Les entreprises des Hauts-de-France déjà victimes du Brexit
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Les entreprises des Hauts-de-France déjà victimes du Brexit

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Engagé depuis plus de trois ans, le Brexit a déjà bouleversé l’activité de plusieurs entreprises des Hauts-de-France, que ce soit en termes financiers, d’investissements, de dépenses engagées, etc. Tour d’horizon de ses conséquences auprès des acteurs économiques de la région.

Lancé il y a un peu plus de trois ans, le Brexit a déjà eu de nombreuses conséquences sur les entreprises régionales — Photo : ESL, le JDE

Voté le 23 juin 2016, le Brexit apparaît trois ans plus tard comme un jour sans fin. Même s’il s’éternise, l’incertitude qui règne autour des échéances comme des modalités, fait trembler le monde économique comme au premier jour, en particulier dans les Hauts-de-France. « Le Brexit, nous sommes déjà dedans, par ses effets psychologiques sur les investissements des acteurs privés, qui s’accentuent avec le risque grandissant d’un no-deal », affirme Kathie Werquin-Wattebled, directrice régionale de la Banque de France.

Le Royaume-Uni, un partenaire commercial de poids

Parmi les premières victimes de cet épais brouillard britannique, figure le Royaume-Uni lui-même. Kathie Werquin-Wattebled précise : « Rien que sur la période allant de 2016 à 2019, les investissements au Royaume-Uni sont inférieurs de 20 à 25 % par rapport à ce qu’ils auraient été s’il n’y avait pas eu de Brexit sur cette période ». Mais lorsque le Royaume-Uni s’enrhume, les entreprises des Hauts-de-France se mettent à tousser… Les chiffres publiés dans une récente étude de la CCI Hauts-de-France sont, à cet égard, révélateurs. Le Royaume-Uni y apparaît comme le 3e pays client des exportations régionales, juste derrière la Belgique et l’Allemagne. C’est aussi le 7e pays fournisseur de la région Hauts-de-France. Le Royaume-Uni est également le premier excédent commercial des Hauts-de-France, juste devant la Belgique puis l’Espagne. Enfin, 40 % des nuitées étrangères en Hauts-de-France sont britanniques.

Une prise de conscience tardive

Près de 5 500 entreprises régionales ont des liens récurrents avec le Royaume-Uni. Qu’elles possèdent une filiale là-bas, des fournisseurs ou des clients britanniques, ces sociétés sont déjà impactées. Mais avec un Brexit qui s’éternise, au point que certains experts finissent par douter de son avènement, certaines entreprises n’ont pas toujours en tête l’urgence de la situation. Bénédicte Paladini, directrice générale de la société Palchem (CA : 4,8 M€), un fabricant d’intermédiaires pour la chimie fine basé à Angres (Pas-de-Calais), reconnaît volontiers avoir été étonnée la première fois qu’un de ses clients britanniques a pris contact avec elle, afin de savoir si un plan de continuité avait été mis en place pour la poursuite de leurs relations post-Brexit. « À ce moment-là, on s’est dit que le Brexit, c’était encore loin », témoigne la dirigeante. « Ce n’est que lorsque ce client a fait une relance que nous avons décidé de nous pencher sur le sujet ».

Palchem est loin d’être la seule PME dans ce cas. Selon une enquête menée cet été par la CCI Hauts-de-France auprès de 700 entreprises de la région, un dirigeant sur deux n’est pas en mesure de qualifier les impacts du Brexit pour la région. Pourtant, comme le souligne Philippe Hourdain, président de la CCI Hauts-de-France : « Le Brexit, ce n’est plus une question de mois, de semaines mais d’heures. Nous sommes au pied du mur ». Toujours selon l’étude menée par la CCI, les secteurs les plus impactés pour le moment sont ceux du transport-logistique, du commerce de gros, de l’hôtellerie-restauration et de l’industrie, notamment chimique et cosmétique.

Des impacts variés

Quant à la nature de ces impacts, la variété est de mise. Parmi les conséquences les plus redoutées par les dirigeants, figurent les retards de livraison et d’approvisionnement (54 % des répondants à l’étude de la CCI), ainsi qu’une circulation des marchandises et des services plus difficiles (45 % des répondants à l’étude). Des craintes partagées par la société Weylchem (CA : 132 M€), un fabricant de produits chimiques pour l’industrie pharmaceutique, basé dans l’Oise. Les inquiétudes de la société, qui compte plusieurs fournisseurs britanniques, portent à la fois sur les flux et les coûts supplémentaires, liés aux taxes douanières. « Par prudence, nous avons sourcé d’autres fournisseurs potentiels en Europe. Pour le moment, c’est une liste de sécurité », explique Géraldine Primazot, responsable sécurité produits chez Weylchem.

