Pas-de-Calais
Pierre Duponchel (Le Relais) : « Nous pouvons encore créer 800 à 1 000 emplois en France »
Interview Pas-de-Calais # Textile # Ressources humaines

Pierre Duponchel président fondateur du Relais Pierre Duponchel (Le Relais) : « Nous pouvons encore créer 800 à 1 000 emplois en France »

S'abonner

Fondé en 1984 dans le Pas-de-Calais, sous l’impulsion de la communauté Emmaüs, le réseau d'entreprises d'insertion Le Relais est une réussite socio-économique. La Scop affiche aujourd'hui un chiffre d’affaires global de 110 M€ et emploie 3 200 salariés, dont un millier en Afrique. Si son président-fondateur Pierre Duponchel mise sur la diversification, il veut aussi poursuivre le développement de son activité phare, le tri textile.

Pierre Duponchel a fondé Le Relais en 1984, en lien avec la communauté Emmaüs, pour créer un réseau d'entreprises d'insertion notamment spécialisées dans le tri textile — Photo : Dominique Bokalo

Le Journal des Entreprises : Le Relais vient de lever 550 000 € en crowdfunding pour produire des voitures en Afrique. Pourquoi vous lancez-vous dans une activité aussi éloignée du tri textile ?

Pierre Duponchel : En 2008, nous sommes partis à la recherche d’un site à Madagascar, pour y implanter un centre de tri textile. Nous avons fini par acheter une ancienne usine d’assemblage de véhicules de marque malgache. À l’intérieur, il restait quelques pièces détachées, que je voulais revendre. Mais Luc Ronssin, le responsable du Relais Madagascar, est passionné de mécanique et a souhaité relancer la production. C’était un sacré défi à relever !

Aujourd’hui nous produisons là-bas deux véhicules par mois. La levée de fonds nous permet de financer cette production : 80 % du prix de revient d’une voiture est constitué par la matière première, qu’on importe. Au départ, nous voulions lever 700 000 €. Nous avons finalement obtenu 550 000 €, sous forme de prêts, ce qui est suffisant pour mener à bien ce projet.

À quel prix ces voitures sont-elles vendues et auprès de qui ?

P. D. : Elle est vendue entre 19 000 et 23 000 €. C’est un prix qui reste élevé, mais moins que pour une voiture importée, en raison des taxes. Nous visons surtout des entreprises comme Orange. Ces voitures présentent l’avantage d’être bien adaptées à la typologie du territoire. Nous avons produit au total 16 véhicules. Notre objectif est de passer ensuite à huit voitures par mois, puis à douze.

N’avez-vous pas un peu hésité, face à cette diversification et au grand écart qu’elle représente par rapport à votre activité principale ?

P. D. : Ce n’est pas la première fois que Le Relais se lance dans d’autres activités. Si le tri textile représente 70 à 80 % de notre chiffre d’affaires, qui s’élève à 110 M€, nous avons bien d’autres métiers, notamment en Afrique. Là-bas, nous intervenons dans la filière riz, la filière apiculture, la collecte d’ordures, la gestion d’hôtels, etc. En France, nous avons aussi une fabrique de peinture, un bureau d’études dans le logement social, une activité de travail temporaire d’insertion, etc.

« Nous sommes à l’écoute des opportunités, tant qu’elles permettent de répondre à l’objectif premier du Relais, qui est de créer des emplois. »

Nous sommes à l’écoute des opportunités, tant qu’elles permettent de répondre à l’objectif premier de l’entreprise, qui est de créer des emplois. Après, c’est une question d’opportunités et de rencontres. Avec la production de voitures, nous avons créé près de 80 postes. Nous comptons aujourd’hui 3 200 salariés, dont 1 000 environ en Afrique.

Vous continuez donc à créer régulièrement de l’emploi ?

P. D. : Depuis un ou deux ans, Le Relais affiche une stagnation de ses effectifs. Nous sommes plutôt dans une période de consolidation, qui fait suite à d’importants investissements réalisés il y a environ cinq ans. Nous avons déployé de nouveaux conteneurs de collectes, partout en France, et créé cinq centres de tri de vêtements supplémentaires. Cela porte notre parc à près de 20 000 conteneurs de collecte et 32 centres de tri. Mais il y a encore du potentiel : nous pouvons encore créer 800 à 1 000 emplois d’ici cinq à dix ans dans cette filière tri textile en France, qui est loin d’être saturée.

Que représente aujourd’hui votre activité textile ?

P. D. : Nous collectons 120 000 tonnes de vêtements par an et nous avons une capacité de tri de 90 000 tonnes. Les vêtements triés sont vendus en France dans nos friperies Ding Fring, exportés vers l’Afrique, ou encore revalorisés dans notre isolant, le Métisse, qui représente 20 emplois et 3 à 4 % de notre chiffre d’affaires. Cette dernière activité commence à trouver son équilibre et présente un potentiel de développement, mais nous avons encore du mal à faire connaître le produit.

Quel est le potentiel de développement sur la filière textile ?

P. D. : Nous pouvons créer 7 à 10 centres de tri supplémentaires en France, sachant qu’un centre représente un investissement d’1,5 M€, hors bâtiment, et nécessite 1 M€ de fonds de roulement pour un démarrage serein. Nous avons aussi identifié trois projets d’extension sur des centres existants.

« Le coût de la tonne de vêtements triée est de 90 € contre 120 € pour la tonne mise en décharge, sans compter les emplois en moins… »

Ma volonté est d’aller au bout du développement de la filière tri textile en France. Mais pour cela, il faut du financement. Cette filière n’est pas capable de s’autofinancer : les volumes de vêtements collectés augmentent, mais les tissus baissent en qualité et sont donc plus difficiles à valoriser. Nous bénéficions de l’éco-contribution de 0,007 € mise en place pour la filière éco-textile mais ce n’est pas suffisant. Celle-ci doit être renégociée cette année. L’augmenter à 2 centimes d’euros permettrait de consolider la filière. Après tout, notre activité fait faire une économie à la société puisque le coût de la tonne de vêtements triée est de 90 € contre 120 € pour la tonne mise en décharge, sans compter les emplois en moins… Il faudrait le faire savoir aux consommateurs.

Avez-vous d’autres projets ?

P. D. : Nous pourrions développer davantage la filière de réutilisation des textiles collectés. Nous nous y inscrivons avec le Métisse, mais il existe d’autres débouchés. Il est par exemple possible de faire des raquettes de ping-pong avec des vêtements synthétiques usagés, du plastique avec certains vêtements, de produire du fil à partir de fils usagés, etc. Mais il nous faut d’abord développer une solution industrielle, capable de trier avec précision les tissus, par couleur et par nature de fibre. Cela prendra bien dix ans et nécessitera des investissements en R&D. Pour envisager la prochaine décennie sereinement, et mener à bien ces projets, nous avons besoin de trouver 10 M€ de fonds propres.

Quand vous avez créé Le Relais, en 1984, aviez-vous en tête que votre Scop pourrait un jour prendre une telle ampleur ?

P. D. : Le site de Bruay-la-Buissière, dans le Pas-de-Calais, où se situe le siège, était une friche industrielle à l’époque. La communauté Emmaüs locale, dont j’étais administrateur, voyait arriver à ses portes des tas de jeunes sans travail. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de plus, pour créer de l’emploi dans un bassin fortement touché par le chômage. C’est comme ça qu’est née l’idée du Relais, fondé avec le père Léon. J’avais déjà l’espoir que ce projet prenne un jour une telle ampleur !

Pas-de-Calais # Textile # Ressources humaines # Social