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Les "halles gourmandes", nouvel eldorado du commerce de bouche ?
Hauts-de-France # Commerce # Investissement

Les "halles gourmandes", nouvel eldorado du commerce de bouche ?

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Attention, tendance lourde. Depuis quelques années, fleurissent un peu partout en France des "halles gourmandes" et autres "food courts", qui rassemblent en un même lieu, artisans et restaurateurs. Une mode qui prospère dans les Hauts-de-France et un business juteux, qui semble faire les affaires de ses promoteurs. Quel est le modèle de ces nouveaux temples de la "bonne bouffe"?

Le nordiste Place-Ô-Marché développe un concept de halles commerçantes, accueillant des artisans indépendants, comme ici, au sein de l’ancien hippodrome de Valenciennes. Il table sur une trentaine d’ouvertures dans les dix prochaines années — Photo : Place-Ô-Marché

"Ici, bientôt", un nouveau quartier. Ou un programme immobilier. Ou la réhabilitation d’une friche. Chaque fois ou presque, assorti d’une "halle gourmande", ou d’un "food court". Marchés couverts nouvelle génération, ces halles promettent découvertes culinaires, artisans d’excellence et convivialité. Selon les modèles, on y mange sur le pouce, on y fait ses courses, on y boit un verre, ou les trois en même temps. Inspirés des cantines multiculturelles des malls asiatiques ou américains, ou des plus branchés food halls du quartier londonien de Camden, ces lieux hybrides se multiplient en France depuis quelques années. À Lille, le succès depuis 2017 de la "Friche Gourmande", sur le site de Fives-Cail puis à Marcq-en-Barœul, semble avoir popularisé cette nouvelle tendance, qui permet de manger ensemble, mais pas la même chose, en piochant dans des répertoires culinaires variés. Acteurs locaux et exogènes sont de plus en plus nombreux, et les projets sont légion - pas moins d’une dizaine est en cours dans la région. Avec chacun, leur modèle et leurs ambitions propres.

Des indépendants face à des groupes

À la faveur du déconfinement, en juin, deux nouvelles adresses lilloises ont ouvert à quelques encablures l’une de l’autre, rue de Béthune. Deux lieux, mais près de trente restaurants différents. Kitchen Market, porté par la foncière lyonnaise La Société des Grands Magasins, entend redynamiser la galerie des Tanneurs, avec ses 19 stands de street-food. Un peu plus loin, Grand Scène et sa dizaine de corners, ont pris possession de deux niveaux de l’immeuble flambant neuf du 31, rue de Béthune. "Sur 1 600 m², nous accueillons des chefs indépendants, des jeunes talents repérés un peu partout en France, ou des chefs chevronnés. Notre idée, c’est vraiment l’accompagnement de ces cuisiniers, pour en faire des chefs d’entreprise, et créer le nouveau temple de la street-food lilloise", retrace Marianne Barbier, co-fondatrice, avec Geoffroy Marticou, de Grand Scène. Pour offrir ce tremplin à leurs poulains, les deux entrepreneurs, issus du monde de la foodtech, ont levé 4 millions d’euros auprès de business angels, de Finorpa, Bpifrance et de la Région. Bien accompagné, le duo se lance néanmoins en indépendant sur un marché où évoluent plutôt des groupes. De fait, ce sont souvent des foncières ou des promoteurs, qui, sentant le potentiel du concept, ont décidé d’y consacrer une partie, ou l’intégralité, de leurs activités.

Ouvertures en série

Un virage opéré par exemple dès 2015 par le groupe Stratège Plus, basé à Ronchin (40 M€ de CA, 120 salariés), dont la filiale Place-Ô-Marché (PoM) développe des halles commerçantes, accueillant des artisans, et quelques restaurateurs. "Historiquement, Stratège Plus est spécialisée dans l’immobilier commercial et l’accompagnement des commerçants, depuis l’étude de marché jusqu’à la construction. Justement, c’est une étude de marché qui nous a montré à quel point le retour aux produits frais, au commerce de proximité, aux circuits courts, allait s’installer comme une tendance durable. C’est de là qu’est née l’idée de nos halles de centre-ville", retrace Sylvie Doignies, DG de PoM. Cinq halles sont ouvertes dans les Hauts-de-France, à Amiens, Capinghem ou encore Valenciennes. Et de multiples ouvertures sont prévues, dans la région mais aussi au Havre, à Tours ou à Angers, au rythme de "deux à trois par an, sur les dix prochaines années", précise Sylvie Doignies. PoM a reçu début mai 2 millions d’euros de la Banque des Territoires, dans le cadre du plan de relance, pour financer son développement et parvenir à mailler, à terme, l’hexagone. La foncière vise les villes de plus de 50 000 habitants, une cible partagée avec les fondateurs de Grand Scène, qui comptent bien eux aussi, multiplier les lieux en France, en privilégiant des quartiers à dynamiser.

