Rennes
Christian Queffélec : « Un entrepreneur doit avoir conscience de ses propres limites »
Rennes # Télécoms # Fusion-acquisition

Christian Queffélec : « Un entrepreneur doit avoir conscience de ses propres limites »

S'abonner

Christian Queffélec, cofondateur et ancien PDG d'Astellia, spécialiste de l’analyse de performance des réseaux téléphoniques (400 salariés, 50 M€ de CA), revient sur le rachat de la pépite rennaise par le groupe canadien Exfo (2 000 salariés, 200 M€ de CA). S’il a tiré un trait sur cette grande aventure entrepreneuriale, le jeune retraité reste néanmoins très actif pour aider au développement économique du territoire, notamment dans son secteur de prédilection : le numérique et les nouvelles technologies.

Christian Queffelec a quitté Saint-Jacques-de-la-Lande et le siège d'Astellia, revendue à Exfo, pour d'autres bureaux comme ceux du Poool au Mabilay, à Rennes — Photo : Pierre Gicquel

Le Journal des Entreprises : Vous venez de passer définitivement les rênes d’Astellia, l'entreprise que vous avez cofondée et présidée, à Germain Lamonde, PDG de la société canadienne Exfo. Pouvez-vous revenir sur les raisons de ce rachat ? Avez-vous définitivement tourné la page ?

Christian Queffélec : Mon départ en retraite est complètement lié à l’histoire d’Astellia. Je m’explique : il fallait trouver une solution pour offrir à Astellia un bel avenir. Cette question, nous avions commencé à l’aborder trois ans avant le rachat par Exfo. L’embauche d’Abdelkrim Benamar au poste de directeur général m’a donné de la place pour prendre du recul. Je me suis demandé si j’avais les compétences soit pour emmener Astellia un étage au-dessus, soit pour trouver comment faire pour garder le contrôle sur son avenir, étant sollicités par d’autres acteurs mondiaux, et éviter une délocalisation en Inde…

J’ai examiné plusieurs pistes possibles. Astellia étant coté en bourse, cela offrait des solutions et des problèmes. Seuls les fonds anglo-saxons étaient financièrement capables, mais ils sont effrayés par une activité au Moyen-Orient ou en Afrique. Exfo est alors arrivé. C’était pour moi le bon moment de partir. Partir vraiment, car j’aurais trop vécu la transition avec mes tripes. Pire, j’aurais été un obstacle à la mise en place du nouveau projet, car mes collaborateurs se seraient certainement tournés vers moi, plutôt que vers les nouveaux dirigeants.

Et maintenant ? Est-ce que l’on s’arrête vraiment lorsque l’on est entrepreneur ?

C. Q. : Sincèrement, je pense que personne n’est irremplaçable. J’ai été chef d’entreprise durant 35 ans. J’ai vécu des choses extraordinaires, rencontré des cultures dans le monde entier, travaillé avec des personnes de différentes générations... Mais on ne dort pas toujours bien. On se fait peur aussi, comme en 2014, où nous avons vécu la perte d’un gros marché en Asie. Comme j’ai pris le temps de me préparer, je n’ai pas ressenti ce fameux vide de l'ex-PDG. J’ai pris un mois de vacances très loin de la France, et voilà !

« En tant que chef d'entreprise, j’ai vécu des choses extraordinaires... Mais on ne dort pas toujours bien. On se fait peur aussi. »

Quant à l’avenir, j’ai déjà un emploi du temps bien chargé, en apportant bénévolement ma connaissance du territoire aux créateurs d’entreprises. Je suis administrateur de la Rennes School of Business, membre du conseil de Bretagne Commerce International... J’étais administrateur de Rennes Atalante et j’ai une nouvelle casquette : celle de trésorier du Poool, avec en ce moment une fusion à gérer ! (Rennes Atalante et La French Tech Rennes-St Malo ont fusionné pour donner naissance au Poool, NDLR). Je suis aussi membre du conseil d’administration de Kerlink (spécialiste rennais des solutions réseaux pour l’Internet des objets, NDLR). J’apporte des conseils sur demande à William Gouesbet, son dirigeant.

J’ai toujours été et je reste très attaché au développement économique de notre territoire, c’est-à-dire de la Bretagne, étant originaire de Poullaouen, en Finistère.

Et en tant qu’investisseur, avez-vous des projets ?

C. Q. : J’ai participé à quelques opérations sur Gwenneg (plateforme de crowdfunding bretonne pour les entreprises, NDLR) qui apporte quelque chose de très intéressant à notre territoire par du prêt obligataire. Mais pour être clair, je détenais 5 % du capital d’Astellia, je ne vais donc pas racheter une entreprise !

En parlant de territoire, votre ville d’adoption, Rennes, est dans une belle dynamique économique. A-t-elle selon vous une réelle carte à jouer dans les années à venir ?

