Ille-et-Vilaine
Guillaume de Feydeau (ex-JB Martin) : « Le Covid-19 accentue les difficultés des entreprises »
Interview Ille-et-Vilaine # Habillement # Conjoncture

Guillaume de Feydeau (ex-JB Martin) : « Le Covid-19 accentue les difficultés des entreprises »

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Après plusieurs années difficiles, l’entreprise de fabrication et de distribution de chaussures JB Martin (125 salariés), née à Fougères, en Ille-et-Vilaine, a été mise en liquidation judiciaire. À son apogée, dans les années 1970, 1 200 collaborateurs travaillaient pour ce fleuron industriel. Nous avons interrogé Guillaume de Feydeau, président du directoire de JB Martin pendant cinq mois entre 2017 et 2018, pour comprendre les raisons de sa chute. L’ancien dirigeant est aujourd’hui à la tête de Office Depot France. Selon lui, le coronavirus pourrait avoir aggravé les difficultés du chausseur breton.

Guillaume de Feydeau, ancien président du directoire du chausseur JB Martin récemment liquidé, estime que le coronavirus pourrait avoir aggravé les difficultés de l'entreprise — Photo : © Mohamed Kalhil

Le Journal des Entreprises : Lorsque vous rejoignez JB Martin, en octobre 2017, dans quel état se trouve le chausseur fougerais ?

Guillaume de Feydeau : A l'époque, la situation n’était pas bonne, l’entreprise était déjà en redressement judiciaire. Peu de temps après mon arrivée, j’avais une audience au tribunal de commerce de Paris pour évoquer une éventuelle liquidation de la société. Je suis arrivé dans un contexte très très dur. L’entreprise était à l’arrêt depuis des mois. On venait de perdre la licence avec Kenzo. Une entreprise qui ne va pas bien, c’est une entreprise qui s’est perdue au fil du temps, qui perd de l’argent et qui ne sait plus où elle va...

La mission qui vous est alors assignée par l’actionnaire, le fonds Alter Finance, et son dirigeant, Francis Lagarde, est de redresser la barre. Vous savez faire, vous qui avez remis la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM) sur la quille par le passé. Quel est votre plan de bataille alors pour relancer l’entreprise bretonne ?

Guillaume de Feydeau : Quand je suis arrivé, JB Martin était une marque connue, emblématique de la femme élégante. Elle avait un peu vieilli mais elle restait très belle, avec un beau savoir-faire et un beau positionnement. Mon idée c'était de rajeunir la marque, mais pas trop, avec comme cible idéale la femme dans la trentaine / quarantaine qui veut s’habiller de façon chic et confortable et à un prix abordable. J’ai établi un plan stratégique, le plan « JB Martin 2021 » (année ou l’entreprise aurait dû fêter ses cent ans, NDLR), qui était de se recentrer majoritairement sur JB Martin et d'abandonner les autres marques. On a sorti une collection très vite, puis une deuxième. J'ai travaillé sur la stabilisation sociale, en disant "Je ne viens pas là pour liquider la boîte mais pour la relancer. On a un plan, on a des idées". On a rassuré les salariés et relancé l'activité. J’ai très sensiblement diminué les stocks d’usine. Comme cela, j’ai pu récupérer du cash. J’ai rassuré les grandes enseignes (Le Printemps, Les Galeries Lafayette...) et les grands distributeurs. Il y avait eu des problèmes de production par le passé qui faisaient que, un coup ils avaient la production, et que le coup d’après ils ne l’avaient pas. Il y avait des impayés. Parallèlement, j’ai travaillé sur un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), qui portait sur le départ de 80 personnes (sur 250 à l’époque). Ça s’est fait de façon sereine, avec un bon dialogue social avec les syndicats (ce que démentent les intéressés, NDLR).

« Quand j’ai démissionné de mon poste, l’entreprise était solide. »

Finalement, vous démissionnez quelques mois seulement après votre arrivée. Pourquoi ?

