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Les transporteurs des Hauts-en-France chahutés par la hausse des prix
Enquête Hauts-de-France # Transport # Conjoncture

Les transporteurs des Hauts-en-France chahutés par la hausse des prix

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Les Hauts-de-France comptent près de 5 000 sociétés de transport, ce qui en fait la troisième région de France. Les prix des carburants, en hausse brutale depuis six mois, pèsent désormais pour 30 % dans leur coût revient. De quoi fragiliser les petites structures, nombreuses, et ouvrir la voie à une concentration du secteur.

Le gasoil a augmenté de 36 % depuis décembre 2021 — Photo : Julian Elliott Photography

"On ne sait pas combien de temps on va tenir comme ça" ; "Il va y avoir de la casse en fin d’année" ; "C’est sûr que ça va épurer sévère". La peur de mettre la clef sous la porte, tous les transporteurs routiers des Hauts-de-France l’ont à la bouche. Deux ans de pandémie en 2020 et 2021, une reprise aussi fulgurante que compliquée et maintenant une guerre russe en Ukraine, aux conséquences erratiques. "Ça perturbe tous les flux, de l’amont à l’aval. Le transport ferroviaire ? Il passe par la Russie. Le transport maritime ? Le prix des conteneurs a explosé. Sans parler de la production chinoise, ralentie par la flambée de coronavirus là-bas", égraine Benoît Henno, directeur général du groupe Logibex, un logisticien-transporteur nordiste, basé à Leers.

Côté carburants, l’indice du Comité national routier pour le gazole professionnel, révisé chaque fin de mois, s’établit désormais à 239,87, soit une hausse de 36 % depuis décembre. Du jamais vu, alors que le record précédent datait d’août 2012, à… 180,94. "On a subi de plein fouet la hausse, car on paye le gazole à 15 jours. Certains se sont posé la question d’arrêter les camions", rembobine Jean-Luc Dejode, président de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) Nord.

Jean-Luc Dejodje, président de la FNTR Nord : "On a subi de plein fouet la hausse, car on paye le gazole à 15 jours" — Photo : FNTR

La ligne gazole dans le coût de revient est passée à 25 % puis à près de 30 % désormais. Quant au gaz naturel liquéfié (GNV), encore marginal, mais de plus en plus utilisé, "cela représentait la solution à moyen terme pour la transition écologique, parle déjà à l’imparfait le représentant patronal. À long terme, il y a l’hydrogène, mais la technologie comme la distribution ne sont pas au point." Désormais stabilisé aux alentours de 80 à 90 euros, le prix du mégawattheure de gaz a été multiplié par quatre en à peine un an.

80 % d’entreprises de moins de 20 salariés

De quoi chahuter les 4 827 sociétés de transport de marchandises qu’abritent les Hauts-de-France à date, selon un décompte réalisé par Le Journal des Entreprises à partir de l’immatriculation au registre national. Ce qui en fait la troisième région de France, après l’Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes. Une activité concentrée sur la courte et la moyenne distance depuis 15 ans, concurrence européenne oblige. Certaines entreprises possèdent un seul camion, pour travailler en sous-traitance, qui pèse pour 50 % de l’activité locale. D’autres des centaines et jusqu’à 4 527 chez Adrexo (filiale du logisticien Hopps Group), qui a installé sa flotte dans le Nord. La plus importante PME locale est plutôt Blondel Transports et ses 296 camions, basée à Morcourt (Aisne).

"On est pris dans un étau. Notre seul salut, c’est la répercussion de nos charges sur nos prix de vente auprès de nos clients"

"80 % des entreprises ont moins de 20 salariés avec certains patrons qui conduisent encore eux-mêmes", rappelle David Bray, président des Transports Bray, basée depuis 30 ans dans le Pas-de-Calais (190 salariés, 17 millions d’euros de chiffre d’affaires). "Globalement, on n’a aucune marge de manœuvre, on est pris dans un étau. Notre seul salut, c’est la répercussion de nos charges sur nos prix de vente auprès de nos clients", dit le dirigeant, qui égrène les autres hausses encaissées cette année. Les négociations annuelles obligatoires de la branche transport routier de marchandises (TRM) ont débouché sur une revalorisation de 5 % des salaires conventionnels en février, plus 1 % en mai - "ce qui est normal", précise-t-il. Niveau matériel, le coût des pneus s’accroît par exemple de 4 à 6 % tous les trois mois. Chacun fait donc la chasse aux petites économies : instruction aux conducteurs de lever le pied, montage de pneus basse consommation et élimination des trajets à vide avec le "spot", c’est-à-dire les contrats occasionnels. "On est tout le temps obligé de tout calculer et recalculer, avec des marges qui se grignotent sans cesse", comme le résume un transporteur.

Répercuter la hausse des prix

"La réalité, c’est qu’il est très compliqué de répercuter tout ça sur les factures de nos clients, l’acceptabilité est basse et les négociations difficiles sur un marché très concurrentiel", souligne Pascal Vandalle, délégué régional de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France (TLF) pour les Hauts-de-France et la Normandie.