C. Q. : Si l’on veut se comparer à la Sillicon Valley, on n’aura jamais ce qu’il faut. Si Klaxoon a par exemple ouvert une antenne commerciale à Lyon et pas à Rennes, c’est qu’il manque encore quelque chose. Mais on a des atouts, et le succès de Klaxoon en est aussi le témoin. On ne sera jamais Paris, ni Lyon, certes, mais la création d’emplois est une chose, ramener de la richesse ici en est une autre. Astellia réalise 80 % de son activité à l’international mais la richesse est ici, j’en sais donc quelque chose.

« La création d’emplois est une chose, ramener de la richesse ici en est une autre. »

Et puis Rennes est un vivier incroyable en compétences techniques et "deep tech", et ce depuis longtemps. Certes, les exemples de gros développement d’entreprises sont rares à Rennes, mais est-ce qu’il y en a dans les autres villes de France ? Le frein majeur est en fait structurel. Il s’agit du frein au passage d’un modèle BtoC à un modèle BtoB.

Autre territoire auquel vous êtes attaché : le Finistère. L’écart se creuse entre Est et Ouest bretons. Cela vous inquiète-t-il ?

C. Q. : Je n’ai jamais vu le Finistère comme un département défavorisé. J’ai toujours été impressionné par la capacité d’entreprendre des Finistériens. Je pense à Jacques Verlingue qui a su construire un grand groupe depuis Quimper (le groupe d'assurance Adelaïde, NDLR). Ce n’est pas parce que Rennes va bien que Brest va mal. Il y a bien quelques disputes de temps en temps, mais je retiens surtout que nous savons travailler ensemble quand il le faut.

Germain Lamonde (à gauche), président du québécois Exfo, en compagnie de Christian Queffélec, cofondateur du rennais Astellia — Photo : Pierre Gicquel

On parle beaucoup des start-up. De par votre rôle actif au sein du Poool, que pensez-vous de ce phénomène ?

C. Q. : Il faut toujours se méfier quand on vous dit qu’un arbre va toucher le ciel ! Je partage l’avis que l’on en fait beaucoup autour de la « start-up nation », mais il faut vivre avec le monde dans lequel on vit. Regardez en Chine, aux Etats-Unis : eux ont bien compris qu’il ne fallait pas rater ce virage.

Les start-up doivent aller vite, sinon elles n’ont aucune chance de succès. Nous nous devons donc de les accompagner pour trouver un business modèle stable. Il faut en revanche faire très attention au comportement moutonnier, notamment chez les investisseurs. À force de mettre des juniors sur des dossiers portés par de petites entreprises, on joue trop petit. Autre exemple, celui de l’Internet des objets (IoT), où l’on a vu trop grand, trop vite. Avec des levées et des attentes trop fortes.

Parmi les start-up bretilliennes, laquelle auriez-vous aimé créer ?

C. Q. : Je pourrais en citer plusieurs mais je dirais CAILabs. Car ce projet vient de loin, pas de la niche rennaise, mais a pourtant choisi de grandir ici. Et parce que Jean-François Morizur, qui est un chercheur et le fondateur de CAILabs, est aussi quelqu’un qui a conscience de l’importance de faire du business, de nouer des partenariats à l’international, au Japon notamment. C’est une entreprise à suivre. Mais j’aurais aussi pu citer aussi BBright, Broadpeak…

Avec le recul, quel conseil donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs ? Y a-t-il par exemple des choses que vous auriez faites différemment ?

C. Q. : Une clé de la réussite est qu’il faut avoir conscience de ses propres limites. Si j’ai un regret dans mon parcours, c’est d’avoir parfois mal recruté ou de ne pas avoir pris des personnes plus fortes que moi dans un domaine et dont j’avais pourtant besoin.

À l’heure de la levée de fonds, vous aviez opté pour une entrée en bourse pour Astellia. Comme cela a compliqué son rachat, était-ce le bon choix ?

C. Q. : Cela permet de lever beaucoup de fonds mais peut être un boulet, en effet. Le cours de l’action peut baisser pour des raisons qui ne sont pas objectives. Je l’ai vécu et cela a gêné le développement de l’entreprise justement à un moment où elle avait besoin de liquidités pour des acquisitions externes. Il faut donc bien qualifier la banque d’affaires qui va conduire cette entrée en Bourse. Si elle vous survalorise, vous vous planterez.

Et pour ceux qui souhaitent agir à l’international, un conseil ?

C. Q. : Si l’on va où tout le monde va, ça ne paie pas. Le Proche-Orient est une région qui vaut vraiment la peine d’être explorée, à condition de travailler avec des acteurs sur place. Il est plus simple d’y réaliser et de tester son offre, plutôt que d’aller vers les Etats-Unis, un marché avec des conditions de réussite compliquées. Regardez d’abord en Europe, vers le Proche-Orient et l’Afrique, où l’on trouve de gros consommateurs de technologies et des compétences.

Rennes # Télécoms # Fusion-acquisition