Guillaume de Feydeau : Quand j’ai démissionné de mon poste, l’entreprise était solide. Les finances étaient saines, l’activité à l’équilibre et le carnet de commandes plein pour les mois à venir. On était en plein appel d’offres pour équiper le ministère des Armées. C’était positif. Pour moi, ma mission était achevée…

Photo : © JB Martin

Ces trois dernières années, JB Martin a connu cinq présidents différents. Dans un courrier, les syndicats laissent entendre que l’actionnaire a fait les mauvais choix stratégiques et n’a pas fait confiance aux directeurs en place. Partagez-vous ce constat ?

Guillaume de Feydeau : Quand vous êtes président du directoire pour un actionnaire unique comme je l’étais chez JB Martin, il y a un conseil de surveillance unique. Le positionnement de l’actionnaire est complexe, particulièrement en période de crise. L’équilibre entre les responsabilités et l’intervention de chacun peut être difficile à trouver. J’ai démissionné parce que le travail était fait. Je n’ai pas de griefs particuliers contre l’actionnaire.

Comment expliquez-vous que, deux ans et demi après votre départ, JB Martin se retrouve aujourd’hui en liquidation ?

Guillaume de Feydeau : C’est difficile de vous répondre, n’ayant pas été à la direction ces derniers mois. Le marché de la chaussure est un marché difficile, notamment pour les femmes. Il y a un phénomène de mode qui est très prégnant. Ce n’est pas un métier garanti. Deuxièmement, je pense qu’il faut une stratégie d’expansion claire. Si vous ne faites que réduire les coûts et adapter des coûts au chiffre d’affaires, sans sortir de collections qui plaisent, ça ne marche pas. Et après, je crois qu’il faut être humble. Le Covid-19 accentue les difficultés d’un certain nombre d’entreprises et celles qui sont un peu faibles ou qui ont des difficultés sont le plus englouties par la vague systémique...

« Les entreprises de l’habillement ont de faibles marges. Quand vous ratez deux collections, incontestablement, cela devient très problématique... »

Le coronavirus pourrait donc avoir sonné le glas de JB Martin ?

Guillaume de Feydeau : Oui, quand vous vous retrouvez pendant deux mois avec des stocks sur les bras, vous vous retrouvez avec un triple problème. Premièrement, vous avez votre collection hiver qui ne se vend pas, parce que ça s’arrête. Deuxièmement, vous n’avez plus de rentrées, mais des salaires à payer et des charges qui continuent de courir. Troisièmement, vous devez vous pencher sur la nouvelle collection été sans cash. C’est un cauchemar. Les entreprises de l’habillement ont de faibles marges. Quand vous ratez deux collections, incontestablement, cela devient très problématique...

Comme beaucoup d’entreprises de l’habillement, JB Martin a fait le choix de délocaliser sa production en 2009 en misant sur les coûts bas en Asie. Dans le cas présent, la mondialisation a eu un effet boomerang...

Guillaume de Feydeau : Oui, le low-cost a ses vertus mais a également des désavantages. Le consommateur est plutôt satisfait d’avoir des petits prix, la preuve, il achète. Mais la limite de ce modèle c’est qu’il faut fabriquer en grande quantité pour avoir une cohérence avec les prix bas. Mais dès que le modèle se grippe, ça bloque. Et celui qui trinque, c’est le distributeur. La proximité de fabrication, elle est bien plus chère en France mais elle permet de la flexibilité et donc de faire vivre le produit de façon beaucoup plus agile. Moi je ne pense pas qu’on passera d’un modèle à un autre parce qu’il y a le phénomène de consommation de masse est notre modèle. À l’inverse, cela pourrait se faire sous forme de test, avec un État qui encouragerait le « made in France » de qualité, en mettant en place pourquoi pas des exonérations de charges. Il y a une réflexion à avoir...

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