Numérique : Un rêve américain pour la région ?
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Numérique : Un rêve américain pour la région ?

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Une vingtaine de levées de fonds et plusieurs millions investis dans des équipements : le Nord - Pas-de-Calais a misé plus que jamais sur le numérique durant l'année 2015. L'occasion de s'interroger sur le poids réel et les perspectives de ce domaine en région.
— Photo : Le Journal des Entreprises

Loin d'être un phénomène nouveau dans le paysage économique, le numérique continue pourtant de faire parler de lui. Au cours de l'année 2015, les entreprises de ce secteur ont largement occupé l'espace médiatique, national comme régional. D'innovations en levées de fonds, parfois spectaculaires, en passant par la sortie de terre de nouveaux équipements, l'enthousiasme ne retombe pas. Et chaque région française, voire chaque grande métropole, continue de se revendiquer comme la " Silicon Valley " locale.




La ch'tilicon Valley

« Le Nord - Pas-de-Calais est parti plus tard que d'autres dans le numérique car ce marché est porté par des banques, des financiers ou des assureurs qui sont très parisiens. Paris occupe d'ailleurs 50 % du numérique en France », rappelle Bertrand Tierny, délégué régional du Syntec Numérique. Malgré ce départ tardif, la région n'échappe pas à la règle et se qualifie déjà de Cht'ilicon Valley. Une image tentante, il faut bien le reconnaître, pour une région davantage habituée à la stigmatisation. Entre taux de chômage record et souvenirs encore douloureux de ses échecs industriels passés, le Nord - Pas-de-Calais ne part pas de rien, mais tout de même de loin, et le numérique semble mettre à sa portée les sommets de la réussite économique. Rien d'étonnant à ce que la région ait cédé à l'attrait du numérique, au point d'en faire un peu son rêve américain. Mais même aux États-Unis, les élus sont peu nombreux et les réveils parfois douloureux... « Pendant longtemps, on a cru que le numérique c'était facile car pour se lancer, il faut juste du temps, un peu de talent et un ordi. Et le ticket d'entrée est faible. Mais pour créer une entreprise à succès, c'est plus difficile : il y a des notions de différenciation, de vitesse... », analyse Raouti Chehih, directeur général d'Euratechnologies. Face à ce constat moins idyllique que certaines idées reçues, que pèse vraiment le numérique en région et quel est son potentiel ?






Les chiffres du numérique

Donner les chiffres exacts du numérique en région est un exercice difficile, tant ce domaine est transverse. Pour autant, quelques indicateurs permettent de se faire une idée. Le numérique, c'est près de 30.000 emplois en Nord - Pas-de-Calais et 2.000 entreprises, avec un objectif de 60.000 emplois et 4.000 entreprises à l'horizon 2020. Dans le périmètre du Syntec Numérique régional, un syndicat professionnel qui regroupe les entreprises de conseils et services, conseils en technologie et édition de logiciels : « Il y a eu 900 créations nettes d'emploi en 2015. La rémunération brute moyenne annuelle est de 38,5 K€, contre 33,1 K€ pour l'ensemble de l'économie régionale, sur des temps complets. Et on recense 93,5 % de CDI contre 69,5 % pour l'ensemble de l'économie en région », souligne Bertrand Tierny. Enfin, toujours sur le périmètre du Syntec Numérique, le marché représente 50,5 milliards d'euros, pour 412.000 salariés : « Cela veut dire que le numérique en France pèse plus, en chiffre d'affaires, que l'industrie médicale ou l'industrie aéronautique ! », s'exclame le délégué régional du Syntec. Si l'on ramène ce chiffre national au nombre de salariés en région (17.800 dans le périmètre du Syntec), le marché du numérique pèserait ainsi quelque 2,18 milliards d'euros en Nord - Pas-de-Calais.






Une nette accélération en 2015

Ces précédents chiffres dressent l'état des lieux d'une situation qui est loin d'être figée : « Aujourd'hui nous sommes dans une phase d'accélération, avec des levées de fonds de plus en plus importantes, des projets qualitatifs et un écosystème complet », souligne Raouti Chehih. Une accélération bien marquée en 2015, notamment dans le domaine des levées de fonds. Une vingtaine d'opérations de ce type a été recensée en 2015 (voir page ci-contre). Cette accélération s'est également fait sentir du côté des équipements. Pour être sûr d'accomplir son objectif de " safe made land " du numérique, le Nord - Pas-de-Calais investit massivement. L'année 2015 aura vu sortir de terre les 17.000 m² de La Serre Numérique de Valenciennes, pour 38 M€, avec l'ambition de créer dans 10 ans près de 2.000 emplois. Autre investissement de taille en 2015 : 20,5 millions d'euros pour reconvertir le site minier de Wallers Arenberg en pôle d'excellence dédié à l'image. Et le dernier en date est Blanchemaille, un incubateur et accélérateur dédié aux start-up du e-commerce, qui s'étend sur 2.000 m² dans les locaux de La Redoute (Roubaix). Autant de nouvelles infrastructures qui viennent s'ajouter à un existant solide : Euratechnologies (Lille), Le Pôle Numérique Culturel (Lens), l'accélérateur Tektos (Calais), Pictanovo (Tourcoing) ou encore la Plaine Images (Tourcoing) qui a d'ailleurs annoncé en 2015 son ambition de doubler de taille à l'horizon 2020.






Un manque de financements

Si le Nord - Pas-de-Calais veut prendre son envol numérique, ses ailes devront encore se muscler dans certains domaines, notamment celui du financement. « Dans la région, nous avons de vraies pépites mais nous avons aussi une sous-capitalisation. Ce n'est pas avec 10.000 € que l'on crée un champion mondial », lance Mongi Zidi, président du Pôle Régional Numérique et du comité d'orientation de Lille is French Tech. Ravi que les levées de fonds accélèrent, ce dernier ne croit pas du tout à une bulle numérique : « Presque 70 % des fonds sont encore très sélectifs. Je crois que nous sommes en retard par rapport aux États-Unis : aujourd'hui, en région, on trouve assez de fonds pour l'amorçage et pour le premier ticket. Mais pour les 2e et 3e tickets, c'est compliqué. Même les plus belles entreprises mettent 1 à 2 ans pour trouver des fonds. Il y a un retard à l'allumage... ». Pour faire mieux face aux besoins, Mongi Zidi travaille à la création d'un accélérateur régional labélisé French Tech, qui sera composé de Bpi, de fonds et d'entrepreneurs. « Nous allons également organiser au printemps 2016, à Lille, les assises de l'accélération, réunissant tous les acteurs susceptibles de financer la croissance, pour leur expliquer que la région est une terre de champions », précise-t-il.






Les perspectives du numérique

« Le numérique, c'est une vraie chance pour augmenter notre PIB », insiste Mongi Zidi, avant de compléter : « Nous avons un potentiel très important et heureusement, les élections régionales ne sont pas venues perturber le paysage ». Et pour Raouti Chehih, les choses ne font que commencer : « Nous allons faire, ces deux prochaines années, l'équivalent de
ce que nous avons fait en 5 ans. Il y a une telle concurrence nationale et internationale qu'il faut aller vite. Dès 2016, il y aura des levées de fonds bien plus importantes, de l'ordre de 10 à 15 M€ et un vrai phénomène d'accélération dès 2017. Aujourd'hui, ce ne sont que les prémices ». Dans la région, le rêve américain autour du numérique est donc appelé à se poursuivre : espérons qu'à l'heure du réveil, la Force avec le Nord - Pas-de-Calais sera.

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