chèques export en quatre mois", témoigne Laurent Dubourg, fondateur de Stirweld, à Bruz, près de Rennes. Sa PME de 16 salariés commercialise des machines de soudage par friction malaxage. "C’est une micro-niche. Il nous fallait partir à l’export pour croître. Au début du Covid, nous avons commencé notre démarchage international par la Pologne et la Turquie. Et là, sur deux ans, nous allons dupliquer sur 23 autres pays." La société a réalisé 1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2021, dont 20 % à l’export. Elle espère doubler ses revenus cette année et poursuivre son développement à l’international, vers les États-Unis notamment. Les montants prêtés aux entreprises bretonnes dans le cadre du plan export restent confidentiels. Le sujet est sensible car il mettrait trop l’accent sur un comparatif des régions. La typologie des bénéficiaires est en revanche connue. "Nous sommes sur des entreprises de petites tailles et sur des petits montants unitairement. C’est vraiment pour des dépenses exploratoires, pour des entreprises qui se lancent", informe Lydie Kerneis. Mais pas seulement. Le fabricant de cosmétique en marque blanche finistérien Technature (150 salariés, 20 M€ de CA en 2019), entreprise aguerrie à l’international, a profité des services de la Team France Export pour se lancer sur des marchés non encore adressés.

La digitalisation pour conquérir de nouveaux marchés

Pour continuer à travailler à l’international, Technature a aussi dû s’adapter. "Il y avait et il y a toujours des frontières fermées. Il y a aussi une quarantaine obligatoire de 28 jours pour entrer en Chine. On ne peut pas envoyer des salariés à l’étranger dans ces conditions", témoigne Pierre Morvan, le PDG. Technature a donc innové en 2021 en se lançant dans des vidéos en ligne avec un studio spécialement créé à cette occasion. Depuis, des salariés animent des pastilles de 5 à 10 minutes pour présenter leurs nouveaux produits. "Certains pays, comme ceux de l’Est ont bien accroché, note-t-il. Cela nous a permis d’occuper le terrain. Nous commençons à récolter les fruits de ce travail même si ce n’est pas encore mesurable."

Privé de salons internationaux, la PME finistérienne Technature a innové en 2021 en se lançant dans des vidéos en ligne avec un studio spécialement créé à cette occasion — Photo : Technature


La digitalisation. Voilà le virage qu’ont dû prendre les entreprises, obligées de trouver des parades pour faire face aux restrictions de circulation. C’est le cas aussi de Burel, qui a lancé en 2020 sa chaîne Youtube "Farming Together", pour valoriser le métier d’agriculteur et ses propres produits. Grâce ce canal "monde", l’entreprise a pu continuer à valoriser ses marques dans des zones où la prospection commerciale n’était plus possible. "Le Covid a transformé les méthodes, avec l’avènement fort du digital. Il fait gagner du temps !" juge Christian Queffelec, président de BCI. L’association bretonne, qui a accompagné 2 000 entreprises dans leurs démarches à l’international en 2021, appuie aussi sur le levier du digital. Pour aider à la visibilité de ses membres, elle dégaine un nouvel outil : Suppliers from Bretagne. Cette plateforme en anglais doit permettre aux Bretons qui veulent exporter de diffuser leur savoir-faire à l’international. Chaque entreprise peut y présenter ses produits, services et solutions. Le catalogue en ligne est visible des acheteurs étrangers basés dans une centaine de pays.

Mais le digital ne fait pas tout. Spécialiste des compléments alimentaires et diététiques pour animaux d’élevage, la TPE costarmoricaine Aquavial (2 associés, 2 M€ de CA en 2021), qui réalise 95 % de ses ventes à l’international, se dit très dépendante des salons internationaux, qui ont cruellement fait défaut ces derniers mois. "On y expose et on met nos produits en avant, bien sûr. Mais on prend toujours une journée pour faire le tour des exposants, voir qui fait quoi et leur proposer des compléments de gamme, raconte Julien Massé, l’un des deux fondateurs. Pour compenser cette absence de rencontres et de contacts humains, les visios n’ont pas suffi. L’aspect informel de la relation humaine reste essentiel."

Le défi de l’approvisionnement

Deux ans après un "tsunami" nommé Covid venu de Chine, les entrepreneurs bretons ont donc trouvé matière à s’adapter et s’entourent d’experts comme le club Stratexio en Bretagne, nouvellement ouvert en Finistère, pour structurer leurs démarches de conquête. La volonté est même d’accélérer. À condition de pouvoir fournir… Julien Burel, président de Burel, en témoigne : "Le marché est plutôt dynamique. On sait qu’on peut aller encore plus loin. Mais la grosse difficulté aujourd’hui, ce sont les approvisionnements. Malgré un carnet de commandes record à l’international, nous sommes en retard de chiffre d’affaires parce qu’il a fallu réduire les horaires sur le dernier trimestre 2021 et prendre des RTT parce que nous n'avions pas les approvisionnements." L’augmentation des coûts du transport rebat aussi les cartes. "Les containers sont trois à quatre fois plus chers qu’il y a deux ans, remarque Christian Queffelec. Les difficultés sont variables également selon les pays : le Japon, qui était dans le top 10 des pays avec lesquels commercer va sortir car c’est impossible ou presque de commercer avec ce pays."

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