Transmission : dans les coulisses des entreprises familiales nordistes

Transmission : dans les coulisses des entreprises familiales nordistes

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Entre passation de la gouvernance et du capital, départ du dirigeant en place, compétences et légitimité des nouvelles générations, ou pression face à l'héritage familial... La transmission d'une entreprise familiale est loin d'être un long fleuve tranquille.

— Photo : Decima

Quel salarié imaginerait son dirigeant en pleine partie de cache-cache ou lancé dans une course de chariots élévateurs ? C’est pourtant une des particularités des Hauts-de-France : avant de prendre les rênes de l’entreprise, nombre de dirigeants l’ont parcourue en culottes courtes. Si on ne présente plus des dynasties comme celles des Mulliez ou des Bonduelle, le phénomène touche aussi bon nombre d’ETI et de PME régionales. Connues pour être particulièrement résistantes aux crises, ces entreprises familiales connaissent toutefois une phase critique : celle de la transmission à la génération suivante. Le Journal des entreprises vous propose d’entrer dans les coulisses de quelques PME et ETI régionales passées par cette phase.

La reprise est-elle une évidence ?

Un baromètre sur « Les entreprises familiales et la transmission », publié en janvier par Deloitte, met en avant que pour 76 % des dirigeants interrogés, un membre de la famille est le repreneur idéal. Mais est-ce une évidence pour les générations suivantes ? « Inconsciemment, oui, je l’ai toujours su », confirme Mathieu Duyck, qui finalisera en janvier 2018 la reprise de la brasserie Duyck (CA : 16 M€, 47 salariés), productrice de la bière Jenlain. Après deux expériences chez KPMG et Alice Délice, il a intégré la brasserie familiale en tant que directeur général. Et il est difficile de faire plus évident : « Je pars de chez moi le matin pour arriver chez moi, dans l’entreprise ». Le constat est le même pour Jérémy Cousin, qui a repris avec son frère l’entreprise CIV (maintenance informatique et hébergement, CA : 6 M€, 22 salariés), basée à Sainghain-en-Mélantois et créée par leur père. « J’ai toujours su que je voulais reprendre l’entreprise. Pour mon frère et moi, c’était un peu notre grande sœur : mon père a œuvré à sa construction comme à l’éducation de ses enfants. »

L’inévitable question des compétences

Mais un nom de famille suffit-il à légitimer ? « Je dois reconnaître que cela m’a simplifié la tâche au niveau des partenaires », affirme Véronique Hiolle, dirigeante du groupe Hiolle Industries (service à l’industrie, CA : 74,4 M€, 750 salariés) à Valenciennes. « Quand j’ai repris la présidence du directoire en 2010, le nom Hiolle était déjà reconnu. Ça m’a ouvert des portes ».

Pour autant, le nom ne justifie pas tout et notamment les compétences. Bien qu’entré dans la brasserie familiale en tant que directeur général, Mathieu Duyck explique avoir dû reprendre des cours de physique-chimie « pour apprendre ce qu’était le brassage. Je suis aussi passé par tous les services de l’entreprise ». Jérôme Décima, repreneur de l’entreprise Décima (électricité et réseaux d’information, CA : 27 M€, 172 salariés) à Arras, affiche un parcours similaire : « J’ai repris des études pendant deux ans, le soir, pour obtenir l’équivalent d’un diplôme d’ingénieur informaticien ». Devant la diversité des compétences du groupe Hiolle en mécanique, chaudronnerie, électricité, etc., Véronique Hiolle a quant à elle choisi une stratégie différente : s’entourer de cadres dirigeants, compétents dans ces différents domaines.

De la difficulté de trouver sa place

« Je représente la 5e génération à la tête de l’entreprise, nous avons l’habitude des transmissions : nous nous servons des expériences précédentes », se félicite Mathieu Duyck. Si pour certains, la transmission relève presque de la routine, ce n’est pas le cas de toutes les entreprises familiales. Selon le baromètre de Deloitte, la majorité des dirigeants en place (59%), ne disposent d’ailleurs pas d’un plan de succession. Et surtout, ces derniers ne sont pas forcément prêts à céder la place. Jérémy Cousin en a fait l’expérience : « Mon frère et moi voulions transformer le modèle en allant vers les data centers et l’entreprise libérée. Ce n’était pas la position de notre père, qui avait mis en place un modèle ayant fonctionné durant des années. Pour satisfaire tout le monde, nous sommes passés d’une SAS à une SA avec un conseil de surveillance présidé par mon père. Ce conseil des sages comporte notamment un ancien avocat d’affaires et un expert-comptable qui travaillaient avec mon père. Nous leur rendons un rapport tous les 3 mois. Je trouve que c’est un parfait accord entre un repreneur qui veut mettre sa patte et un cédant qui ne veut pas lâcher les rênes tout de suite ».

Stress

Pour Véronique Hiolle, la reprise n’a pas été évidente non plus. Présente dans l’entreprise depuis ses 15 ans, à travers des stages en expertise-comptable, jusqu’à en devenir la directrice financière, ce n’est pourtant pas elle qui succède directement à son père : « Il est parti en retraite en 2007 et jusqu’en 2010, il y a eu un président du directoire intermédiaire, qui avait un profil d’ingénieur. Mon père pensait que c’était mieux car l’entreprise est un groupe industriel dans lequel la technique prévaut historiquement sur la gestion. Quand la crise de 2009 est arrivée, j’ai proposé un plan de redressement et c’est à ce moment que j’ai été nommée présidente du directoire, pour mes 40 ans ». Et même une fois ces étapes passées, rien n’est simple : « Je me mets la pression pour être à la hauteur car cette entreprise, c’est la création de mon père, son bébé. J’aurais moins de stress à gérer une entreprise non familiale ». Jérôme Décima renchérit : « C’est vrai qu’il y a plus de pression. D’autant qu’on est souvent comparé au dirigeant précédent… »