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Comité Région Industrie Bretagne : "Les entreprises demandent un tarif réglementé d'électricité d'urgence"
Interview Bretagne # Industrie # Conjoncture

Jacques Pidoux président de BCF Life Sciences et chef de file du Comité Région Industrie Bretagne "Les entreprises demandent un tarif réglementé d'électricité d'urgence"

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La facture énergétique flambe en cette rentrée 2022, et les industriels bretons prennent de plein fouet cette inflation. Jacques Pidoux, président de la société chimique morbihannaise BCF Life Sciences et chef de file du Comité Région Industrie Bretagne* (Crib), réclame un tarif réglementé d'électricité d’urgence. Il engage aussi les entreprises à avancer plus vite sur les sujets de transition et de sobriété énergétique.

Jacques Pidoux, président de BCF Life Sciences et chef de file du Comité Région Industrie Bretagne (Crib) aux côtés de Thierry Troesch — Photo : Gabriel GORGI

Comment les entreprises industrielles bretonnes sont-elles affectées par la hausse des prix de l’énergie en cette rentrée 2022 ?

Nous vivons une situation très irrationnelle. La hausse des prix de l'électricité et du gaz est très significative. Personne n’avait prévu la violence de cette crise énergétique. La problématique de l’augmentation des prix, nous l’avons vu venir dès début 2022, avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais elle s’est fortement dégradée. Or, beaucoup d’industriels bretons ne se sont pas forcément couverts sur leurs besoins. La situation est très critique pour tous ceux qui achètent au prix Spot (au jour le jour, NDLR) sur les marchés. C’est vrai pour les grands groupes mais c’est encore plus vrai pour les TPE/PME qui sont moins armées pour gérer le sujet des prix de l’énergie. Tous les industriels sont concernés par cette crise, quels que soient leur taille et leur secteur : métallurgie, agroalimentaire, plasturgie, chimie, bois, carrières et matériaux… Ce qui est compliqué, c’est de déterminer les prix futurs. Personne n’est capable de prédire ce que sera l’évolution des prix de l’électricité et du gaz dans les semaines à venir. Ce qui est certain, c’est que le monde a changé et que les industriels doivent intégrer dans leurs stratégies, leurs plans d’action et leurs comptes d’exploitation le fait que l’énergie coûtera désormais beaucoup plus cher.

Quelles sont les conséquences pour la santé économique des industriels bretons pour les mois à venir ?

Au sein du Comité Région Industrie Bretagne, chacune des branches nous remonte des cas d’entreprises confrontées à des augmentations très fortes ces dernières semaines. C’est d’autant plus vrai pour les industries fortement consommatrices d’énergie comme les fonderies ou l'agroalimentaire. Cette situation, si elle perdurait, pourrait les contraindre à des ralentissements de production cet hiver, voire à la fermeture de lignes de production avec la mise en chômage partiel de leurs salariés. Des défaillances d’entreprises ne sont pas à exclure non plus. Le premier impact, c’est la dégradation des marges des entreprises qui risque d’entamer leur compétitivité face à leurs concurrents mondiaux. Il y a aussi des conséquences sur les politiques d’investissements des industriels. Des investissements seront annulés ou différés dans les mois qui viennent.

"L'enjeu c'est d'accéder à un tarif réglementé d'urgence"

Emmanuel Macron va réunir le 2 septembre un conseil de défense consacré à l’énergie. Qu’attendez-vous de l’État comme aides pour amoindrir les impacts pour les TPE/PME ?

L’objectif des industriels n’est pas de courir après les subventions mais de performer à travers leurs comptes d’exploitation, c’est-à-dire par l’activité de leurs entreprises. L’enjeu est d’accéder à un tarif réglementé d’urgence, c’est-à-dire à un prix de l’électricité qui soit suffisamment compétitif. Il y a un front uni des entreprises sur ce sujet-là. Fin 2021, le gouvernement a pris des mesures pour les entreprises en augmentant le volume d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) (un mécanisme qui contraint EDF à céder une partie de sa production à bas prix à ses concurrents, NDLR). Mais avec la flambée des prix, il est urgent de remettre en place cette mesure. Par ailleurs, les TPE/PME, qui sont peu consommatrices en énergie, ne sont généralement pas éligibles à d’autres dispositifs davantage adaptés aux grands groupes. Il faudrait sans doute avoir des mesures plus opérantes.

"Les industriels ont une responsabilité sur la baisse de consommation d’énergie"

La question de la sobriété énergétique est prégnante en cette rentrée. Comment les industriels bretons avancent-ils sur ce sujet et qu’avez-vous vous-même entrepris chez BCF Life Sciences ?

Nous sommes des industriels responsables. La plupart des dirigeants d’entreprise veulent intégrer dans leurs plans d’action des programmes d’économie d’énergie et de moindre impact environnemental. Les industriels ont une responsabilité sur la baisse de consommation d’énergie, en allant plus vite et plus loin sur la décarbonation et la diversification des sources. Au moment où l’État parle de sobriété et de période d’effacement, il y a un principe de solidarité qui doit prévaloir à condition qu’il y ait une concertation préalable avec les industriels. Soutenu par la Région et l’État, le programme Breizh Fab, dédié à la transformation des PME industrielles en Bretagne, a accompagné 400 PME bretonnes ces quatre dernières années sur différentes actions autour notamment des enjeux de sobriété énergétique.

Pour ce qui est de BCF Life Sciences, après un diagnostic énergie effectué début 2022, nous travaillons actuellement au remplacement d’équipements moins énergivores et à l’évolution de notre process de production. Nous nous sommes fixés pour 2023 une baisse de notre consommation de gaz de l’ordre de 10 %.

Comment votre entreprise BCF Life Sciences (200 salariés, 50 M€ de CA) est-elle touchée par la hausse des prix de l'énergie ?

BCF Life Sciences extrait, par un procédé d'hydrolyse, de la kératine, une protéine contenue dans les plumes de volailles. Nous en obtenons des acides aminés purifiés qui vont servir pour des applications pharmaceutiques, compléments alimentaires, nutrition infantile… Notre procédé nous met de facto sur des niveaux de consommation d'énergie élevés. Nous avons une consommation annuelle de gaz de l'ordre de 80 gigawatts, nécessaire au fonctionnement de nos appareils de production. La hausse des prix a généré, à date (au 31 août, NDLR), une dégradation de notre marge brute industrielle de l'ordre de 8 à 10 %. Nous n'avons pas eu d'autre choix que de répercuter cette hausse dans nos prix de vente. Dans le même temps, nous avons adopté une politique tarifaire prudente de nos produits, avec des prix qui ne sont plus appliqués sur l'année mais sur le trimestre. C'est d'ailleurs de plus en plus le cas chez les industriels.


* Le Comité Région Industrie Bretagne (Crib) regroupe les organisations patronales industrielles de la métallurgie (UIMM Bretagne), de l’agroalimentaire (ABEA), de la plasturgie (POLYVIA), de la chimie (France Chimie Ouest Atlantique), des carrières et matériaux (Unicem Bretagne), du bois (Fibois Bretagne) ainsi que le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) de Bretagne. Il rassemble quelque 13 000 entreprises et établissements industriels bretons et emploie plus de 200 000 salariés.

Bretagne # Industrie # Banque # Production et distribution d'énergie # Conjoncture # Réseaux d'accompagnement