Pour cette PME, les conséquences pourraient aussi être financières, car elle possède un important client en Angleterre : « Il s’agit d’un mono client sur l’un de nos produits phare, qui représente une grosse partie de notre chiffre d’affaires et de nos marges », explique-t-elle encore. Des conséquences qui sont d’ores et déjà une réalité pour certaines entreprises, à l’image de Tea Together (CA : 1,4 M€). Ce fabricant de confitures pour une clientèle composée de palaces, basé au Touquet (Pas-de-Calais), réalise 35 à 40 % de son chiffre d’affaires avec le Royaume-Uni : « Nous facturons la moitié de nos clients anglais en livre sterling, or celle-ci a chuté de 20 %. Cela représente pour nous une perte de 150 000 à 200 000 € de marge en trois ans », souligne Eli Gifford, le dirigeant.

Une anticipation chronophage

Un autre impact subit par les entreprises régionales, c’est le temps consacré à préparer le Brexit. « C’est important pour minimiser les conséquences directes, même si des conséquences indirectes que nous ne maîtrisons pas sont toujours susceptibles d'apparaître », commente Géraldine Primazot (Weylchem). La PME se penche ainsi sur la question du Brexit depuis un an : « Nous avons mis en place une cellule Brexit en interne, que je coordonne, et qui englobe tous les services concernés de l’entreprise : achats, marketing, commerciaux, logistiques, etc. Je réalise de la veille, je suis des conférences en ligne, les dernières réglementations… ».

Partisan de cette anticipation, Francis Castelin, directeur général de Ziegler France (CA : 321 M€), dont le siège est à Roncq (Nord), reconnaît : « Nous ne sommes pas prêts. Il y a tellement d’inconnus externes… ». Pourtant, ce transporteur et logisticien travaille d’arrache-pied à préparer le Brexit : « Nous nous sommes portés volontaires pour effectuer les premiers tests de dédouanement à Calais, et cela fonctionne. Nous avons également mis en place une newsletter mensuelle sur le Brexit, à destination de nos clients et prospects. Nous avons également envoyé un quiz à nos clients, pour savoir à quel point ils sont eux-mêmes préparés au Brexit… »

Face à la situation, deux positions existent. Celles des entreprises qui redoutent encore l’avènement du Brexit, à l’image de Palchem. « Ce qui nous préoccupe, c’est la charge de travail que nous aurons une fois le Brexit acté. Les adaptations vont générer de l’activité supplémentaire, qui sera gérée par la direction de l’entreprise. Nous ne pouvons pas avoir une personne dédiée », souligne Bénédicte Paladini. Et il y a ceux qui ont déjà beaucoup investi et attendent à présent le Brexit, presque avec impatience. C’est le cas des ports de Calais, Dunkerque mais aussi d’Eurotunnel, qui ont réalisé à eux trois près de 23 M€ d’investissements dans des infrastructures qui permettront de maintenir la fluidité du trafic dans le cadre des futurs contrôles douaniers.


Brexit : quelques retombées positives aussi

Malgré les nombreuses incertitudes qui continuent de planer autour du Brexit, grevant une partie de l’économie régionale, quelques retombées positives sont tout de même attendues. D’abord pour le commerce, grâce à la mise en place du duty free. Quand les Anglais réaliseront plus de 150 euros d’achats en France, dans les zones concernées, les produits seront détaxés et ils bénéficieront donc d’une remise de près de 20 %. Ensuite, la Région compte toujours accueillir les entreprises britanniques qui souhaiteraient garder un pied en Europe, en jouant sur le fait que « l’Europe la plus proche du Royaume-Uni, ce sont les Hauts-de-France », comme le souligne Xavier Bertrand, président de la région. Un autre argument est celui du foncier, non seulement disponible, mais aussi à un coût bien inférieur à celui de Paris. Ces implantations seraient synonymes d’investissements, mais également d’emplois pour la région. Autant d’opportunités qui ne se concrétiseront qu’à une seule condition : que le Brexit ait enfin lieu.

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