Pascal Vandalle, délégué régional TLF Hauts-de-France-Normandie : "Quand vous ne pouvez plus maintenir un prix, il n’y a que l’économie d’échelle qui peut vous aider" — Photo : TLF

Surtout qu’en face il y a souvent la grande distribution, puissante, mais sous pression alors que les prix à la consommation grimpent (+4,8 % en un an en France, selon l’Insee). Certains transporteurs envoient un courrier explicatif quand ils répercutent une hausse. D’autres relaient une note argumentaire syndicale.

Avec des résultats mitigés. Comme le constate Vincent Verbeke, gérant de l’entreprise Verbeke et fils, qui compte 30 salariés et 18 véhicules frigorifiques (3,6 millions d’euros de chiffre d’affaires). "Les grands groupes avec lesquelles nous bossons, Auchan ou Leclerc, essayent de nous garder en faisant des efforts, mais ça n’est pas assez, note ce chef d’entreprise des Essertaux (Somme). Mais surtout, le grand public ne se rend pas compte du mal qui ronge notre profession. Jusqu’à un pic d’activité où les grandes surfaces ne trouvent plus de transporteurs et les rayons se vident."

"Le petit va se faire manger par le gros"

La survie se joue au niveau de la trésorerie, alors que beaucoup d’entreprises doivent rembourser leurs prêts garantis par l’État (PGE) et les décalages de charges auprès de l’Urssaf. "Il faut un bon matelas financier pour encaisser le choc et ensuite il faut quand même que le client joue le jeu", insiste Jean-Luc Dejodje, de la FNTR Nord, alors qu’une aide nationale de 400 millions d’euros a été débloquée par le gouvernement le 18 mars dernier. D’un "naturel optimiste", Benoît Henno, a racheté plusieurs entreprises en difficulté pour former le logisticien Logibex et sa filiale transports Dometrans. "Je mets de côté dès que je peux. Je sécurise tout ce que je peux sécuriser. C’est à la fois normal et un peu anormal", confie celui qui emploie 45 salariés (pour 6 millions d’euros de chiffre d’affaires).

Racheter pour les chauffeurs et les camions

Avec une prédiction pour la fin 2022, partagée par tous les professionnels interrogés. Peu de faillites sèches, mais plutôt des rachats en série qui mèneraient à une concentration du secteur : "Que ce soit en logistique ou en transports, la dynamique est la même : le petit va se faire manger par le gros. Il y a trop besoin de chauffeurs et de camions pour honorer les contrats et les flux", synthétise le dirigeant nordiste. "Quand vous ne pouvez plus maintenir un prix, il n’y a que l’économie d’échelle qui peut vous aider", complète Pascal Vandalle, délégué régional TLF Hauts-de-France et Normandie.

Côté embauches, dans un secteur qui emploie 6 000 salariés dans les Hauts-de-France et où il n’y a quasiment pas d’intérim, la tension était déjà forte avec la crise du Covid 19. Le conflit ukrainien l’accroît encore un peu plus : 11 % chauffeurs qui roulaient en Allemagne étaient Ukrainiens par exemple. Côté achats de camions neufs, la pénurie est là avec aujourd’hui 13 mois environ de délais de livraison chez les constructeurs. "Celui qui en a besoin rapidement et en a les moyens est tenté par une absorption d’un concurrent, abonde Jean-Luc Dejode, les autres rénovent l’existant en attendant que ça se stabilise, ce qui prendra plusieurs mois voire un ou deux ans."

Logibex a repris plusieurs petites entreprises en difficulté pour constituer une PME de 45 salariés qui réalise 6 millions d’euros de chiffre d’affaires — Photo : Prestapack

Rachat à prix d’or

Conséquence, la valorisation d’une TPE-PME du transport qui s’estimait à deux à trois fois son excédent brut d’exploitation aurait grimpé à 10 à 12 fois désormais. "J’ai été approché sérieusement, mais de manière informelle. Ça ne m’intéresse pas, je suis une entreprise familiale, à taille humaine. Ma situation me convient", évacue David Bray, à la tête des Transports Bray.

David Bray, président des Transports Bray — Photo : Transports Bray

Son confrère Vincent Verbeke, de Verbeke et fils, l’a lui envisagé : "Dans ma vie, je n’ai jamais broyé du noir, mais à cinq ans de la retraite, si mon fils ne reprenait pas, je vendrais tout de suite." Tout en avertissant sur ce que voudrait dire un monopole ou un oligopole sur le transport dans les Hauts-de-France. "Si je vends, mes collègues petits vont souffrir, déjà. Ensuite les grands transporteurs ne vont plus ramasser une palette ici ou là, avoir une flexibilité le soir ou le week-end. C’est donc aussi mauvais pour les petits producteurs dans l’agroalimentaire et donc les consommateurs", alerte le dirigeant.

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