Le basque Biltoki lui, vise plutôt les métropoles. Ce promoteur, créé à Anglet (64) en 2010, a depuis changé radicalement de modèle. "En 2015, on nous a chargés de construire une résidence de 30 logements à Anglet, et d’y créer une halle gourmande en rez-de-chaussée. Ça a tellement bien marché, qu’on a arrêté de construire des logements, pour ne plus faire que des halles", résume Romain Alaman, le co-fondateur de Biltoki. Gestionnaire et non plus constructeur, Biltoki emploie une cinquantaine de personnes, et réalise un volume d’affaires de 25 millions d’euros, pour 5 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’entreprise compte aujourd’hui cinq halles dans le Sud-Ouest, et six sont en voie de création. Dont, celle qui ouvrira bientôt ses portes à la Maillerie, nouveau quartier en gestation à Villeneuve-d’Ascq. "Nhood, qui porte le projet, nous a contactés parce qu’ils cherchaient à créer un lieu de vie au centre du quartier. De notre côté, nous étions en train d’étudier une implantation près de Lille, parmi d’autres grandes métropoles. Leur proposition correspondait exactement à ce que nous cherchons à faire : nous implanter au cœur d’un quartier, et y créer un lieu autour duquel tout gravite." Le groupe prévoit une croissance très rapide, avec un rythme de six ouvertures par an ces prochaines années.

Comment ça marche ?

Si le principe reste toujours le même, la création de trafic autour d’un lieu rassemblant des restaurateurs ou des artisans, les modèles diffèrent grandement selon les acteurs. Ainsi, PoM construit ou rénove des lieux accueillant des boutiques indépendantes, vendues comme des pas-de-porte classiques. Ses projets fédèrent de cinq à douze artisans, propriétaires de leur fonds de commerce, qu’ils aménagent et équipent. Un investissement conséquent qui peut aller de 200 000 € pour un boucher, à 600 000 € pour un boulanger. Le loyer est ensuite indexé sur le chiffre d’affaires. "Nous vendons la propriété commerciale, brut de béton. Le commerçant est chez lui, ce n’est pas du clé en main. Nous assurons la communication autour du lieu, l’entretien et l’animation. Nous avons une équipe dédiée qui aide les commerçants à dynamiser leur offre quand c’est nécessaire. C’est un modèle qui fonctionne bien. Il n’est pas immédiatement rentable pour nous, il faut compter quelques années selon les endroits, mais il est cohérent avec les comptes d’exploitation de nos commerçants, qui s’y retrouvent," assure Sylvie Doignies. Chez Grand Scène, le locatif est de mise. Les restaurateurs louent des stands clés en main, et n’ont à se soucier que de leur cuisine. Leur loyer comprend une part fixe et une part variable, décroissante, sur leur chiffre d’affaires. "L’idée, c’est que tout le monde y trouve son compte. En optimisant l’opérationnel, et en réalisant des économies d’échelle sur l’entretien et les approvisionnements, nous faisons en sorte que les marges de nos restaurateurs soient meilleures que s’ils s’étaient installés seuls," indique Marianne Barbier. Grand Scène prévoit un volume d’affaires de 10 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros annuels. Chez Biltoki, c’est le sur-mesure qui prévaut. " Nous proposons des baux commerciaux classiques en 3-6-9, mais nous pouvons aussi avoir des commerçants de passage sur un week-end, ou une semaine. Nous adaptons aussi les contrats selon les métiers et les marges : un traiteur ne paiera pas la même chose qu’un boucher, ou qu’un primeur. L’essentiel pour nous, c’est d’avoir les meilleurs artisans possibles, c’est à nous de nous adapter à eux. Les restaurateurs sont très nombreux, c’est un vivier très large. Les artisans, et surtout les bons, c’est plus compliqué, il faut réussir à les attirer. Et c’est très contraignant," souligne Romain Alaman.

Le nerf de la guerre, l’offre et l’implantation

Quitte à rogner ses marges, Biltoki essaye donc d’attirer sous ses halles un tiers de commerçants renommés localement, un tiers d’artisans recrutés un peu plus loin, et un tiers de débutants. Une offre alléchante pour les consommateurs, et surtout pratique. Les halles sont facilement accessibles, avec parking, et promettent des horaires étendus, du matin au soir. "Chez PoM, nous recrutons toujours sur place les commerçants de nos halles," décrit également Sylvie Doignies. "Ce sont souvent des artisans bien implantés localement, qui ouvrent chez nous leur deuxième ou leur troisième point de vente. Mais aussi, de plus en plus, des néo-artisans, en reconversion professionnelle, qui apprécient d’être soutenus. Le recrutement peut prendre du temps, mais une implantation est de toute façon un processus très long, il faut compter deux ans entre les concertations, les études d’impact, etc. Il faut montrer patte blanche. Si la plupart du temps, les mairies sont ravies de nous voir arriver, il y a toujours la crainte de déstabiliser le commerce existant. Pourtant, nous choisissons des quartiers où l’offre manque. Et nous constatons que des commerces ouvrent autour de nos halles, plutôt qu’ils ne ferment. Le monde attire le monde, c’est là tout notre principe." Et le modèle n’a sans doute pas fini d’attiser les convoitises.

Hauts-de-France # Commerce # Restauration # Investissement # Ressources humaines